Arrivé en 2023 à Strasbourg, Emmad Al Nadaf, 56 ans, voit depuis son téléphone les massacres commis dans sa ville de Soueïda, en Syrie, sur les membres de sa communauté druze. Sa fille de 25 ans est toujours coincée dans la région et il ne sait pas quand elle pourra s’échapper sans risquer la mort.
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Camille Balzinger
Publié le 2 août 2025 ·
Imprimé le 5 août 2025 à 14h52 ·
3 minutes
« Les massacres contre ceux qui nous sont chers sont sans précédent, je n’avais jamais vu ça. » Depuis leur appartement de la Meinau, Emmad, raconte le calvaire de sa communauté dans un français impeccable. Autour de lui, sa femme Raja Nassr et son fils Adam l’écoutent en silence. La famille Al Nadaf, originaire de la ville de Soueïda, dans le sud de la Syrie, vit dans l’angoisse depuis que des milices djihadistes et des forces du gouvernement ont commencé à tuer des membres de leur communauté et à imposer un blocus sur la ville, le 13 juillet.
Toute la famille Al-Nadaf est partie de Syrie avant la fuite du président Al-Assad en Russie. « J’étais traducteur et guide touristique en Syrie, j’ai toujours pensé que mon pays allait redevenir en paix et que nous pourrions nous y épanouir, mais après 10 ans de guerre civile, je me suis dit que c’était peine perdue », retrace Emmad.
« Je pense que cette fois, le risque est établi »
« Notre fille de 25 ans y habite encore, elle devait présenter son projet final dans le cadre de ses études de génie civil le 16 juillet, mais elle a fui juste avant l’arrivée des djihadistes dans un village en montagne », retrace Raja Nassr. La mère de famille a rejoint son mari à Strasbourg en août 2024 avec leur plus jeune fils, Adam, via une procédure de regroupement familial. Ils appartiennent à la minorité druze, un mouvement musulman hétérodoxe qui représente 3% de la population syrienne mais qui est majoritaire dans leur ville de 700 000 habitants.
Depuis le 13 juillet, ils suivent fébrilement les fils WhatsApp et Telegram de leurs proches restés en Syrie. « Mes copains allaient passer leur bac, je sais que certains vont bien mais je n’ai pas réussi à rester en contact avec chacun d’entre eux, car il y a des pannes d’électricité », souffle Adam, scolarisé en seconde au lycée Marie Curie.
La première préoccupation de la famille est de pouvoir rapatrier leur fille en France, leur plus vieux fils habitant déjà en Suède. « Son dossier est bloqué car elle est majeure, l’administration nous a demandé d’établir qu’il y avait un risque à ce qu’elle reste en Syrie. Je pense que cette fois, le risque est établi« , raille Emmad. Depuis le 13 juillet, l’observatoire syrien des droits de l’Homme dénombre plus de 1 400 morts à Soueïda. Le 31 juillet, le gouvernement syrien a créé par décret une « commission » afin de « faire la lumière sur « les circonstances qui ont conduit aux événements », enquêter sur « les attaques et les violations contre les citoyens » et déférer les auteurs des violations devant la justice », rapporte France info.
Crainte de persécutions
Mais Emmad n’accorde que peu de confiance au gouvernement en place, nommé en mars 2025 après la déroute des armées loyalistes et la fuite en Russie de Bachar Al-Assad. « Le pouvoir actuel est composé de terroristes, ce sont les Druzes qui sont tués cette fois mais les Alaouites (une autre minorité, NDLR) ont aussi été victimes de massacres », souffle-t-il.
Le nouveau président Ahmed Al-Charaa, qui a renversé Bachar Al-Assad, est un « islamiste radical issu de l’État islamique en Irak », rapporte plusieurs médias dont Le Monde. Pour Emmad, il est difficile de voir ce dernier être reçu à l’Elysée « sans que soient pris en compte ses crimes passés ». À l’avenir, il craint d’autres persécutions pour sa communauté et les autres minorités du pays.
Malgré un cessez-le-feu décrété le 20 juillet, Emmad et sa famille restent inquiets. « On ne dort pas plus de deux heures par nuit », souffle-t-il. Sur leurs téléphones, ils reçoivent des vidéos d’exactions, des montages de personnes assassinées sommairement. Chaque jour, ils apprennent que des nouvelles maisons ont été brûlées, et des personnes fusillées. Le 30 juillet, une franco-syrienne, dont le mari a été assassiné, rapportait à France Info que la ville était entourée de djihadistes et qu’elle ne pouvait en sortir.
Y aller
Manifestation de soutien aux Druzes de Syrie, samedi 2 août 2025 à 18h place Kléber, Strasbourg – Centre.