17/02/2024. Munich, Allemagne. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, rencontre Keir Starmer, alors chef de l’opposition britannique, lors de la Conférence sur la sécurité de Munich 2024.
©Christophe Licoppe / Service audiovisuel de la Commission européenne
Dans cet article d’une série pour la campagne « Et si… ? » des Jeunes Européens Fédéralistes, Jonathan Saunders, International Officer pour le Royaume-Uni, écrit pour The New Federalist sur l’histoire des relations d’après-guerre entre la Grande-Bretagne et l’Europe, les raisons du Brexit, et ce qui l’aurait évité.
“ Je veux parler de la tragédie de l’Europe, ce continent noble, le siège de toutes les races parentes du monde occidentale, la fondation de la foi et de l’éthique chrétiennes, l’origine de la plupart de la culture, des arts, de la philosophie et de la science des époques anciennes et modernes. Si l’Europe s’unifiait dans le partage de ce patrimoine commun, il n’y aurait aucune limite au bonheur, à la prospérité et à la gloire dont ses millions d’habitants profiteraient.”
Winston Churchill, alors chef de l’opposition au parlement britannique, un ancien homme d’État, dans la cinquième de ses sept décennies comme député, s’était adressé à un auditoire d’universitaires et étudiants à l’Université de Zurich in 1946, en exprimant son soutien pour un manifeste pour une Union Européenne, écrit par l’intellectuel autrichien-japonais Richard von Coudengrove-Kalegri.
En louant le défunt Premier ministre français socialiste, Aristide Briand, pour la tentative de ce dernier de sauver la Société de Nations, Churchill a affirmé que seulement l’union de la France et l’Allemagne sous la bannière de l’Europe pourrait assurer la longévité des Nations Unies. L’approbation de Churchill pour l’intégration européenne a ajouté de la crédibilité et du dynamisme à la cause. Deux années plus tard, il a présidé des centaines de députés nationaux au Congrès de la Haye.
68 années plus tard, le pays de Churchill — le pays de ma naissance — a voté de se retirer de cette Union Européenne créée selon son image. Certains ont affirmé que le soutien de Churchill pour l’Europe est exagéré ou sorti de son contexte. D’autres ont affirmé que l’UE actuelle est bien différente de celle qu’il a préconisée. Ni l’une ni l’autre de ces déclarations ne pourraient être plus fausses. La place de Churchill parmi les pères fondateurs de l’UE est bien méritée, même si le Royaume-Uni n’est plus un État membre.
Churchill, père fondateur de l’Europe
Alors, pourquoi le divorce entre la Grande-Bretagne et l’Europe était-il si hargneux ? Je ne crois pas qu’un seul facteur l’ait influencé — ni l’économie britannique et ses régulations, ni l’immigration et sa société multiculturelle, ni une perte de contrôle sur ses affaires domestiques — mais une série d’opportunités manquées, pour la Grande-Bretagne de jouer un rôle de premier plan dans la politique européenne, auquel Churchill, en tant qu’homme d’État d’après-guerre, a songé.
En parlant au Congrès en 1948, Churchill a montré son soutien à la création d’un Conseil de l’Europe, dont la Grande-Bretagne était membre fondateur et qui a produit la convention européenne des droits de l’homme, qui protège l’Europe du pouvoir arbitraire jusqu’à ns jours. Pourtant, il est allé beaucoup plus loin que ça.
« Il est impossible de séparer l’économie et la défense de la structure politique générale », a dit Churchill. L’Europe, avec la participation de la Grande-Bretagne et du Commonwealth, devrait former l’une des « armée de paix » mondiales, avec les États-Unis et l’Union Soviétique, pour protéger les Nations Unies et les nouvelles structures du droit international. Il est possible que Churchill fût nostalgique de l’empire britannique, mais il ne voyait aucune incompatibilité entre son pays et l’Europe.
Les rejets de la Grande-Bretagne de la Communauté économique européenne
Lors de son second mandat de Premier ministre de 1951 à 1955, Churchill a laissé la porte ouverte à l’union économique — un objectif pour lequel il a critiqué le Premier ministre d’après-guerre, Clement Attlee, pour avoir échoué à négocier à propos du charbon et de l’acier — et il a soutenu des efforts ratés pour créer une union de la défense. Quand Harold Macmillan a déposé la candidature britannique pour adhérer à la Communauté économique européenne en 1961, Churchill a écrit à son association de conservateurs afin de le soutenir.
Macmillan était un allié de l’Europe dès sa nomination comme Premier ministre en 1957. Dans une de ses premières déclarations, il a exigé « vaincre la tendance naturelle à résister l’expérimentation ou le scepticisme inhérent qui est un des dangers d’une vieille civilisation ». Sa plus grande réussite a été de former l’Association européenne de libre-échange (AELE) avec l’Autriche, le Portugal, la Suisse, la Norvège, le Danemark, et la Suède.
Alors, c’était d’autant plus décevant quand le Président de la France, Charles de Gaulle, a claqué la porte sur la Grande-Bretagne, en disant « non ! » à son entrée, à la télévision nationale en 1963. Découragé, Macmillan a écrit dans son journal que « toutes nos politiques domestiques et à l’étranger sont ruinées ». Il a été hospitalisé peu après et destitué par un cabinet avec lequel il s’était brouillé suite à l’humiliation infligée par de Gaulle.
Quand le parti travailliste a été réélu sous la direction de Harold Wilson en 1964, l’Europe est tombée dans la liste de priorités. À l’époque, le Labour Party était le moins pro-Europe des deux partis principaux — leur argument était que la liberté de mouvement aurait menacé les emplois de leurs électeurs. Cet argument a été relégué à l’arrière-plan quand le gouvernement britannique a été obligé de dévaluer la livre sterling pour éviter une catastrophe économique montante. La Grande-Bretagne a déposé sa candidature à la CEE encore une fois en 1967, mais de Gaulle y a mis son veto une seconde fois.
L’échec de l’intégration de la Grande-Bretagne en Europe
Wilson a sagement rejeté des appels de militants anti-européens à abandonner l’espoir d’Europe, et six ans plus tard, avec de Gaulle hors de pouvoir, le premier ministre Edward Heath, a négocié l’entrée de Grande-Bretagne à la CEE. Soutenu par 67% des électeurs dans le référendum de 1975, la grande majorité de Britanniques se sont tournés vers l’avenir et ont donné un mandat à l’intégration européenne. Le consensus pluripartite n’était pas de longue durée.
Les Britanniques ont largement oublié que leur gouvernement a obtenu une clause d’exemption concernant le passage à l’euro relevant du traité de Maastricht en 1992, une autre clause d’exemption concernant l’espace Schengen relevant du traité d’Amsterdam en 1997, et a mis son veto à une constitution européenne en 2005. Il aurait pu exercer sa souveraineté en négociant des clauses d’exemption et en utilisant son pouvoir de veto. Les conservateurs, de Margaret Thatcher jusqu’à David Cameron, ont attaqué l’Europe quand il convenait, pendant que Labour a évité la question par crainte de perdre leurs électeurs traditionnels.
Le soutien pour l’UE, le successeur à la CEE, est tombé à 48% des électeurs lors du référendum de 2016. Quatre ans plus tard, suite à l’élection générale de 2019, les Britanniques ont perdu la libre circulation de personnes, des biens, des services, et des capitaux pour la première fois depuis l’entrée du pays à l’AELE in 1960, ainsi que la représentation qu’ils avaient eu au Parlement européen depuis 1979. La chance d’un retour à l’UE ou même au marché unique reste hors de question.
Le destin de la Grande-Bretagne est-il hors d’une Europe unifiée ?
Des études montrent que ceux qui ont voté en faveur du retrait de l’UE ont donné la priorité à la souveraineté plutôt qu’à l’immigration avec 67% des voix contre 33%, pendant que ceux qui ont voté de rester dans l’UE ont donné la priorité à la croissance économique plutôt qu’à l’immigration avec 84% des voix contre 16% — donc, l’immigration n’a pas causé le Brexit. Il y a des pays européens beaucoup plus opposés a l’immigration mais qui n’ont pas le moindre désir d’indépendance de l’Union. Il en va de même pour d’autres critiques de l’intégration européenne basées sur la politique.
La Grande-Bretagne a choisi de divorcer de l’Europe pour une raison très simple : elle ne s’est pas sentie appréciée en tant que partenaire. Elle n’est pas nationaliste par nature. Le pays n’est pas intolérant, il ne s’oppose pas instinctivement au progrès. Les périodes de son histoire d’après-guerre où il aurait pu s’intégrer dans l’Europe étaient simplement aux mauvais moments.
L’opportunité pour une union économique en 1950 a été manquée, et retardée jusqu’à 1973. La vague d’intérêt du public pour l’Europe générée par le vote a été écartée par des enjeux domestiques, et en 1992 la scène politique n’accueillait plus la monnaie unique. Si on avait proposé une constitution européenne à la fin des années 1990 ou au début des années 2000, peut-être Tony Blair aurait pu en convaincre le public britannique. Au moment où la crise financière est arrivée, les électeurs ne voulaient plus entendre parler de l’Europe.
Il y a tant de « Et si » dans l’histoire d’après-guerre de la Grande-Bretagne et de l’Europe, qu’il est impossible de n’en choisir qu’un. En raison d’une série d’opportunités manquées et des moments mal choisis, la Grande-Bretagne ne s’est jamais intégrée entièrement à l’Europe. Cependant, avec un nouveau gouvernement travailliste, il y a une nouvelle opportunité de revenir en arrière. Aujourd’hui, il y a un nouveau « Et si » : et si les jeunes britanniques se rendaient compte qu’ils ont besoin de l’Europe — et les jeunes européens se rendaient compte qu’ils ont besoin de la Grande-Bretagne — afin que les deux puissent réussir dans le futur ?