International français en 2021, Wilfrid Hounkpatin a fait le choix de représenter le Sénégal cet été, lors de la Rugby Africa Cup. De retour à son hôtel en Ouganda, après un match très intense remporté face au Maroc, le pilier était en train de manger lorsqu’il a pris le temps de revenir sur son « choix du cœur » et sur ce qu’il a vécu ces dernières semaines. Alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion pour près de 24h de trajet vers la France, il décrivait cette expérience africaine comme quelque d’unique dans sa carrière.

Vous sortez d’une rencontre exténuante face au Maroc, remportée au « golden score » après plus de 110 minutes de jeu. Comment ressort-on d’une telle partie ?

Après un tel match, on est mâché ! À la fin, je ne savais même pas comment je faisais pour tenir debout. En plus ici en Ouganda, le climat fait que c’est limite asphyxiant : il y a peu d’oxygène parce qu’on est en altitude, et en plus, il faisait presque 40 degrés ce matin. C’était vraiment très dur physiquement. Je l’avais ressenti dès le premier match, où j’étais occis au bout de dix minutes et il fallait ensuite tenir au mental.

Et pour ce qui est du match ?

L’équipe du Maroc n’a rien lâché. C’était coup pour coup, dès qu’il y avait un essai ou une pénalité d’un côté, ça répondait de l’autre. C’était vraiment un match dingue. C’est la première fois que je vivais cela.

Lors de cette rencontre, comme celle face à la Côte-d’Ivoire, on vous a vu titulaire avec le numéro 8. Comment était-ce ?

J’ai commencé et j’ai fait 60 minutes en numéro 8. Je suis revenu lors des prolongations pour finir le match pilier droit. Pendant le match, je suis aussi passé en deuxième ligne. J’ai fait quatre postes en un match ! C’est cool, il faut juste s’adapter et bosser pour les autres.

Avez-vous envie de réitérer l’expérience à Montpellier ?

Il ne faudait pas donner de mauvaises idées à Joan Caudullo (rires). Il m’a envoyé un message pour me charrier… Il m’a appelé Wilfrid Vunipola ! Jouer troisième ligne centre était plaisant mais je n’étais pas dans le rôle à 100 %, je ne travaillais pas dans le troisième rideau par exemple. C’était une expérience pour dépanner, mais j’ai encore beaucoup à apprendre. Je suis très bien à la pile.

*Abdelkarim Fofana (troisième ligne du Sénégal et de Rouen) intervient* : « Numéro 8 c’est dur hein ! »

*Hounkpatin reprend* : « Abdel essaye de m’apprendre deux ou trois techniques mais c’est très dur… J’ai 34 ans dans dix jours et j’ai du mal à me voir devenir numéro 8 à cet âge-là. »

Comment en êtes-vous arrivé à jouer avec cette sélection sénégalaise ?

Ça s’est fait naturellement. J’avais des contacts avec Omar Sy, qui est le manager de la sélection. Ça faisait un moment que je n’avais pas été sélectionné avec l’équipe de France, et avec les problèmes de vie privée que j’ai eus (Wilfrid Hounkpatin a été condamné à 12 mois de prison avec sursis pour « violences conjugales », NDLR), je pense que je n’aurais plus été appelé avec les Bleus. J’avais juste envie de jouer au rugby et dans ma tête, je me suis dit que j’arrivais à un certain âge et qu’il fallait peut-être que je pense à la transmission. Finalement, j’ai eu un déclic et je me suis dit que c’était là que j’allais pouvoir donner le meilleur de moi-même. Je veux apporter un petit plus pour mon pays. Parce que je suis métisse : mon père est Sénégalais, ma mère est Française. Ça fait partie de moi. C’était pour moi une évidence, le choix du cœur.

Que vous inspirent ces moments de joie extrême avec ce maillot, comme cette victoire contre le Maroc qui permet au Sénégal de terminer 5e de l’Africa Cup ?

Ce sont des moments forts. J’ai connu ici des mecs qui jouent depuis longtemps pour la sélection. Abdelkarim Fofana, Ousmane N’Diaye jouaient leur dernier match. Malgré le peu de moyen, le petit budget, on est allé chercher cette cinquième place au mental, en mouillant le maillot. On sait à quel point il est dur d’être joueur de rugby au Sénégal, on mesure la chance que l’on a d’être ici. Il fallait qu’on montre une belle image du rugby sénégalais, et à la fin du match, j’étais vraiment content. Je voyais des mecs de l’équipe qui pleuraient, le vice-président m’a serré dans ses bras avec les larmes aux yeux en me remerciant pour ce que je faisais pour le pays. C’était incroyable et ça m’a ému au plus profond de moi. J’avais l’impression d’avoir fait plus que simplement jouer au rugby. Je me suis dit que ma place était là et que j’avais fait un bon choix.

Pensez-vous que les règles d’éligibilité de World Rugby permettent aux nations mineures de se développer davantage ?

C’est quelque chose de positif. Dès que tu as plusieurs origines, il faut que tu fasses un choix. Mais ta carrière peut prendre, un jour, un virage. C’est à ce moment-là que ces règles qui nous permettent de changer de sélection sont bien. Ça peut devenir quelque chose de beau. Moi qui ai connu plusieurs années en Top 14 et en équipe de France, j’ai pu amener mon expérience en toute humilité. Des joueurs et même des entraîneurs ont pu me poser des questions.

N’étiez-vous pas bridé par le fait d’avoir déjà porté le maillot du XV de France, en Australie en 2021 ?

Au contraire. Il faut avoir le cran et savoir s’affirmer. J’ai deux origines et j’estime avoir le droit de représenter deux pays. Je ne sais pas pourquoi je devrais avoir à faire un choix entre ma mère, mon père, l’Europe, l’Afrique… Heureusement que les règles me permettent de le faire.

Plusieurs clubs peuvent avoir du mal à laisser leurs joueurs partir vers des sélections l’été, surtout quand cela retarde la préparation. Comment se sont passées les discussions avec Montpellier ?

Quand je leur ai annoncé, ils pensaient que je rigolais. Mais ils ont vite vu que j’étais sérieux. Bernard Laporte et Joan Caudullo m’ont dit qu’au regard de ma saison, j’aurais pu prétendre à l’équipe de France. Mais au niveau du poste, il y a plusieurs jeunes et moi, j’ai fait mon temps. J’ai juste envie de kiffer mes dernières années. Les dirigeants montpelliérains l’ont vite compris et ont même rencontré mon sélectionneur Sekou Sakho. Il y avait juste la peur de la blessure bien sûr, parce que le rugby est dur et qu’ici ça plaque au genou ! Mais ils m’ont laissé partir sans me donner une limite de temps de jeu. Je me suis senti soutenu par le club qui a été très compréhensif.

Que retenez-vous de cette Africa Cup ?

J’ai été agréablement surpris par le niveau de la compétition. Même si les matchs ont été parfois brouillons et qu’il y avait beaucoup de pénalités sifflées, les mecs se donnent tellement à fond… Tu ne joues pas contre des amateurs. Ils ont envie de mouiller le maillot et je trouvais ça beau. Personnellement, j’ai découvert la sélection et je me suis fait des potes. Je me suis rendu compte qu’on était tous frères. Malgré les différences de niveau, on se soutient les uns et les autres.

Et au niveau de l’organisation ?

On voyait qu’il y avait des lacunes. Des fois, tu te posais des questions, tu finissais le match et tu n’avais plus de vestiaire. C’était un peu farfelu. Il y avait de la débrouillardise et on trouvait toujours une solution. Je vois que les mecs veulent faire évoluer cette compétition et je vois les moyens qui sont mis en place. Ça manque, malheureusement, cruellement de budget. Au Sénégal, nous avons le plus petit budget de la compétition et je l’ai ressenti. Nous sommes arrivés un jour et demi avant le premier match, en plus contre la Namibie qui était en préparation depuis un mois et demi. Et encore, nous n’avons pas été ridicules, en tenant jusqu’à la 55e minute contre une équipe qui a l’habitude de jouer des Coupes du monde. Il y a de plus en plus de joueurs de Pro D2, de Top 14 et de Nationale et je sens que ça évolue dans le bon sens.

Quelle place a le rugby au Sénégal ?

Il y a un engouement pour le rugby au Sénégal. C’est un peuple qui soutient toutes ses équipes nationales, quel que soit le sport. Ça se développe doucement, avec un championnat local et des écoles de rugby. C’est aussi un moyen de sortir les enfants de la rue, parce que c’est dur au pays. Le sport et le rugby sont un bon moyen de rassembler.

Voir les Lions à la Coupe du monde un jour, vous y croyez ?

Oui, j’y crois. Physiquement, il y a des mecs qui sont prêts. Il y a des pépites qui peuvent émerger. Ça va arriver petit à petit. J’espère qu’un jour, il y aura plus d’équipes africaines présentes à la Coupe du monde, qu’il y aura un peu plus de mixité. Ce serait beau pour le sport.