En début d’année, un article de n + 1 laissait entendre que Netflix incitait les scénaristes à faire en sorte que les personnages « annoncent ce qu’ils sont en train de faire pour que les spectateurs n’ayant pas les yeux rivés sur l’écran ne soient pas perdus ». Autrement dit, il s’agirait de concevoir des fictions faciles à suivre par un public habitué à faire autre chose en même temps – la vaisselle ou scroller sur son smartphone par exemple. La plateforme s’était alors refusée à tout commentaire sur cette affirmation. Mais il est vrai que, à quelques exceptions près – Mon petit renne, par exemple –, la plupart des contenus semblent, que cela soit voulu ou non, correspondre à ce critère.
Une nature sauvage vient prouver que, au cas où Netflix chercherait vraiment à privilégier les scénarios prémâchés, elle ferait fausse route. Cette série de six épisodes, mise en ligne le 17 juillet, a rencontré un succès instantané. En une poignée de jours, elle a dépassé les 25 millions de vues et a pris la tête des contenus les plus visionnés sur la plateforme dans plus de 70 pays – dont la France où, ce lundi, elle se maintenait en deuxième position du top.
Un duo d’enquêteurs classique
Sans être extrêmement complexe, cette enquête sur la mort brutale d’une jeune femme au parc de Yosemite, en Californie, exige un minimum de concentration. La séquence d’ouverture du premier épisode, toute en tension, y aide bien : elle capte immédiatement l’attention. L’intrigue implique de consentir à quelques efforts pour maîtriser la chronologie des événements et les profils des personnages.
Rien de complètement révolutionnaire toutefois, le duo d’enquêteurs est des plus classiques. Kyle Turner (Eric Bana) est un agent spécial du Service des parcs nationaux. Soupe au lait et taiseux, il est marqué par un événement traumatisant sur lequel la lumière sera faite progressivement. A son côté, Naya Vasquez (Lily Santiago), une nouvelle recrue venue de Los Angeles, qui a tout à apprendre des codes de cette « nature sauvage » où elle vient de s’installer avec son fils. Si leur investigation avance parfois de manière guère subtile – certaines coïncidences sont assez énormes –, la force de la série est ailleurs.
Le parc de Yosemite, un décor fabuleux
Le succès s’explique en grande partie par la manière dont les six épisodes mettent en valeur l’écrin dans lequel la quasi-totalité de l’action se déroule. Le parc de Yosemite, ses cascades et cours d’eau, ses montagnes et canopées de séquoias sont un fabuleux décor, source d’angoisse, de mystère, mais aussi d’évasion et de paysages à tomber. Il est un personnage en soi, pourrait-on dire pour reprendre un poncif. Ce territoire a ses propres codes, ses communautés, et son histoire, liée aux Ahwahnees, un peuple amérindien qui y vivait originellement. Autant d’aspects que le scénario n’oublie pas d’intégrer.
A l’issue de la saison, on a l’impression d’avoir vu une série comme il s’en faisait il y a vingt-cinq ans – seuls l’usage des smartphones ou des moteurs de recherche témoignent du monde contemporain –, avec un rythme loin d’être effréné. Dans le genre, on a vu bien mieux ficelé, à commencer par True Detective, mais Une nature sauvage a le mérite d’être une petite incongruité dans le catalogue actuel de Netflix. La plateforme creusera-t-elle ce filon ? Toujours est-il que, face au succès, elle a commandé une deuxième saison. Ce qui n’était pas prévu au départ.