Il y a 50 ans étaient signés les accords d’Helsinki, marquant une étape décisive dans l’histoire de l’après-guerre en Europe. Une signature dans le cadre de la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe (CSCE). À cette occasion, Volodymyr Zelensky a appelé le monde à œuvrer pour « un changement de régime en Russie ». Cyrille Bret, géopoliticien, maître de conférences à Sciences Po Paris, chercheur associé spécialiste de la Russie et de l’Europe orientale à l’Institut Jacques Delors, est notre invité.
RFI : Comment expliquez-vous le regain de violence sur le terrain militaire ukrainien ?
Cyrille Bret : C’est le pari de Vladimir Poutine. La violence paye, la violence militaire paye et la remise en cause par les armes des traités internationaux paye. Et donc la priorité est donnée à la force. La priorité est donnée à l’action et au terrain. C’est-à-dire au champ de bataille, au rapport de force hors du champ de bataille, dans le domaine économique, dans le domaine cyber. Et c’est ainsi effectivement que l’Europe se trouve désormais non plus être un territoire de droit, mais un champ de confrontation des forces et des puissances.
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Comment expliquer que les forces armées russes ont lancé autant de drones contre l’Ukraine en juillet dernier ? Presque 6 300 selon une analyse de nos confrères de l’AFP qui a été publiée vendredi…
La raison stratégique transparaît dans votre question. C’est-à-dire que depuis le début de l’année, les autorités russes essaient de remporter le maximum de victoires sur le terrain pour aborder d’éventuelles négociations forcées par les États-Unis en position avantageuse. Sur le plan tactique, les drones, c’est beaucoup moins coûteux en homme, c’est beaucoup moins coûteux financièrement que des missiles. Et puis c’est saturant. C’est-à-dire que ça sature les défenses antiaériennes. Et puis sur le plan industriel, ça montre que l’industrie russe de défense s’est transformée depuis trois ans et est allée vers des solutions low cost high tech à l’instar de ce que l’Ukraine a réussi à faire très vite, avec l’aide des occidentaux et avec l’aide également de la Turquie.
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Les accords d’Helsinki ont célébré leurs 50 ans. Ils reposent sur trois principes : l’inviolabilité des frontières, la souveraineté des États et le respect des droits de la personne. Est-ce qu’on peut considérer les accords d’Helsinki comme bel et bien morts ?
Oui, ils ont été remis en cause le jour où les forces russes ont franchi officiellement la frontière internationalement garantie de l’Ukraine et ils sont également morts dans la mesure où vous l’avez rappelé, les autres principes des accords d’Helsinki de 1975, c’est l’autonomie des États. C’est-à-dire en fait la non-ingérence des États dans la vie, les institutions, les régimes politiques des autres. À l’époque, en 1975, ça voulait tout simplement dire qu’un État capitaliste n’appelait pas, et ne cherchait pas à faire d’un État communiste, un État de l’Ouest et réciproquement. Ça voulait dire que les États communistes ne remettaient pas en cause le choix du régime et de la nature de l’économie à l’Ouest. Donc, on était dans un statu quo. Ça n’est plus du tout le cas. Les autorités russes appellent depuis de nombreuses années à des changements institutionnels de régime à l’Ouest. Et réciproquement, on l’a entendu, le président ukrainien, et de très nombreuses voix en Europe, appellent à un changement de régime en Russie. L’esprit d’Helsinki, cet équilibre, est bel et bien mort et le droit ainsi que les populations civiles en sont les principales victimes.
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Ça veut dire qu’il faudrait repenser ces accords ?
Oui, ça fait des années, malheureusement, que plusieurs voix s’élèvent, y compris la mienne, pour qu’on rebâtisse une architecture comparable à celle des accords d’Helsinki. On en est très loin puisque la condition de sensibilité de ces accords d’Helsinki en 1975, c’était la conscience et l’espoir de deux côtés du rideau de fer qu’il était impossible de remettre en cause par les armes cet équilibre stratégique. On n’en est plus du tout là. Les protagonistes et les différents États en Europe croient dans la force militaire et voient qu’elles payent. Notamment dans la façon dont la Russie a mis la main littéralement par les armes sur plus de 1/5 du territoire ukrainien. Et donc cette architecture de sécurité collective doit commencer à être bâtie dès maintenant par des petits pas, naturellement.