«Vous avez 30 jours pour passer du temps avec vos camarades, participer à des activités d’anciens élèves. Ensuite, partez. » Vendredi dernier, Steve Bannon, ancien conseiller du président des Etats-Unis Donald Trump, a appelé à ce qu’il n’y ait plus « un seul étudiant étranger dans le pays en ce moment ». Bien que souvent grandiloquentes et farfelues, les saillies du suprémaciste sont surveillées de près. Elles servent en effet régulièrement de « ballon d’essai idéologique à l’agenda des républicains », s’inquiète The Times of India.
L’ancien conseiller de Donald Trump est allé jusqu’à appeler à une « purge totale » des quelque 1,12 million d’étudiants étrangers qui usent les bancs universitaires du pays. « Les étudiants internationaux ne représentent que 6 % de l’ensemble des étudiants américains, leur absence ne serait donc pas aussi dévastatrice que dans un pays comme l’Australie, où un tiers des étudiants viennent de l’étranger. Cela dit, l’impact pourrait être énorme pour certains établissements et certains programmes », explique Karin Fischer, journaliste au The Chronicle of Higher Education et experte de l’enseignement supérieur.
Près de 44 milliards de dollars par an
« Il est peu probable que tous les étudiants étrangers soient expulsés, tempère Stuart Anderson, directeur exécutif de la National Foundation for American Policy. Mais même une baisse significative du nombre d’inscriptions d’étudiants étrangers nuirait au bilan financier de nombreuses universités américaines. » Car les étudiants internationaux payent souvent le double des tarifs pratiqués par les étudiants locaux. « Si certaines universités américaines se voyaient soudainement privées de cette manne financière que constituent les frais de scolarité assumés par les étudiants internationaux, leur modèle économique pourrait s’en trouver ébranlé », abonde Ioanna Kohler. « Les très grandes universités ont par ailleurs souvent une communauté d’alumni qui les financent, dont un certain nombre sont des étudiants étrangers », ajoute l’autrice de l’étude Gone for Good ? Partis pour de bon ? Les expatriés de l’enseignement supérieur français aux Etats-Unis, publiée par l’Institut Montaigne.
Mais les universités ne seraient pas les seules à souffrir d’une telle décision. Hébergement, restauration, commerce, transports… Les étudiants étrangers participent à la vie économique des villes qui les accueillent. D’après un rapport de la NAFSA (Association of International Educators), ils ont contribué à hauteur de 43,8 milliards de dollars à l’économie américaine au cours de l’année universitaire 2023-2024. Une myriade d’entre eux s’installent aussi après l’obtention de leur diplôme et continuent à créer de la richesse. « Un quart des start-ups américaines valorisées à plus d’un milliard de dollars ont été fondées par des personnes qui sont arrivées dans le pays en tant qu’étudiants étrangers », note ainsi Karin Fischer.
Plus d’un brevet sur deux
Au-delà des pertes financières, l’absence d’étudiants étrangers mettrait aussi en péril l’innovation américaine. « Ce qui est étonnant c’est que les étudiants étrangers représentent une future main-d’œuvre très qualifiée, on ne parle pas de sans papiers ou de personnes sans qualification », remarque Ioanna Kohler. Ils constituent donc « une source essentielle de talents hautement qualifiés pour les entreprises américaines. Les empêcher de travailler aux Etats-Unis nuirait à l’innovation et pousserait les entreprises à employer davantage de personnes en dehors du pays », analyse Stuart Anderson.
La recherche et l’innovation seraient aussi fortement ébranlées. « Les étudiants et diplômés étrangers sont le pilier de la recherche universitaire et privée, martèle Karin Fischer. Sans eux, il serait difficile pour la science américaine de continuer à fonctionner, du moins à un tel niveau. Certains établissent un parallèle avec l’expulsion des scientifiques juifs par les nazis, une décision qui a dévasté la recherche allemande sur plusieurs générations. » En 2020, plus de la moitié des brevets accordés aux Etats-Unis l’ont été à des inventeurs de nationalité étrangère, selon l’Office des brevets et des marques des Etats-Unis.
Les « turbulences » du soft power américain
Les universités américaines ne se laisseraient toutefois pas viser les bras croisés. Depuis mai 2025, l’administration Trump a tenté d’exclure les étudiants étrangers d’Harvard, mais l’université mondialement connue a obtenu un sursis en justice et dénoncé une atteinte à la liberté académique. Mais « toutes ces turbulences avec leurs lots de décisions et de contre décisions sont très dommageables pour l’image des Etats-Unis et l’attractivité des universités américaines », souligne Ioanna Kohler qui prédit une baisse des inscriptions dans les trois prochaines années.
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La NAFSA anticipe déjà une possible baisse de 30 à 40 % des nouveaux étudiants internationaux. « Même si ces propositions radicales ne sont pas adoptées, le discours nuit probablement déjà à l’image des États-Unis et donne l’impression que le pays n’est pas accueillant envers les étrangers », juge Karin Fischer. « Le renforcement des restrictions à l’égard des étudiants étrangers et la réduction de leurs inscriptions affaiblissent le « soft power » et l’influence des Etats-Unis », abonde Stuart Anderson.
« Pour les Etats-Unis, l’économie de la connaissance représente un facteur de « soft power » important. Ils forment les esprits à une façon de penser américaine et tout ça se dissémine dans le monde par le retour des diplômés dans leurs pays d’origine. Ce repli sur soi va à l’encontre des intérêts de la puissance américaine », estime Ioanna Kohler. Et une nouvelle attaque à l’encontre des intellectuels, dans un pays où le vice-président estime que les professeurs et les universités sont « les ennemis ».