Les autorités canadiennes de santé publique ont rapporté vendredi 232 nouveaux cas de rougeole au pays, portant le bilan à 4206 infections en 2025. Le Canada n’a pas connu autant d’infections depuis plus de 30 ans, et plusieurs experts craignent que la situation empire dans les mois à venir.
Le Canada vit sa pire épidémie de rougeole depuis que la maladie a été déclarée éliminée au pays en 1998. Et on est seulement à la moitié de l’année, rappelle le Dr Jesse Papenburg, pédiatre, infectiologue et microbiologiste à l’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre universitaire de santé McGill.
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Avec 6152 Canadiens infectés, l’année 1991 est la dernière où le Canada a recensé plus de 4000 cas. De 1998 à 2024, il y a eu en moyenne 91 cas de rougeole signalés au Canada chaque année.
C’est désolant de voir une maladie supposément éradiquée ressurgir. Il y a 10 ans, on était choqués quand il y avait 10 cas par année, dit la Dre Lynora Saxinger. Pour cette spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital de l’Université de l’Alberta, il est clair que l’épidémie de rougeole au Canada n’est pas endiguée.
C’est quelque chose que, en tant que spécialiste de maladies infectieuses, je ne pensais jamais voir au Canada, se désole la Dre Saxinger.
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La Dre Lynora Saxinger est médecin spécialiste des maladies infectieuses à l’Université de l’Alberta.
Photo : John Ulan/Ulan Photography
Neuf provinces et les T.N.‑O. touchés
De la mi-février à la mi-mai, l’Ontario était au cœur de l’épidémie. On y rapportait entre 100 et 200 nouveaux cas par semaine.
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Rappelons que les premières infections au pays sont survenues lors d’un mariage mennonite au Nouveau-Brunswick en octobre 2024. Certains invités ont ensuite propagé le virus à leur retour à la maison en Ontario.
Depuis, les cas commencent à surgir hors de ces communautés et dans de plus en plus de régions à travers le Canada.
En ce moment, la majorité des nouveaux cas sont déclarés en Alberta. Cette province rapporte en moyenne 109 nouvelles infections par semaine depuis mai. Désormais, l’Alberta compte davantage de cas de rougeole que l’ensemble des États-Unis (1333 cas).
Les autorités surveillent aussi la situation à travers le pays. La Colombie-Britannique, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse ont rapporté chacun une vingtaine de nouveaux cas dans la semaine du 13 au 19 juillet.
On commence à voir le virus un peu partout et ça, c’est inquiétant.
Une citation de Dre Lynora Saxinger, spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital de l’Université de l’Alberta
Le retour en classe risque d’augmenter la transmission du virus, craint-elle.
L’Association médicale de l’Alberta a d’ailleurs sonné l’alarme, disant craindre que, sans action immédiate, la province perde la maîtrise de la situation à la rentrée.
La situation est telle que le Canada perdra fort probablement son statut d’éradication de la rougeole, reconnu depuis 1998, selon le médecin et chercheur Brian Ward, professeur à la division des maladies infectieuses au département de médecine de l’Université McGill.
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Dr Brian Ward, spécialiste des maladies infectieuses au Centre de recherche du Centre universitaire de santé McGill.
Photo : Radio-Canada / Jean-Francois Michaud
Les taux de vaccination en cause
Pourquoi certaines provinces ont-elles davantage de cas? Et pourquoi le Canada a-t-il beaucoup plus de cas que plusieurs pays, comme les États-Unis (1333), le Mexique (1156), la France (483) et la Grande-Bretagne (2900)?
Je pense qu’il y a quand même un élément de malchance. On a eu la malchance que des cas surviennent dans des communautés avec de très faibles taux de vaccination, dit le Dr Papenburg.
Parmi les Canadiens infectés, 86 % n’ont pas été vaccinés.
Après tout, le risque d’une éclosion importante de rougeole plane depuis plusieurs années.
Pour la Dre Saxinger, ce n’était qu’une question de temps avant que le Canada soit confronté à autant de cas de rougeole. C’est un virus hautement contagieux et nous savons que les taux d’immunisation au Canada ne sont pas assez élevés.
D’ailleurs, en mars 2024, des chercheurs britanno-colombiens avaient averti que les risques d’une épidémie importante de rougeole étaient grands au Canada.
Puisque la rougeole est une infection virale extrêmement contagieuse (elle se transmet par des gouttelettes en suspension dans l’air), il faut un taux de vaccination de 95 % (nouvelle fenêtre) et plus pour établir l’immunité collective et prévenir des éclosions.
Si une personne infectée va dans des communautés où le taux de vaccination est bas, ça empire la situation. C’est comme si on allumait un feu là où il y a de la sécheresse.
Une citation de Dre Lynora Saxinger, spécialiste des maladies infectieuses à l’Hôpital de l’Université de l’Alberta
En Alberta, 68 % des enfants qui ont atteint l’âge de 2 ans en 2024 étaient immunisés.
Plus de 60 % des zones sanitaires en Alberta ont connu un recul dans le taux de vaccination de 2023 à 2024. À certains endroits, la baisse est de plus de 10 %.
En Ontario (nouvelle fenêtre), seulement 70 % des enfants de 7 ans avaient reçu deux doses du vaccin en 2023-2024. Une seule région sociosanitaire avait un taux de vaccination de plus de 95 %.
En Colombie-Britannique, la proportion d’enfants de 7 ans immunisés contre la rougeole est passée de 90,9 % en 2013 à 72,4 % en 2023. Plusieurs régions ont des taux de vaccination en deçà de 50 %.
Seulement une école secondaire du Québec sur trois atteint l’objectif de la santé publique de vacciner 95 % des jeunes contre la rougeole.
Le Dr Papenburg félicite les efforts déployés par la santé publique du Québec lors de l’éclosion de 2024 pour améliorer les taux de vaccination. Mais malgré cela, on a encore des écoles qui ont des taux de vaccination bien en dessous du 95 % souhaité.
En fait, dans certaines écoles au Québec, le taux de vaccination est inférieur à 50 %.
Honnêtement, nous sommes chanceux qu’il n’y a pas eu encore d’éclosion majeure au Québec en 2025.
Une citation de Dr Jesse Papenburg, pédiatre, infectiologue et microbiologiste à l’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre universitaire de santé McGill
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Jesse Papenburg est pédiatre, infectiologue et microbiologiste à l’Hôpital de Montréal pour enfants du Centre universitaire de santé McGill.
Photo : Photo fournie par Jesse Papenburg
Près du tiers des cas rapportés au Canada en 2025 concernant des adultes et de plus en plus d’adolescents sont infectés, autre signe de la baisse soutenue du taux de vaccination depuis plusieurs années, dit le Dr Papenburg.
Le Canada pourrait continuer à voir des milliers de cas annuellement si les taux de vaccination ne s’améliorent pas, préviennent ces experts.
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Je pense que ça va prendre des efforts soutenus pendant longtemps pour qu’on réussisse à avoir une couverture vaccinale adéquate. Il faut que ça devienne une priorité, estime le Dr Papenburg.
Mais contrer l’hésitation vaccinale est un processus qui prend beaucoup de temps et de ressources, rappellent les Drs Ward et Saxinger, sans compter que la pandémie de COVID-19 a accéléré l’hésitation vaccinale.
Ceux qui propagent de la désinformation [à propos des vaccins] sont très adeptes et réussissent à faire peur aux parents. Il faut adopter une approche plus délicate, sans jugement, pour pouvoir les convaincre de faire vacciner leurs enfants, croit le Dr Ward.
2:10Des complications sévères possibles associées à la rougeole
J’ai bien peur que les gens réalisent l’impact de cette maladie seulement lorsqu’on aura beaucoup plus de cas, craint la Dre Saxinger.
La rougeole n’est pas une maladie infantile bénigne, insiste le Dr Papenburg.
La rougeole peut avoir un effet majeur sur le système immunitaire, ajoute le Dr Ward.
La rougeole détruit le système immunitaire parce que le virus se multiplie dans nos cellules immunitaires et les détruit. Ce sont les infections secondaires qui mènent à des hospitalisations, explique le Dr Ward qui, au cours de sa carrière médicale, a observé des milliers de cas de rougeoles au Pérou, aux États-Unis et au Zimbabwe.
Il ajoute que la rougeole rend également la personne infectée susceptible d’attraper toutes sortes d’autres infections.
Nous devons expliquer aux gens que leur système immunitaire ne sera peut-être plus le même qu’avant la rougeole. Nous devrions expliquer à la population que la rougeole agit comme le VIH : le virus cible votre système immunitaire et le désactive pendant plusieurs mois. Je pense que beaucoup de gens, s’ils entendaient cette information, changeraient peut-être d’avis sur la vaccination.