D’abord, Arnaud Deslandes, qui êtes-vous ?

Je suis né il y a 42 ans à Charleville Mézières dans les Ardennes et je suis arrivé à Lille il y a 25 ans pour faire mes études à Sciences Po. J’étais destiné à aller à Reims ou Paris. C’est mon grand-père qui a joué un rôle important dans cette affaire. C’était un vieux socialiste de toujours, il m’avait dit que Lille était la ville du socialisme et que j’y serais bien. Et il avait raison ! Je m’y suis vite senti bien. J’y ai d’abord vécu une vie étudiante, avec l’envie de connaître cette ville et de m’y engager. C’est à Lille que je suis entré dans le Mouvement des jeunes socialistes en 2002 puis au Parti socialiste en 2004. Je suis arrivé à la mairie en 2005 pour un stage et je n’ai plus quitté ni la mairie ni cet engagement que j’ai pour Lille. Je m’y suis installé et j’y ai fondé une famille.

Comment vous sentez-vous avec l’écharpe de maire de Lille ?

J’ai à l’esprit l’exceptionnelle lignée des grands maires socialistes avant moi depuis Gustave Delory, Roger Salengro, Augustin Laurent, évidemment Pierre Mauroy et bien sûr Martine Aubry. Ça m’incite à une forte humilité parce que je sais que j’ai à faire mes preuves, et je souhaite, autant que possible, emprunter le chemin que mes prédécesseurs ont tracé. Pour cela, je sais que je ne suis pas seul, et c’est précieux. Je suis entouré d’un collectif d’élus talentueux et impliqués qui est tourné vers l’avenir et prêt à m’aider dans cette tâche.

Quels conseils Martine Aubry vous a-t-elle donnés en vous passant le flambeau ?

D’être moi-même et d’être attentif aux autres. Ce souci des autres était celui de Martine et je l’endosse complétement. Ce souci des autres était celui de Martine Aubry et je l’endosse complétement. Au centre de ses décisions, il y a toujours eu l’humain. Combien de fois n’a-t-elle pas rappelé que derrière chaque dossier, chaque projet, il y a des hommes et des femmes qui comptent sur nous. Elle a toujours été convaincue qu’une ville qui donne sa place à chacun et est attentive à tous, quelles que soient les différences sociales, culturelles ou encore générationnelles, pourra se développer durablement et dans la justice.

Quand elle vous a proposé de prendre sa succession, quelle a été votre réaction et y avez-vous réfléchi longtemps ?

Il n’y a pas eu une date précise où elle m’a dit que ce serait moi. La décision a été collective avec le choix de la meilleure option pour Lille. J’ai eu le temps de me préparer à cette idée et j’étais prêt à devenir maire de Lille. Je ne suis pas envahi par le vertige depuis le 21 mars. Je sais que je dois faire les choses avec humilité, que j’ai de nombreuses responsabilités mais encore une fois, j’étais prêt.

Photo Daniel Rapaich

Quelle est la réalisation emblématique menée par votre équipe dont vous êtes le plus fier ?

En fait, il y en a deux, qui n’ont rien à voir ensemble. La première, la plus importante à mes yeux, est de rendre un accueil inconditionnel et universel. C’est à travers la Maison des Solidarités, à la Porte des Postes, où tout Lillois en difficulté est accueilli personnellement et se voit apporter conseils et solutions. C’est aussi le projet Kilimandjaro que j’ai porté avec le collectif « Le Souffle du Nord » et dont je suis fier. C’est un nouveau type d’hébergement provisoire : des bureaux délaissés à Bondues transformés en centre d’hébergement d’urgence pour des familles avec enfants à la rue. Au total, une cinquantaine de personnes qui ne sont pas prises en charge par les services de l’État dont c’est pourtant la compétence.

Je citerais aussi les métamorphoses paysagères. Même si la ville se transforme depuis plus de vingt ans, cette requalification de rues emblématiques imprime fortement ce mandat et témoigne de notre capacité à nous adapter aux enjeux climatiques avec des plantations d’arbres, l’utilisation de revêtements différents pour éviter les îlots de chaleur. Plus de place est donnée aux piétons, aux vélos, aux transports en commun, et dans le même temps, la voiture est à sa juste place, sans jamais la bannir. Et ce, tout en soignant la qualité patrimoniale. Je prends toujours l’exemple de la place Jeanne d’Arc refaite, avec sa statue au centre qui donne une autre perspective à la rue Solférino ou celui de la Porte de Paris. Une grande ville européenne et rayonnante comme Lille doit allier cette dimension prestigieuse à la qualité des usages.

Selon vous, quelles sont les principales préoccupations des Lillois aujourd’hui ?

Les Lillois ne sont pas différents des Français. Ils ont des préoccupations liées à leur pouvoir d’achat, à l’avenir de leurs enfants, à la crise économique et sociale. Mais je dirais que leur préoccupation majeure, c’est la sécurité. On ne vit pas bien dans une ville quand on ne s’y sent pas en sécurité. Et, aujourd’hui, la délinquance, générée par les trafics de stupéfiants qui ont gangréné une partie de la ville, continue de se développer. On le constate partout en France, et malheureusement, Lille ne fait pas exception. On n’a pas eu la réponse que l’on devait avoir de l’État, c’est-à-dire des effectifs de Police nationale supplémentaires sur le terrain et au sein des services d’investigation. Notre proximité géographique avec les ports d’Anvers et de Rotterdam n’arrange rien. C’est de là que transitent tous les produits, d’où le besoin d’avoir des effectifs supplémentaires à hauteur de cette réalité. Certains secteurs sont accaparés par les dealers, parfois par les toxicomanes aussi, avec des habitants qui sont évincés de leur propre espace public. Particulièrement les femmes et les familles. Je partage cette préoccupation et je vais continuer à me battre pour qu’il y ait plus de sécurité dans tous les quartiers.

Quelles sont vos priorités pour les prochains mois avant les élections municipales en mars 2026 ?

D’abord finir ce qu’on a commencé. La plupart des engagements pris sont finis ou en cours. Par exemple, terminer les métamorphoses paysagères. Continuer la rénovation urbaine dans les quartiers, notamment à Concorde et aux Bois-Blancs. Construire la piscine de la Porte d’Arras. On va avoir besoin de ce bassin de 50 mètres avec 10 couloirs de nage pour remplacer la piscine Marx Dormoy qui va fermer.

Poursuivre aussi des projets de solidarité, comme le deuxième étage du centre d’hébergement d’urgence « Saint-Exupéry » boulevard de Strasbourg, et se mettre en ordre de marche pour affronter la prochaine trêve hivernale. Autant de projets lancés qu’il faut amener à leur terme. Et aussi poser des jalons pour l’avenir, comme par exemple, la piétonnisation de la Grand’Place en lançant une concertation. J’ai entendu dire que c’était facile, qu’il suffisait de prendre un arrêté municipal ! Dans l’absolu oui, mais il ne s’agit pas d’agir dans la brutalité. Ça se prépare, particulièrement avec les commerçants et les riverains. Il faut réfléchir comment on repense le plan de circulation dans ce secteur.

La question des droits des familles monoparentales et des mamans solos sera également au cœur de ce que l’on doit mettre en place dans les prochains mois. Ça concerne les modes de garde, l’accès aux loisirs, à la santé, à l’emploi, pour aller vers un mieux vivre de ces familles.

Et puis, on vient de créer une délégation spécifique au soutien des aidants au conseil municipal du 21 mars, pour faciliter le quotidien de nombreuses personnes qui sont débordées et éprouvées parce qu’elles s’ajoutent une tâche supplémentaire qui est d’aider un proche dans la maladie ou la difficulté.

En quoi vos fonctions précédentes à la mairie de Lille, en tant que conseiller au cabinet, puis directeur de cabinet et enfin adjoint, vous sont-elles utiles dans votre mission d’aujourd’hui ?

Ce sont des années de « formation » où j’ai beaucoup appris au contact des élus et des agents. Ce sont autant d’expériences précieuses qui m’ont permis de connaître cette ville mieux que personne, je le dis humblement. J’ai sillonné tous les quartiers, toutes les rues, j’ai vu un nombre incalculable d’acteurs de la ville, associatifs, économiques, sportifs, culturels, des centres sociaux. Ces vingt ans d’engagement pour Lille m’ont permis d’être au contact de chacun et de prendre conscience aussi de ce qui m’attend en tant que maire de Lille avec cette tâche de devoir parfois concilier des demandes contradictoires.

interview AD 3

Avez-vous d’autres passions que la politique ?

Oui, quand même et fort heureusement ! La lecture d’ouvrages historiques et de romans plus actuels. J’ai de plus en plus besoin de lire autre chose que de la politique ou de l’histoire politique. Le livre majeur pour moi, c’est « Leurs enfants après eux » de Nicolas Mathieu, qui raconte la réalité d’une partie du pays et notamment de la France périphérique délaissée. Une autre œuvre, classique celle-ci, qui m’a beaucoup touché est « Mémoires d’Hadrien » de Marguerite Yourcenar qui mêle littérature et histoire antique, et aussi « Veiller sur elle » de Jean-Baptiste Andrea, prix Goncourt 2023, une histoire d’amour et de mystères dans l’Italie du XXe siècle.

J’ai aussi une passion pour le sport. J’ai longtemps fait du handball à un niveau assez élevé, mais, comme il n’y avait pas de club quand je suis arrivé à Lille, j’ai tout arrêté. J’adore le foot. Je suis un grand supporter du LOSC. J’adore aussi le cyclisme. Je suis d’ailleurs ravi que le Tour arrive chez nous cet été. Je suis également fan de biathlon. Au départ c’était la passion de ma femme avant de devenir la mienne.

Quel autre métier auriez-vous aimé exercer ?

Quelque chose d’atypique où toutes mes passions se cumuleraient. J’ouvrirais une boutique qui serait à la fois librairie, cave et restaurant, avec peut-être une télé pour retransmettre les événements sportifs ! Mais dans la réalité, depuis le vendredi 21 mars dernier, je fais le métier que j’avais très envie de faire !

Sa biographie

  • Arnaud Deslandes est né le 22 octobre 1982 à Charleville-Mézières (Ardennes)
  • 1982-2000 : enfance et scolarité dans sa ville natale 
  • 2000 : bac ES 
  • 2000 : intègre la classe préparatoire littéraire de Janson de Sailly (Paris)
  • 2001-2007 : Sciences Po Lille (filière service public)
  • 2007 : maîtrise de droit privé de science criminelle (Lille 2)
  • 2008 : maîtrise de droit des affaires (Paris)

Son parcours à la mairie de Lille

  • 2005 : intègre les équipes du cabinet du maire
  • 2007 : conseiller technique
  • 2013 : directeur de cabinet
  • 2020 : adjoint en charge de la Solidarité et de la cohésion des territoires (Action sociale, CCAS, Politique de la ville, Centres sociaux). À cette fonction, il pilote la mise en place du Plan de lutte contre les exclusions en 2002, l’ouverture de la Maison des Solidarités en 2024, du nouveau Contrat de ville en 2024
  • 2023 : élu premier adjoint. Il prend en plus de sa délégation, les compétences économiques (commerce, artisanat, développement soutenable). Il pilote alors notamment la stratégie commerce de la Ville adoptée en 2023
  • Mars 2025 : élu maire de Lille.

> Article issu du Lille Mag numéro 160 (édition avril mai 2025), à lire ici en version numérique.