Moto Magazine : Nous ne sommes pas encore à la moitié de la saison 2025 et des choses extraordinaires se sont déjà produites : le duel des frères Marquez en tête du championnat, la victoire de Zarco au Mans et les difficultés de Martin. Etes-vous satisfait de l’aspect sportif et de l’intensité du spectacle ?

Carlos Ezpeleta : « Pour répondre dans l’ordre, disons que nous ne pouvons pas tout contrôler. Nous mettons un cadre sportif en place pour que les épreuves aient lieu, et ensuite, il se passe ce qu’il se passe. Des bonnes choses comme de mauvaises, et ça a bien sûr été une grande déception que jusqu’ici, notre champion du monde en titre n’ait pas pu défendre sa couronne. C’est la loi du sport. Mais c’était vraiment une belle histoire d’avoir Jorge chez Aprilia. C’est rageant, mais c’est comme ça.

Johann Zarco triomphe au Mans

En dehors de ça, la saison a été fantastique jusqu’ici. Avoir déjà 5 vainqueurs différents en 8 GP. Zarco qui gagne au Mans sur Honda, c’était vraiment spécial aussi (lire notre itv de Johann à ce sujet).

Marco Bezzecchi gagne à Silverstone

Il y a aussi eu la victoire de Bezzecchi à Silverstone. Et la bagarre entre les frères Marquez se situe au plus haut niveau du sport. Dans toute l’histoire du sport en général, il est très rares que deux frères se soient disputé un titre mondial. Donc on est déçu pour Jorge, mais nous avons déjà vécu de belles choses lors de cette première partie de saison. »

MM : Le système des concessions semble bien fonctionner, les usines japonaises rattrapant leurs homologues européennes. En êtes-vous également satisfait ?

CE : « La première chose à dire, c’est que le système actuel des concessions n’est qu’une version améliorée du précédent (celui qui a permis à Ducati et Aprilia de progresser, ndr). Tous les changements que nous avons apportés faisaient du sens. Ils permettaient de se baser sur le niveau de performance de chaque constructeur en comptant leurs points, et non plus le nombre de podiums. Parce qu’avant, un podium tous les deux ans suffisait à te les supprimer. Le nouveau système permet à Honda et Yamaha de progresser.

Jorge Martin chute en février à Sepang

Mais il semble que tous les opposants de Ducati ont encore du chemin à faire pour ratraper les Italiens. On a fait quelques calculs ce week-end, et il semble que tous les constructeurs à l’exception de Ducati seront en catégorie D à mi-saison (moins de 35 % des points du leader, ndr). Peut-être qu’Honda et Yamaha changeront de groupe à la fin de l’année (le classement en 4 groupes est revu tous les 6 mois, ndr). Mais bon, dans l’ensemble, ça fonctionne. »

MM : KTM a connu une période économique difficile depuis le milieu de l’année 2024. Avec Bajaj qui investit massivement pour sauver la marque, êtes-vous confiant qu’ils pourront continuer à courir en MotoGP avec 4 motos au-delà de 2026 ?

Pedro Acosta se débat avec une RC-16 rétive

CE  : « Je pense que oui. C’est ce que KTM me dit. Le management actuel chez KTM (le nouveau PDG Gottfried Neumeister, voire Moto Magazine N°421) en est convaincu. Ils m’ont expliqué que leur participation en MotoGP leur apporte un excellent retour sur investissement, car c’est aujourd’hui le meilleur outil marketing de la marque. Et ça se vérifie sur le nombre de machines vendues à travers le monde ces dix dernières années (avant la crise de 2024, KTM était devenu 1er constructeur européen avec 381 555 motos venduent fin 2023, ndr). KTM a parcouru un chemin significatif depuis leur entrée en MotoGP en 2017 : ils disposent aujourd’hui de quatre machines d’usine et de quatre pilotes performants. S’ils stoppent maintenant, ça leur prendra un moment pour retrouver ce niveau. Aujourd’hui, il n’y a rien qu’il nous laisse à penser qu’ils envisagent de s’arrêter. »

MM : Dorna vient de signer un partenariat avec Two Circles, une agence de marketing sportif de premier plan, afin d’attirer de nouveaux fans, principalement sur les marchés britannique et américain. Si cette stratégie réussit, qu’est-ce qu’un afflux massif de fans peut apporter au sport ?

CE  : « Je pense que le but de tous les sports est d’attirer de nouveaux fans. Que le MotoGP est quelque chose d’unique, car c’est un sport réellement extraordinaire. Dotée d’une communauté de fans extraordinaire. Ces dernières années, nous avons accueillis de nouveaux fans. Et tout ce que nous faisons leur est destiné. Que ce soit une vidéo, un événement ou une promotion, nous nous demandons toujours quel serait le sentiment de quelqu’un qui ne connaît pas notre sport. C’est notre cible.

Belle bagarre en début de course à Aragon

Notre partenariat avec Two Circles est une chose parmi toutes celles que nous faisons pour accroitre le nombre de fans MotoGP. Ceux qui regardent trois courses par an, on va essayer de faire en sorte qu’ils en regardent dix. Pour ce qui en regardent six, on va viser le fait qu’ils regardent l’intégralité de la saison. Pour ceux qui se contentent de nous suivre sur les réseaux sociaux, on va essayer de les fidéliser pour qu’ils deviennent accroc à notre discipline. Ce sera la mission de Two Circles gràce à du contenu (clips d’action, itv…) et du marketing sur les réseaux. Aux USA, en Angleterre, mais aussi dans le reste du monde. Car le contenu que nous proposons doit être adapté à chaque marché. Ce que nous produisons pour le marché indonésien n’est pas la même chose que ce que nous proposons aux Américains par exemple. Un influx massif de fans ? C’est dur de mettre un chiffre en face de ça. On suit les ventes de billets sur les différents circuits, le nombre de télespectateurs, Two Circles nous aide pour tout ça. Mais il n’y a pas de plafond. On essaiera toujours d’avoir plus de fans. Le but est que le MotoGP gagne encore en prestige. Qu’il fasse partie de la culture populaire. »

MM : Les responsables du GP de France m’ont dit que Dorna renforçait son personnel ces derniers temps. Avec les techniques de marketing de la F1, l’intérêt de Güther Steiner pour Tech3, se rapproche-t-on d’une prise de contrôle par Liberty Media, ou faut-il attendre le 1er juillet ?

Carlos Ezpeleta, directeur sportif du MotoGP

CE : « On va devoir attendre le verdict de la Commission Européene le premier juillet. Cela dit, le retour d’information que nous avons sur leurs travaux est positif. Comme tu le dis, il y a un certain nombre d’évolutions au sein de l’entreprise, mais elles sont préalables à nos contacts avec Liberty Media (dont l’offre d’achat a été rendue plublique en 2024,ndr). C’est une trajectoire que nous avons déjà amorcée il y a deux ou trois ans. Avec de nouvelles personnes qui ont intégré le management de Dorna (on pense au directeur commercial Dan Rossomondo, ex NBA, ou à la nouvelle directrice marketing monde Kelly Brittain, ex Red Bull F1) et qui ont emprunté cette trajectoire. Je ne pense pas que la venue de Liberty change diamétralement notre façon d’agir.

Les frères Marquez aux commandes du championnat, loin devant Bagnaia

Nous, mais aussi les teams, les promoteurs de GP : nous allons tous devoir entreprendre des démarches pour développer ce sport. La venue Liberty Media va faire office d’accélérateur pour ce que nous faisons en tant qu’organisateur du MotoGP (la mission de base du promoteur espagnol Dorna,ndr). Aujourd’hui, tous les gens que tu rencontres dans le paddock se demandent ce qu’il va leur arriver lorsque Liberty sera là. Je ne pense pas qu’ils vont tout chambouler.

Ducati continue à dominer le MotoGP en 2025

Bien sûr, Liberty Media possède une expérience très précieuse grâce aux changements qu’ils ont apporté en Formule 1 ces dix dernières années. Mais je ne pense pas que l’expansion sans précédent que la F1 a connue sous leur gouvernance soit duplicable au MotoGP, ou à quelque autre sport d’ailleurs. Mais une partie des recettes utilisées par Liberty Media pour la F1 peuvent être reproduites en MotoGP. Il ne faut simplement pas perdre de vue que l’on ne s’adresse pas au même type de fans. Les changements que nous sommes en train d’opérer résultent de notre reflexion. Nous pensons qu’ils sont efficaces. Et nous les meneront à bien quels que soient nos actionnaires.

Thomas Baujard –