Un étudiant fraîchement diplômé de l’Esadse et un paysagiste concepteur, ont concrétisé en juin ce qu’ils revendiquent comme le premier parcours cohérent et empruntable à pied du bassin stéphanois autour des vestiges de l’extraction du charbon. Derrière l’appellation « Sentier des crassiers », élaboré patiemment depuis fin 2024, ces 55 km tracés sur le flanc ouest de Saint-Etienne vont plus loin que désigner les accumulations connues et inconnues, de ces déchets sortis de la mine. Ils ambitionnent un sentier « enquête » et non patrimonial sur l’existant en résultant, sociologiquement compris, dans une logique de réappropriation.
©Sentier des crassiers
Il y a ce qui se voit, ce qui est évident, ce qui est connu de tous à valeur emblématique bien qu’officiellement inaccessible. « Crassiers » dans la Loire, dénommées « terrils » dans le Nord », ces accumulations de remblais de l’époque minière parlent à peu près à tout le monde dans le bassin de Saint-Etienne. Du moins quand il s’agit des exemplaires les plus spectaculaires, ces montagnes miniatures coniques et iconiques, apparues dans les années 1930 et, de nos jours recouvertes de végétation. Quelques cas qui s’imposent d’eux-mêmes dans le paysage stéphanois : jumeaux Michon derrière le puits Couriot, sinon celui de « l’Eparre » bordant l’A72 face à Steel ou encore, non loin de ce dernier, du « Fay » à Saint-Jean-Bonnefonds.
Sous cette forme conique ou d’autres (citons bien sûr les 14 ha aplatis, étagés et si visibles depuis la RN88 du site Saint-Pierre à La Ricamarie), cependant fréquemment plus modestes, plus discrets, moins spectaculaires, ces dépôts résiduels, Thomas Goumarre et Adriano Duarte, depuis leur vaste zone d’investigation, en ont intégré une bonne vingtaine à leur œuvre lancée en novembre dernier : Le « Sentier des crassiers ». Originaire de Thiers, le premier cité vient d’être diplômé de la filière « Art » de l’Esadse, École supérieure d’Art et Design de Saint-Étienne et poursuit ses études en post diplôme aux Arts décoratifs de Paris. Le second est autoentrepreneur « paysagiste concepteur », diplômé de l’École nationale supérieure de paysage (ENSP) de Versailles. Il s’est installé il y a 2 ans et demi à Saint-Etienne.
Une mine d’enjeux actuels
« L’idée est venue dans le cadre d’un workshop autour des friches où nous nous sommes rencontrés, en vue d’un travail contributif étudiant à la Biennale du design 2025 », raconte Thomas Goumarre. Idée partant du constat que dans le sud Loire, les vestiges de l’industrie extractive minière – crassiers en tête de gondole mais pas seulement – n’avaient jamais été reliés entre eux, malgré leur mise en avant dans la conscience collective. « Énormément de traces de cette Histoire ne sont pas ou peu visibles. Dans le parcours que nous avons tracé, nous signalons une trentaine de crassiers de différentes sortes mais il pourrait il y en avoir une centaine, avertit Adriano Duarte. Notre intention n’est toutefois pas patrimoniale : il s’agit d’un travail d’enquête tourné vers l’avenir par rapport à l’image que renvoie cette histoire de nos jours. »
Notre intention n’est toutefois pas patrimoniale : il s’agit d’un travail d’enquête tourné vers l’avenir.
Ce qu’il en reste et donc ce que ces « traces » plus ou moins évidentes sont devenues : parfois des refuges de biodiversité. Mais aussi leur enjeu actuel (plus d’un crassier est aujourd’hui propriétés d’entreprises et pourraient disparaître du fait de leur exploitation), ce qu’elles provoquent en l’état actuel dans l’imaginaire public. Si les crassiers de Couriot servent souvent de supports privilégiés à des messages politique, « nous avons relevé l’expression d’une trentaine d’autres sur l’ensemble du parcours que nous identifions ». Une dimension sociologique est au cœur de ce tracé donc, de 55 km (téléchargeable ici), que ses auteurs assurent parcourables à pied de bout, en bout, qu’il s’agisse de ses portions urbaines, périurbaines ou quasiment rurales. Sentier péri-métropolitain en boucle depuis l’ouest de Saint-Étienne passant donc par Saint-Genest-Lerpt, Roche-La-Molière, Firminy, Le Chambon-Feugerolles, La Ricamarie.
Une centaine de lieux répertoriés
A la trentaine de « crassiers » signalés sur le parcours, s’ajoutent les traces plus ou moins visibles, plus ou moins transformées, toujours dans leur activité originelle ou au contraire à peine décelables dans leur nouvelle utilisation, de 15 jardins ouvriers, 20 cités ouvrières, 4 « parcs industriels », 4 « friches » et autres 13 « vestiges » (entendre de puits de charbon, d’usines, de voies ferrées et petits monuments hommage). Ainsi que de cinq gares, quatre parcs et deux musées (Mines et celui du Château de la Roche) et trois ouvres de street art : des fresques. Soit une centaine de lieux à voir, plus ou moins facilement selon l’évolution urbaine, de nature et temporalité différentes, mais qui, en 2025, ont tous un rapport avec l’extraction minière passée de l’ouest du bassin stéphanois dont les heures essentielles vont, en très gros, de la fin du XIXe siècle à la fin du XXe siècle.
La boucle de 55 km du Sentier des Carssiers. Sur cette capture d’écran n’apparaissent que les signalements de crassiers. 70 autres sites peuvent s’ajouter / s’isoler depuis le site.
Naturellement, le duo s’est appuyé sur les très nombreuses sources existantes issues des recherches universitaires, patrimoniales et associatives ou encore sur l’aide d’enseignants chercheurs spécialisés comme ceux du Master Altervilles de l’université J.-Monnet. Sur les Amis du musée de la Mine aussi et tous ces ouvrages comme le fameux recensement des traces industrielles du bassin stéphanois L’héritage industriel de Saint-Etienne et de son territoire, signée par Philippe Peyre, ex-directeur du musée de la Mine, datant de 2006. Sur différentes cartes réalisées à différentes époques et enfin, sur de nombreux relevés de terrain aidés de géographes et géologues. Tout cela croisé pour aboutir à ce premier résultat présenté en juin dernier : tracé et logique inédits, objet d’une exposition résidence – « Sentier des Crassiers, Bassin houiller de la Loire » – qui s’est tenue de la mi-juin au 27 juin à la Chambre des Méthodes (Design Recherche Ouverte Performance, DROP) à Saint-Étienne.
La valorisation des crassiers en débat
Une présentation émaillée par « une rencontre-discussion » le dimanche 22 juin avec Micheline Dufert et Francis Pourcel, artistes et créateurs d’une œuvre spécifique mais analogue, la « Boucle Noire » de Charleroi. Rencontre annoncée ainsi : « Aujourd’hui, grâce à la Boucle Noire, ces terrils sont parcourus par des sentiers balisés et reconnus comme des éléments à part entière du territoire. Cette rencontre sera également l’occasion d’ouvrir un dialogue avec le Sentier des Crassiers, en croisant les spécificités entre les crassiers de Saint-Étienne et les terrils de Charleroi, leurs usages et les imaginaires territoriaux alternatifs qu’ils ouvrent. » Thomas Goumarre et Adriano Duarte s’interrogent en effet sur cette absence de valorisation, de visites publiques autrement qu’épisodique des crassiers en soi, comme on le voit pourtant souvent dans le Nord. Dans la métropole stéphanoise, ceux qui n’appartiennent pas à une entreprise privée sont aussi interdits d’accès au public.
Classements historiques, instabilité du sol et émanations ont été mis en avant pour explications par la Ville et la Métropole (Le Progrès avait d’ailleurs consacré un article à ce sujet en 2016). Certes, « mais ce n’est pas clairement démontré à notre connaissance par une étude. Une démonstration. Il y a besoin d’une clarification pour savoir s’il s’agit de barrières purement physiques ou sinon « morales » », estiment les auteurs du Sentier des Crassiers. Ce dernier, par ailleurs connecté à la boucle verte, le duo n’exclue pas d’aller plus loin, réfléchissant à des rapprochements avec la Fédération française de randonnée pédestre – pourquoi pas un balisage physique – avant de, peut-être, s’attaquer à un second sentier côté est du bassin stéphanois. Sans doute plus complexe encore à concrétiser si on pousse jusqu’à intégrer le Gier : l’extraction minière de ce côté est plus ancienne, davantage le début du XIXe siècle, et donc ses traces encore plus effacées. Mais chaque chose en son temps.