Sur le marché des Lices, dès 8h, un curieux personnage en marinière bleu et aux cheveux en bataille se pose au milieu des commerçants. Une chaise, une guitare, et voilà. Rodrigue Pailhès, chanteur de rue, peut démarrer sa journée. Avec sa guitare, il fredonne des paroles de Brassens pour accompagner les premiers clients venus faire leurs emplettes du matin.

À 51 ans, il traîne avec lui une belle réputation dans la capitale bretonne. « Les gens me connaissent bien car je suis chanteur de rue depuis 1993. J’ai commencé quand j’avais 19 ans ! »

Formé à Rennes 2

À l’époque, Rodrigue, qui a passé toute son adolescence en Picardie, vient d’arriver sur Rennes pour des études de musicologie. « J’ai rencontré des musiciens à Rennes 2. Le soir on sortait boire des coups et en même temps on faisait de la musique celtique, du rock, du blues et on chantait. » Il commence à se produire dans la rue en groupe, puis, il y va seul. « La première fois ça fait vachement peur », se remémore Rodrigue. « J’étais rue d’Estrées et cette journée-là, j’avais gagné 300 francs alors qu’à l’époque, je vivais avec 1 000 francs par mois. Ce que je me souviens surtout, c’est de mon simple plaisir de chanter. »

32 ans plus tard, la passion ne l’a pas quitté. « J’adore ce que je fais… J’aime aussi simplement regarder les gens qui passent. Je peux observer une rue pendant 8h et je ne m’ennuie pas. J’essaie d’imaginer à quoi pense un enfant de 3 ans et demi ou une vieille dame qui achète ses poireaux. C’est très vivant en fait, c’est sans doute pour ça que je ne m’en lasse pas. » Pas besoin d’un public fourni. Quelques passants et ça lui suffit.

Rodrigue Pailhes est une figure bien connue des Rennais.Rodrigue Pailhes est une figure bien connue des Rennais. (David Brunet)

Parfois, certaines personnes osent s’arrêter et discuter avec lui. « Ça en laisse beaucoup indifférent mais ce n’est pas grave » rigole-t-il. « Il y a quand même plein de gens qui viennent me voir. Tous ces petits moments, toutes ces petites discussions avec des personnes différentes, c’est ça qui me plaît. »

Un habitué des Lices

À Rennes, Rodrigue traîne sa guitare de rue en rue, changeant toutes les heures car la réglementation le lui impose. « Parfois je triche un peu, je fais une heure et quart au même endroit » souffle-t-il. « Je me pose rue le Bastard, rue Vasselot, rue de Toulouse et tous les samedis au marché des Lices. » Et justement, le marché, il le connaît par cœur après toutes ces années. « Les commerçants, je les vois changer. Il y en a que je connais depuis 30 ans » raconte Rodrigue. « Je me souviens, il y avait le père, le grand-père et même le petit-fils qui venait apprendre le métier. On voit les générations évoluer dans les commerces. »

Et le samedi matin, l’évènement s’est vite imposé comme incontournable dans son agenda. Car toutes les semaines, son public est au rendez-vous.
« Il y a toujours beaucoup de monde au marché, c’est bien mais aussi très énergivore. Quand je reviens des Lices, je suis lessivé ! » s’exclame-t-il. « Je rentre, je mange, je dors. J’arrive au marché à 8h du matin et je rentre chez moi à 14h, sans pauses ! »

Des mauvais souvenirs

Sur le marché des Lices, les bons souvenirs côtoient aussi les mauvais. Rodrigue se souvient des quelques fois où des commerçants, remontés, s’en sont pris à lui. « Parfois, il y en a un qui gueule sous prétexte que je l’embête, puis il commence à monter ses voisins contre moi. Une fois, je m’étais fait virer d’un stand car des gens sont allés parler à la police. C’est moche. »

Malgré tout, le chanteur ne baisse pas les bras et reste fidèle au poste. « Tous les jours faut y aller, faut gagner de l’argent, même s’il y a des jours où je n’ai pas envie d’y aller. Quand on fait les choses avec passion et qu’on sait pourquoi on les fait… on est content de les faire ». Et quand on lui parle d’avenir, Rodrigue nous répond en rigolant : « Je n’ai pas plus de plans maintenant que quand j’avais 20 ans ! ». De cette phrase, comprenez que la musique n’est pas près de s’arrêter sur le marché des Lices.