Vendredi à 17 heures, c’est l’heure H chez Bookie’s, cette librairie anglaise de la rue Taillefer à Périgueux (Dordogne). Un rendez-vous hebdomadaire dédié aux « exchanges langages », comprenez échanges linguistiques. « Vous allez voir, vous pouvez rester », propose David Bouklas, son créateur, en 2022. Un New-Yorkais tombé sous le charme de Périgueux. Pas besoin d’inscription, vient qui veut.

En un quart d’heure à peine, la terrasse se remplit. Au menu : thé, café noir torréfié à Périgueux, petit vin blanc, softs, options bio et locales. On consomme ou pas, peu importe. Leïla Hampton, 25 ans, étudiante brestoise, y a pris ses quartiers depuis douze heures. « Sur la même chaise, et je le vis très bien », rigole la jeune femme, qui a l’accent américain de son père. Elle passe du français à l’anglais spontanément. « Il y a quelque chose de la Tour de Babel, ce n’est pas faux », confirme-t-elle.

« Ce rendez-vous informel est l’idée de Raina, Américaine, arrivée en Périgord en même temps que moi. Elle a créé « Baguette bound », une chaîne YouTube pour s’imprégner de la culture et partager », explique David Bouklas, sur la même longueur d’onde.

Personne ne s’ennuie, et il y a des personnalités exceptionnelles

Ici, on oublie le temps qui passe, mais pas le plaisir d’être là. On y joue aux échecs, on refait le monde. « Personne ne s’ennuie, et il y a des personnalités exceptionnelles », appuie Leïla Hampton. Un champion d’échec, beaucoup d’artistes… Jo Nardolillo Chagnard approuve. Voisine de table, la violoniste américaine, arrivée il y a « sept mois à Périgueux », est tombée par hasard sur la librairie, avec son mari chef d’orchestre et leur fils de 11 ans. Et elle y revient régulièrement.

En anglais « first »

Dénominateur commun, la langue de Shakespeare est parlée par presque toutes les nationalités qu’on y croise. Et elles sont nombreuses. Ce jour-là, ils sont anglais, américains, russes, canadiens, australiens, expatriés volontaires, soucieux de s’intégrer, sans avoir forcément les codes pour s’installer. Tout ce monde échange en anglais « first » (d’abord), mais aussi en français, « of course » (évidemment). Aux beaux jours, il y a plus de monde dehors que dans la librairie, au milieu des 4 000 références de bouquins généralistes. « Et depuis la transformation de la rue Taillefer, c’est encore mieux », ajoute David Bouklas.

Le commerçant est persuadé « qu’il faut donner autant qu’on va recevoir ». « Je regrette rétrospectivement qu’il y ait le mot Bookshop dans mon enseigne. Ici, c’est surtout un café avec des livres dedans », insiste le New-Yorkais, qui parie sur l’ancrage local.

Camp de base

Même le café est torréfié à Périgueux. Soule Mforen fait partie de ses fournisseurs. En Dordogne, il a créé sa propre marque de café grands crus originaires du Cameroun. Lui aussi compte parmi les fidèles. « Je viens surtout pour la musique. Le contrebassiste Robert Clint est souvent là. C’est génial, il m’apprend à jouer », glisse le torréfacteur, tout sourire.

C’est aussi le camp de base d’Arthur Tremel, Français marié à une Japonaise. « On va s’installer dans quelques mois au Japon, mais je ne crois pas qu’on serait restés aussi longtemps à Périgueux sans Bookie’s, avec ma femme qui parle anglais et mes enfants. David a cette capacité à donner le la. On vient pour discuter, rencontrer des gens, pas pour se déchirer la tête », témoigne-t-il.

Gary Duffy, irlandais, ancien journaliste de la BBC, compte parmi les fidèles
de Bookie’s. Pour sa voisine, américaine, « c’est la première fois ».

Gary Duffy, irlandais, ancien journaliste de la BBC, compte parmi les fidèles
de Bookie’s. Pour sa voisine, américaine, « c’est la première fois ».

Hélène Rietsch

Et les livres dans tout ça ? Jamais loin. Pour Bookie’s, surnom de David Bouklas et nom de l’enseigne, la différence, juste, c’est qu’ils ne sont pas sacralisés. « Chez moi, la passion du livre est populaire, décomplexée. J’ai eu l’impression en arrivant en France qu’on cherche l’eau divine dans les librairies. Moi, au contraire, je ne veux pas d’une ambiance lourde, ce que j’aime c’est la légèreté. Pour moi, Bookie’s, c’est un peu comme un café du coin à la parisienne », estime-t-il.

« Âme errante »

Ces échanges linguistiques informels ont créé du lien interculturel. Non seulement le vendredi, de 17 à 20 heures (lire plus bas), mais aussi le samedi matin, à l’heure du marché, le mercredi et le reste de la semaine. « Bookies a changé ma vie en France. J’ai davantage découvert la culture française avec le sens de l’amitié », appuie Gary Duffy, ancien journaliste et correspondant de la BBC en Irlande puis au Brésil. La librairie comme un aiguillon interculturel.

Cette « âme errante » (c’est lui qui l’écrit sur Instagram), joviale et chaleureuse, est sans appel : « Je recommande Bookie’s pour tout le monde. »

Martin Walker, prochain invité
Même si David Bouklas évite « tout ce qui est trop formel », il accueille régulièrement des invités. Vendredi 8 août, à 17 heures, Bookie’s recevra Martin Walker, ancien journaliste du « Guardian », qui a posé ses valises en Dordogne il y a des décennies. Reconverti en écrivain, il connaît un succès mondial grâce à sa série « Bruno, Chief of Police », traduite en 18 langues. Plus de 6 millions de livres vendus à travers le monde. Une rencontre ouverte à tous.