IL Y A des histoires de vie qui laissent sans voix. Comme celle de Rami Nofal. L’homme de 44 ans est réfugié syrien d’origine druze.
Les tensions entre Druzes et Bédouins, vieilles de plusieurs décennies, se sont accentuées depuis décembre, avec l’arrivée au pouvoir des islamistes sunnites en Syrie.
Rami a fui la guerre civile en 2020 et est aujourd’hui installé à Toulon.
Au mois d’avril, son frère, professeur de français en Syrie et père de famille, a été tué. « Le terroriste a pris soin d’envoyer son corps en photo à ma famille. Après avoir reçu et vu les images, ma sœur a dû être hospitalisée », raconte-t-il.
« Sans le statut, je ne peux pas faire venir ma famille »
Sa mère, qui est atteinte d’une maladie incurable, ses sœurs, et ses neveux sont bloqués à Soueïda, ville actuellement meurtrie par les combats. La zone est actuellement inaccessible.
« Sans le statut de réfugié, je ne peux pas faire venir ma famille, ils sont en danger. Il n’y a plus d’eau, plus d’électricité, le village est encerclé de tous les côtés par Daesh. »
Journaliste, Rami présentait le journal télévisé de la chaîne d’État, à Damas. Après la chute du régime dynastique au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle, Rami a fait l’objet d’une campagne en ligne de haine et de propagande par l’offensive rebelle, le désignant comme un « pro Bachar-al-Assad », tout en le menaçant de décapitation.
Une appartenance idéologique qu’il conteste fermement.
Lorsqu’il débute en tant que présentateur télé à Damas en 2005, Rami présente le JT en français, et rédige lui-même ses chroniques. « J’aimais promouvoir la culture française. Je suis issu d’une famille francophone et francophile, j’ai été dans une école catholique libanaise, avec des manuels scolaires en français. »
De 2009 à 2012, Rami est recruté en tant qu’interprète auprès de l’ambassade de France à Damas. En 2011, il n’hésite d’ailleurs pas à se mettre en danger pour protéger le lieu.
« Deux sbires du régime s’y sont introduits, munis de cocktails molotov. Avec mon collègue, nous nous sommes jetés sur eux afin de les mettre hors d’état de nuire. Pourquoi la France, qui est pourtant un pays de valeurs, n’en tient pas compte? »
En 2012, la situation se dégrade considérablement dans le pays. « Soit je quittais la Syrie sans ma famille et le régime se serait vengé sur elle, ou bien je restais travailler contre mon gré pour subvenir à leurs besoins. »
Pour lui, ce n’était pas un choix, mais bien une obligation: « On me reproche d’avoir travaillé pour cette télé, mais j’étais obligé! Il fallait que je m’occupe de ma famille à la mort de mon père. Comment aurais-je fait sans travail? Et puis, on m’aurait accusé de manquer à mon devoir. J’aurais été arrêté, torturé et probablement tué. En Syrie, on ne peut pas dire non, on n’a pas le choix, on me dictait ce qu’il fallait dire, c’est une photocopie de la Corée du Nord », assure-t-il, jurant avoir « vécu un conflit intérieur »: « J’étais coincé entre l’enclume du régime et le marteau de l’opposition. Je veux présenter mes excuses aux Syriens qui pensaient que je voulais leur nuire, ce n’est pas le cas. »
Entré en France en 2020 accompagné de son deuxième frère qui a depuis obtenu le statut de réfugié, Rami revient de loin. Et le chemin à parcourir pour espérer avoir un semblant de vie normale est encore long.
S’il est aujourd’hui parfaitement intégré, comme en attestent sa maîtrise de la langue française et les liens amicaux qu’il a tissés à Toulon, sa demande d’asile a été refusée par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), confirmée par la Cour nationale du droit d’asile par une décision en date du 12 février 2024. Un séisme pour le demandeur d’asile.
« Ça a été un vrai choc pour moi. Ma mère m’appelle en pleurant car elle a perdu un fils et ne peut pas voir les deux autres. J’aime la France, je continue à l’aimer mais je ne comprends pas comment on peut nous lâcher comme ça. Je ne peux plus supporter ça, je ne pourrais pas revivre la perte d’un autre membre de ma famille. Je ne suis pas venu en France pour être torturé psychologiquement », lâche-t-il, désemparé.
« Je me sens rejeté par la société, j’ai 44 ans, je ne travaille pas car je n’ai pas de papiers, Mais je suis déterminé à ne pas craquer, j’aime la France et j’espère qu’elle ne me lâchera pas. Si elle ne m’avait pas accueilli, je serai sûrement mort, mais la situation n’est plus tenable. Il m’est impossible de rentrer en Syrie car le régime actuel adopte quasiment la même politique d’oppression que le précédent. »
En parallèle, un recours gracieux de demande de réexamen a été adressé à l’Ofpra par son avocat Me Gilles Piquois.
Pour lui, le point de non-retour se situe en 2018. Même si la communauté druze a pris part aux manifestations contre le régime, elle est restée en grande partie éloignée de la guerre civile, notamment en évitant l’enrôlement obligatoire dans l’armée syrienne.
« Nous avons ouvert nos maisons aux Syriens qui s’opposaient au régime, nous avons décidé de ne pas envoyer nos enfants dans l’armée. C’est là que le régime de Bachar-al-Assad s’est réellement défoulé contre les Druzes. Des centaines de combattants de Daesh ont attaqué Soueïda, les jeunes femmes ont été violées, d’autres ont préféré se suicider pour éviter de subir des atrocités. »
Arrêté et torturé
À ce moment-là, Rami n’en peut plus. Et craque. « J’ai insulté Bachar-al-Assad avec une collègue, qui a été me dénoncer. J’ai également pris position concernant une intervention de la Russie en Syrie. Ça m’a valu d’être arrêté par La Branche 215 (1). J’ai été torturé, menacé, puis relâché », déroule le journaliste, dont les traces des sévices sont toujours visibles sur son dos.
Il quitte alors ses fonctions, parvient à obtenir un passeport pour quitter la Syrie et être évacué par l’Ambassade de France.
Aujourd’hui, Rami est visé par une Obligation de quitter le territoire français (OQTF), mais sans pays de destination fixé, et vit dans un studio de 20m2 avec son frère, qui travaille. Un salaire pour deux, et de l’inquiétude pour leurs proches à n’en plus finir.
« Ca fait 5 ans que je vis dans une prison à ciel ouvert, mais jusqu’à quand cela va durer? » Malgré l’attente et l’angoisse, il réussit à s’octroyer quelques plaisirs. « Je remercie la France et plus particulièrement les Toulonnais car j’ai une vie sociale et culturelle vraiment riche. J’aime aussi aller me promener du côté de Nice et de Cannes, boire du bon vin, manger de la charcuterie, du fromage. Tout ce qui constitue l’art de vivre à la française ! »
Comme une lueur d’espoir au milieu du chaos, Rami a réalisé un de ses rêves d’antan: « Quand j’étais jeune, je rêvais de travailler dans des vignes. Lors de mon arrivée en France, j’ai pu bosser quelque temps dans celles de La Cadière-d’Azur. »
Un rêve éphémère, qui a vite laissé place à la réalité: « Mais sans statut, je ne peux pas travailler normalement… «
Une chose est sûre: Rami ne compte pas baisser les bras. Et espère recevoir de la France l’humanité et la solidarité dont il rêve. « Si je craque, c’est toute une famille qui flanche. Je me battrai jusqu’au bout. »
1. La Branche 215, surnommée en Syrie « branche de la mort » est un centre de détention et de torture qui dépend des services de renseignements militaires syriens.