Par

Antoine Grotteria

Publié le

5 août 2025 à 7h48

Sur un banc, cinq skateurs à la trentaine bien tassée échangent à bâtons rompus sur les figures les « plus modernes ». De l’autre côté, un trio d’adolescents ne décroche pas de leur téléphone. Les prises de vue s’enchaînent. Le but ? Atteindre la « perfection ». Sans scorie, la vidéo accrochera plus aisément les jeunes utilisateurs d’Instagram et TikTok. Au milieu de la place de la République, dans le centre de Paris, la visibilité s’avère inhérente au lieu. Travailleurs pressés, touristes, simples curieux… Ce nœud de communication attire une population hétérogène. Parfois, les passants laissent place aux manifestants. Animé d’une intense charge sociale et politique, le lieu s’intègre dans l’histoire de la République. Impressionnant ? « Honnêtement, je ne calcule pas les gens et je m’en fous un peu du monde », reconnaît sans ambages Jules, 29 ans. Casquette vissée sur le crâne et baggy de circonstance, le quasi trentenaire profite d’un rare moment de répit pour souffler et contempler ses camarades skateurs, venus en nombre en cet après-midi de juillet 2025, nonobstant les vacances scolaires.

Une révolution commencée en 2016

Surveillée par la statue de la République, flanquée des trois allégories de la devise « Liberté », ‘« Egalité » et « Fraternité », une poignée d’hommes s’évertue à placer des mouvements esthétiques. Une anomalie dans un environnement minéralisé aussi peu propice à la pratique du sport. « C’est justement ce que j’apprécie », explique Erwan, 45 ans, un ancien « puriste » de l’escalade.

Ici, chacun peut venir et se confronter à l’urbanité. Ce n’est pas clos. Cela bouge tout le temps »

Erwan, 45 ans
Skateur

En quelques années, le skate a pris une place grandissante sur la dalle de la place, épousant les changements urbains entrepris par la Ville de Paris. Fini les bagnoles concentrées sur le parking. En 2013, la place a été totalement piétonnisée. Trois ans plus tard, un module en forme de rectangle bordé de rampes semblable à un diamant est devenu le premier équipement consacré à la planche.

Les murs inclinés en béton armé ont rapidement été griffés de tags, conférant au lieu une dimension artistique. Les skateurs se sont approprié cette installation. « C’est une place centrale, très bien desservie », remarque Jules. « C’est surtout l’incarnation du Paris populaire, même si le quartier a été largement gentrifié », coupe Erwan, attaché à l’universalité de la pratique.

Torse nu, un skateur s'essaie à une figure sur le diamant central de la place de la République.
Torse nu, un skateur s’essaie à une figure sur le diamant central de la place de la République. (©AG/ actu Paris)Une discipline individuelle mais vectrice de lien social

Pour les puristes, la place de la République représente l’incarnation des idéaux du skate. « C’est un vecteur social. Il y a plein de gens qui viennent essayer, sans planche. Le but, c’est qu’il n’y a pas de but. Tu trouves un accomplissement personnel avec le collectif », remarque Lancelot, 29 ans.

Sur les rampes, la solidarité relève de la nécessité. Chaque geste est reproduit « des centaines de fois » avant d’être parfaitement maîtrisé. Et gare aux jugements. « On n’aime pas les personnes qui viennent se montrer arrogantes », peste Erwan. Le respect et l’entraide se prolongent à ceux qui subissent la place.

« Un SDF vient souvent emprunter nos planches. Même si ça dure quelques minutes, c’est toujours plaisant de le voir ‘oublier’ ses problèmes »

Jules, 29 ans
Skateur

Lui-même reconnaît s’être converti à la planche pour « évacuer des problèmes personnels ». Pendant deux heures, « presque tous les jours », il se fond au milieu de la communauté, simplement accompagné par sa planche. « Je ressens une liberté totale. Personne ne vient me dire quoi que ce soit de négatif », sourit le jeune homme, assis sur un banc.

Le seul risque auquel il est confronté demeure la blessure. « Je me suis déjà fait mal, mais jamais gravement », explique-t-il. Souvent catégorisé dans les sports les plus dangereux, le skateboard n’est pourtant pas sur le podium des disciplines accidentogènes. Selon une étude de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), datée de 2020, 6 % des personnes ayant pratiqué le skate au cours de l’année écoulée déclaraient s’être blessées. Un taux près de trois inférieurs au rugby (16 %).

Des skateurs sur la place de la République, en juillet 2025.
Vélo, piétons… Un tissu de mobilités, au sein desquelles se fondent parfaitement les skateurs. (©AG/ actu Paris)

Depuis, l’activité n’a cessé de se développer, en écho au succès rencontré sur les plateformes sociales. Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que le Comité international olympique (CIO) ait validé son intégration au registre des sports officiels. Après deux éditions en guise de ballon d’essai, à Tokyo et Paris, la discipline reviendra de manière pérenne à partir de l’édition organisée à Los Angeles, en 2028.

République… Et tant d’autres

Dans la communauté rencontrée place de la République, cette institutionnalisation divise. « Encore une fois, on fait passer un sport dans un cadre, avec des profits substantiels derrière », peste Erwan. « Oui, mais ça nous met aussi en visibilité. Il ne faut pas oublier d’où on vient », rétorque Lancelot.

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Aujourd’hui, si le nombre de skateurs se rassemblant dans les équipements municipaux hexagonaux est en hausse, le recensement s’avère délicat. La Fédération française de roller et de skateboard fait état de cinq millions de pratiquants. Une estimation imprécise. Reste l’empirisme.

Dans la capitale, la place de la Bastille (4e) et le palais de Tokyo (16e) constituent des terrains de jeu toujours appréciés des skateurs. Ces lieux font partie de la petite vingtaine d’espaces publics composés de mobiliers pour les fans de planches, selon le site Paris.fr. En constante hausse, ce chiffre devrait augmenter dans les prochaines années. À la place de la République, le bruit des skate n’est pas prêt de cesser.

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