N’y a-t-il pas une contradiction française de se vanter, d’une part, d’être le pays qui attire le plus de touristes au monde et, d’autre part, de se plaindre d’un envahissement?
Effectivement, il y a une contradiction. Quand il était ministre des Affaires Étrangères et du Tourisme, Laurent Fabius s’était fixé 100 millions de touristes par an, chiffre que nous avons atteint en 2024.
C’est important parce que c’est au moins 8% du PIB, et en plus, les emplois qui en découlent permettent souvent à des gens qui n’ont pas une très haute formation de travailler, dans la restauration, les hôtels, les campings etc. Ce discours d’envahissement pose un vrai problème. C’est vrai que le touriste est un envahisseur qui transforme les sociétés. Le vrai problème du surtourisme est dû selon moi à une absence totale de politique touristique.
On laisse se déverser des dizaines de millions de personnes – un milliard et demi de personnes sur le globe – sans aucune gestion des flux.
Pour la Corse, on pourrait par exemple décider qu’il y a tant de bateaux par jour et tant d’avions à prévoir en haute de saison évidemment. Prenez l’exemple du Louvre. Le musée ferme le mardi. Et à 18h le samedi et le dimanche. On est où? J’ai suggéré à plusieurs ministres concernés de l’ouvrir tous les jours et en soirée. Sans réponse. Pourquoi on irait au cinéma le soir et pas au Louvre? Pourquoi Disneyland Paris est ouvert tous les jours et pas le Louvre? Il y a trop de monde au Louvre car il est ouvert à mi-temps. Dans le sud, on a régulé la calanque de Sugiton et les gens sont ravis car ils savent qu’ils n’y seront jamais en nombre.
Vous êtes donc favorable à une régulation?
Je suis favorable à la régulation numérique du tourisme, pas financière. Le tourisme doit avoir son double numérique, c’est-à-dire que nous devrions pouvoir en permanence, sur Internet, estimer le nombre de visiteurs attendus sur tel site à la date que l’on a choisie, le temps d’attente estimé pour telle visite. Le tout sur les bases des archives. Nous devons mettre sur pied une France numérique du tourisme. Le flux non contrôlé actuel revient à lâcher sur l’autoroute des automobilistes sans prévenir des bouchons. Le but, c’est de se dire que le touriste doit être cool, C’est la stratégie prônée par la mairie de Barcelone, qui a analysé tous les flux entre ceux qui viennent des campings pour manger une fois sur les ramblas, à midi, en plein soleil, ceux qui viennent par passion du patrimoine, ceux qui viennent le temps d’une journée, etc. La mairie propose ainsi des alternatives, d’autres quartiers, d’autres restaurants, afin que tous ces gens-là ne se croisent pas.
Il faut bien tenir compte aussi du calendrier des vacances…
C’est un vrai problème car le tourisme est bloqué par la politique du temps de l’Éducation nationale. Nous avons les vacances intermédiaires les plus longues d’Europe, ce qui est totalement absurde avec ce système des 15 jours étalés par région. C’est d’autant plus absurde qu’un des grands enjeux des vacances intermédiaires, c’est les grands-parents. Or, 50% des gens ne vivent pas dans leur département de naissance. Étaler les vacances intermédiaires, ça empêche le lien entre les grands-parents et les petits-enfants, et surtout ça empêche qu’ils s’en occupent quand les parents travaillent.
Tout cela n’est pas pensé. Il faut donc diminuer les vacances intermédiaires et les replacer à une date symbolique, les vacances de Pâques, c’est à Pâques et pas en mai!
Pour désengorger le calendrier, il serait judicieux d’autoriser les parents à prendre une semaine de vacances libres par année, comme le font les profs avec les voyages scolaires. Les familles pourraient ainsi partir quand c’est moins cher, et on pourrait par exemple partir skier quand il y a de la neige.
L’emploi du temps des familles manque de souplesse?
On a fait les 35 heures, on a fait le télétravail, on a amené l’emploi féminin à 85%. Ce sont des changements structurels du temps des familles. Il faut maintenant mettre de la souplesse du côté des familles. Quand je dis ça, les syndicats d’enseignants s’indignent car ils ne pensent pas en priorité à la famille et à l’enfant, qui sont le cœur du lien social. Quand les profs font de la formation, ça ne les gêne pas de ne pas faire cours.
Vous évoquez une démocratie réelle du tourisme. C’est quoi?
Le fait que les jeunes des quartiers ne partent pas est un vrai problème. Car c’est en vacances que l’on a son premier rapport amoureux. Les garçons tuent le temps entre garçons, avec ensuite des rapports aux femmes difficiles. Le lieu de crispation de la banlieue, c’est le non-départ en vacances.
À lire: « Quand le tourisme s’éveillera ». Jean Viard et Linda Lainé. (Éditions de l’Aube). 236 pages, 21 euros.