Invité dans Forum, l’écrivain et économiste français Jacques Attali dénonce la faiblesse de l’UE face au président Donald Trump, après l’accord prévoyant des droits de douane de 15% sur les exportations européennes aux Etats-Unis. « Tout me dérange: la méthode, les symboles et le contenu », regrette-t-il.
Les Etats-Unis et l’UE ont conclu un accord prévoyant des droits de douane de 15% sur les exportations européennes aux Etats-Unis. Présenté comme un compromis limitant la casse, ce texte est, selon Jacques Attali, écrivain, économiste, ancien conseiller spécial de François Mitterrand, une « scandaleuse capitulation ». « Tout me dérange: la méthode, les symboles et le contenu », regrette-t-il au micro de Forum jeudi.
L’accord protège les intérêts industriels allemands, italiens, mais ne fait rien pour aider à la construction européenne
Jacques Attali, écrivain, économiste, ancien conseiller spécial de François Mitterrand
La méthode est humiliante: Donald Trump a reçu les représentants européens en Ecosse, dans un hôtel qui lui appartient et où il était venu inaugurer un nouveau parcours de golf, explique-t-il. La réunion n’a duré qu’une heure, conclue par la signature d’un « bout de papier » aux « contenus sommaires et vagues ». « Un accord qui protège les intérêts industriels allemands, italiens, mais qui ne fait rien pour aider à la construction européenne », déplore-t-il.
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« Catastrophique »
Jacques Attali, pour qui « tout cela, au niveau des symboles, est catastrophique », fustige notamment les promesses européennes d’acheter des armes ou d’investir en Amérique. Ce sont, selon lui, des engagements totalement virtuels, car « la Commission européenne n’a pas le pouvoir d’en décider. »
C’est la première fois que les États-Unis voient l’Europe démocratique comme une menace
Jacques Attali, écrivain, économiste, ancien conseiller spécial de François Mitterrand
L’UE aurait dû montrer ses griffes, selon lui: « Les Chinois ont montré leurs griffes. Les Japonais aussi. Les Anglais un peu. Nous, on s’est couchés. » Il estime que l’Europe aurait dû menacer à son tour en surtaxant des produits stratégiques que les Etats-Unis ont besoin d’exporter: leurs voitures, leurs machines-outils, leur « junk-food », assène-t-il. « L’Europe est très puissante. Ça reste le deuxième marché économique du monde (…). Nous avions les moyens de faire beaucoup mieux. »
La Suisse ne fait pas mieux. A quelques heures de l’annonce promise par Trump sur les droits de douane helvétiques, la présidente de la Confédération Karin Keller-Sutter a déclaré que « tout est dans les mains de Donald Trump ». Un fatalisme que Jacques Attali critique. « Il faut être dans le rapport de force tant qu’on peut l’être (…). C’est la première fois que les États-Unis voient l’Europe démocratique comme une menace. Il faut leur faire comprendre que ce n’est pas leur intérêt de nous affaiblir. »
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La Chine, grande gagnante?
Donald Trump espère remplir les caisses de l’État et attirer les entreprises étrangères. Mais, selon Jacques Attali, « un boulanger a intérêt à ce que ses clients soient heureux, sinon ils ne reviennent plus. En agissant ainsi, Trump pousse les Européens – en tout cas ceux qui ne céderont pas au vertige de la soumission – à se distinguer, voire à se tourner vers la Chine. »
Il voit dans ces tensions un symptôme du déclin américain. « La part du PIB américain dans le PIB mondial décline depuis au moins 20 ans maintenant. Il reste pour le moment la première puissance militaire du monde. » Mais dans trois ans, tout pourrait changer: « la première puissance militaire sera la Chine. Les Etats-Unis ne seront plus en état de défendre Taïwan et le Japon. »
Quand Trump a voulu imposer des restrictions à la Chine, cette dernière a cessé de lui vendre des terres rares et elle n’a plus répondu au téléphone. Les Américains ont vite changé d’attitude
Jacques Attali, écrivain, économiste, ancien conseiller spécial de François Mitterrand
Faut-il pour autant se tourner vers Pékin? Jacques Attali nuance: « La Chine est un partenaire qu’il faut considérer au moins comme une alternative, dans la mesure où les États-Unis nous rejettent. Il faut garder à l’esprit que nous avons à diversifier nos alliances pendant que nous construisons notre autonomie », souligne-t-il.
Et de rappeler une anecdote significative dont l’UE pourrait s’inspirer: « Quand Trump a voulu imposer des restrictions à la Chine, cette dernière a cessé de lui vendre des terres rares et elle n’a plus répondu au téléphone. Les Américains ont vite changé d’attitude et ont accepté la position chinoise (…). Nous, Européens, nous ne sommes pas en situation de rapports de pouvoir de ce genre. Mais il faut le devenir. »
Propos recueillis par Thibaut Schaller et Anne Fournier
Adaptation web: Fabien Grenon