Je ne me demande jamais ce qu’est la littérature. Il y en a qui disent que c’est le rêve, la tendresse, une parole secrète qui, tout à coup, se dévoile. Mais les livres réussis ne dévoilent pas. Ils nous font vivre quelque chose. Ils ouvrent une porte. Ils nous embrassent. Nous, en tant que lecteurs, on entre, le cœur sur la main.

J’ouvre Tout ce qui reste (Editions Stanké, 2025) de Suzanne Aubry de cette manière, à pas feutrés, jusqu’à m’y installer. C’est un puzzle qu’on rassemble page après page. Nous sommes dans la Ville Blanche. La mort n’existe pas. On ne laisse pas de trace. Les citoyens disparaissent, ou sont éradiqués. L’hiver est éternel. La solitude règne sur toutes les ombres. Dans ce coin de la terre, les livres, attention danger ! On les prête en catimini, dans les bibliothèques.

Bettina, une fillette de onze ans, vit avec sa mère, très alcoolique, et son père. Ce dernier disparaît sans dire au revoir. Cette absence fait basculer sa vie dans le vide. Elle part à sa recherche, mais ne le trouve pas. Elle grandit. Elle passe plus de quinze ans sans la moindre nouvelle de ce père. Elle vit dans le doute que sa mère lui cache une vérité. Elle fait des rêves étranges. Puis un jour, elle a un accident et commence à avoir des troubles, des souvenirs de ce qu’elle n’a jamais vécu. Dans ces souvenirs, sa mère lui dit enfin la vérité. Est-ce que son père est mort ? Est-ce qu’elle va le rencontrer ? C’est d’ailleurs ce doute qui provoque cet accident.

 

 

C’est une quête de vérité qui se cache dans chaque petite scène, chaque phrase. On avance, on cherche, on découvre.

 

Il y a aussi Tatiana Lessikova, Madame Glinka, qui a quitté Moscou en 1939 et qui risque la prison quand elle prête des livres. Son mari a été arrêté par les hommes du NKVD. Le roman se déploie dans plusieurs espaces bien réels, mais c’est la Ville Blanche qui reste le centre imaginaire. Une ville fantomatique, silencieuse, hors du temps. 

Le roman de Suzanne Aubry est très psychologique. Elle entre dans la mémoire, la vie de ses personnages avec une aisance rare, un style vif ou se mêle sensibilité et compassion. Qu’est-ce que la mémoire a fait de nous ? Et l’absence ? Comment affronter la vie dans ce qu’elle a de plus simple, de plus complexe, de plus banal ? C’est aussi une métaphore sur l’amour, la perte, la quête d’une voie. Est-ce que les gens qu’on aime disparaissent vraiment ? Comment résister à ce que la vie nous arrache ?

C’est une écriture très poétique, où les images et les métaphores sont éclatantes de douceur. Fluide. Le plaisir de cette lecture réside dans les dialogues. Elle maîtrise l’art du dialogue. Il y a une tension, une coïncidence, une intelligence.

 

La narration est assez originale. Parfois, c’est un « je » qui parle tout près, qui confie ses blessures. Parfois, c’est la troisième personne qui observe, qui raconte de loin. C’est ce va-et-vient qui fait vivre cette histoire.

 

Pourquoi explorer ? Pour savoir ce qui reste après l’absence. Ce qui reste quand on a aimé, quand on a vécu, quand on a perdu. Un récit sur la mémoire, le partage. C’est le genre de roman qu’on a envie de rouvrir chaque fois qu’on le croise quelque part. Autant pour l’histoire que pour le style. 

 

 

Couverture du livre Tout ce qui reste

 

Suzanne Aubry, Tout ce qui reste, Stanké, Québec, 2025, 224 p