Par

Anaelle Montagne

Publié le

31 juil. 2025 à 18h26

Le vendredi 24 mars 2023, le jeune Ilès était enlevé à la sortie du métro de Toulouse, par quatre jeunes à bord d’une Clio bleue. Séquestré dans un appartement, humilié et roué de coups en étant filmé, il ne sortira que trois jours plus tard après le paiement d’une rançon dérisoire : une playstation et 1 500 euros. Deux années (incluant des mois de cavale) plus tard, ses agresseurs ont fait face à la justice ces mercredi 30 et jeudi 31 juillet 2025. Neuf hommes, une femme. Et une victime absente, trop terrifiée pour leur faire face. Récit.

« Il est incapable de revivre ce traumatisme, de réentendre ces voix, de revoir ces visages. » Les yeux de Maître Abraham – qui représente Ilès avec Me Jessica Guy – se posent sur trois des agresseurs. Ils sont les seuls à comparaître détenus. Ce sont les commanditaires de l’enlèvement et de la séquestration, partis en cavale pendant plusieurs mois après les faits.

Parmi eux, Oualid, 28 ans, cheveux attachés et t-shirt Lacoste sur les épaules. L’après-midi de l’enlèvement, il était à l’arrière de la Clio bleue.

Une affaire liée aux stupéfiants

Il est 17 heures le vendredi 24 mars 2023 quand Ilès sort du métro à l’arrêt Faculté de pharmacie.

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Il ne remarque pas la voiture qui le suit. À bord : Achraf C., Salah N., Abdelilah B. et son grand frère Oualid, tous âgés d’une vingtaine d’années. Le véhicule s’arrête d’un coup sec, barrant la route à Ilès.

L’adolescent est forcé de monter. Et les kidnappeurs sont décidés à en découdre. La raison ? La victime expliquera aux enquêteurs qu’elle avait une dette envers un réseau de stupéfiants – auquel appartiennent plusieurs agresseurs.

Séquestré pendant plus de 50 heures

À l’intérieur du véhicule, l’homme le plus âgé de la bande, Oualid, exerce « de nombreuses violences » sur Ilès, apprend-on dans le dossier.

Vers 18h30, l’adolescent mineur est ensuite amené « par deux individus cagoulés » dans un appartement, situé à Montaudran au sud-est de Toulouse. Il est loué par Yanis B., âgé de 21 ans aujourd’hui. L’adolescent y restera séquestré pendant plus de 50 heures. 

Ils menacent de tuer Ilès si sa mère prévient la police

Dans l’appartement, Ilès est humilié et passé à tabac. Ses kidnappeurs filment les scènes de violence et les postent sur les réseaux sociaux. Peut-être pour que la vendetta serve d’exemple. 

Dans la journée du samedi 25 mars, le lendemain de l’enlèvement, la mère de l’ado reçoit des vidéos « le montrant ligoté et tuméfié », indique le dossier. Les agresseurs réclament 1 500 euros et une Playstation 5 en échange de sa libération.

« Ils précisaient que la victime serait tuée si la police était prévenue », découvre Actu Toulouse. À 22 heures, la mère d’Ilès, paniquée, décide tout de même de se rendre à la gendarmerie près de chez elle, à Castanet-Tolosan. 

Le piège se referme sur les agresseurs

La brigade de recherches de Villefranche-de-Lauragais et la section de recherches de Toulouse réagissent immédiatement. Ils incitent la mère d’Ilès à jouer le jeu des ravisseurs. Les gendarmes montent alors une souricière, avec l’appui de l’antenne locale du GIGN.

Ils surveillent à la fois l’appartement dans lequel est détenu Ilès à Toulouse, et la maison familiale de l’ado où l’échange de la rançon doit se faire. À 20 heures, bingo : quatre individus se rendent au domicile de la victime, à Ramonville. Parmi eux, Samy A., aujourd’hui âgé de 25 ans. 

Et puis, à 1h30 du matin dans la nuit du samedi 26 au dimanche 27 mars, Ilès finit par être raccompagné jusque chez lui en voiture par deux individus, « afin de récupérer la rançon », indique le parquet de Toulouse. Mais à la vue des forces de l’ordre, les deux malfaiteurs s’enfuient. 

Où sont les commanditaires ? 

Il faudra 15 minutes aux gendarmes pour rattraper la Golf en fuite. À 1h45, ils interpellent ses deux occupants, Kaoutar B. et Achraf C. (qui se trouvait aussi dans la Clio bleue le jour de l’enlèvement). Et à 6 heures du matin, Cassidy M. et Bryan P., aujourd’hui âgé de 22 ans, seront arrêtés dans l’appartement où l’ado avait été séquestré. 

Lors des auditions des suspects et de la victime, les enquêteurs découvrent rapidement qu’il manque encore trois hommes à l’appel. Il s’agit des commanditaires, selon les termes du parquet : Oualid B., Heder G. et Bénély K. Malgré les recherches des enquêteurs, ils restent introuvables pendant des mois. 

« Déconnecte moi, c’est fini pour moi »

Les trois hommes ont fui dans le sud-est de Espagne, à Murcia, où ils se cachent avec l’aide de la compagne de Oualid B. Jusqu’au vendredi 14 juillet 2023. Plus de trois mois après l’enlèvement, ils se font contrôler par la guardia civil alors qu’ils tentent de quitter la zone en déménageant d’un Airbnb. 

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Étonnamment, ils déclinent leurs véritables identités. La police espagnole découvre qu’un mandat d’arrêt européen a été émis pour les retrouver. Écroués, les malfrats sont transférés à Madrid, puis en France.

Lors d’échanges téléphoniques avec sa conjointe (que la police écoutait en secret), Oualid lui demande d’effacer les preuves de son implication qui se trouveraient sur les réseaux : « Déconnecte-moi, c’est fini pour moi. » 

La maman d’Ilès menacée pour qu’elle retire sa plainte

Éviter la justice à tout prix semble décidément être le maître mot de l’équipe. Déjà, après les faits, les malfrats sont soupçonnés d’avoir tenté de pousser la mère d’Ilès à retirer sa plainte. « Elle a retrouvé des douilles sur le rebord de sa fenêtre. Une sorte de menace pour la faire taire », indique le procureur, lors de l’audience. 

La mère de l’adolescent n’est plus là pour raconter son cauchemar : elle est malheureusement décédée des suites d’une longue maladie.

L’avocate de la victime relate, dans son plaidoyer : « Sa maman, qui a vécu l’enfer pendant ces trois jours, qui a reçu ces vidéos et ces demandes de rançon alors qu’elle était déjà malade, est tombée dans une dépression telle que la maladie l’a emportée. »

Un traumatisme indescriptible

Me Abraham veut également que les prévenus réalisent le poids qu’ont eu ces trois jours cauchemardesques pour la victime. « Il faut mettre les bons mots sur ce qu’il a vécu », commence-t-elle. 

Quand on vous demande de vous mettre tout nu et de vous prendre en photo, c’est de l’humiliation. Quand on vous frappe, qu’on vous filme, qu’on envoie des vidéos à votre famille, c’est de la violence et c’est du traumatisme. 

Maître Johana Abraham
Avocate d’Ilès

L’avocate rappelle aussi qu’à de nombreuses reprises, lors de son expertise psychiatrique, l’adolescent a répété : « Je me suis vu mourir. » En atteste la liste interminable de ses blessures, qui noircissent le recto et le verso du rapport du médecin légiste.

Les peines sont sévères pour les trois fuyards

Les prévenus étaient poursuivis pour « arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire d’otage pour faciliter un crime ou un délit, suivi de libération avant 7 jours » (ou complicité de ces faits). Le délibéré est finalement tombé ce jeudi 31 juillet, en milieu d’après-midi : ils ont tous été jugés coupables.

Les trois commanditaires qui avaient fui en Espagne, Oualid B., Bénély K. et Heder G., ont respectivement été condamnés à 5 ans et demi, 5 ans et 4 ans et demi de prison ferme. 

Le petit frère de Oualid, qui était dans la Clio lors de l’enlèvement et dont le casier judiciaire était totalement vierge, a été condamné à un an de sursis simple. Achraf C., conducteur de la Clio et de la Golf qui avait déposé Ilès chez lui, écope de 18 mois de prison dont un an avec sursis. Salah N., passager de la Clio, est condamné à 3 ans de prison dont la moitié avec sursis probatoire. 

Bryan P., retrouvé dans l’appartement où la victime était séquestrée, écope de deux ans avec sursis. La jeune Cassidy M., interpellée à ses côtés, est mineure : elle sera jugée lors d’une audience à part. Yanis B., qui avait loué l’appartement, est condamné à 18 mois de sursis simple. 

Ilès n’aura pas les 20 000 euros qu’il réclamait pour son préjudice moral

Quid du dernier occupant de la Clio qui a servi au kidnapping, Samy A., et de Kaoutar B., la passagère de la Golf qui a déposé Ilès chez lui ? Pour eux, les faits ont été requalifiés, respectivement en « non-dénonciation de délit de mauvais traitement à mineur », et « complicité par aide à la séquestration ». Ils ont écopé de six et huit mois de sursis simple.

Me Abraham, avocate des parties civiles, avait demandé 20 000 euros pour le préjudice moral subi par la victime. Il ne recevra finalement que 8 000 euros. Pour autant, l’avocate retiendra que « tous ces individus ont été déclarés coupables, rien que ça, c’est le véritable sentiment de justice ».

Et Me Abraham insiste : « Ce n’est pas parce qu’Ilès était impliqué dans du trafic que ce n’est pas une victime à part entière. Il a subi des violences inouïes. Aujourd’hui, tout ce qu’il souhaite, c’est que cette affaire s’arrête à cette audience. Et enfin pouvoir tourner la page. »

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