C’est le coupable idéal. Celui qu’on accuse volontiers de nos ratés et de nos contre-performances. Cet élément perturbateur qui vient autant souffler sur les braises de nos frustrations qu’emporter au loin nos revers à plat. Il n’y a pas une semaine sans qu’il ne fasse parler de lui sur les circuits ATP, WTA ou ITF. Il suffit, pour s’en convaincre, de réécouter Aryna Sabalenka après s’être désagrégée dans les bourrasques du Chatrier en finale de Roland-Garros : « parfois, le vent était très fort, il poussait la balle de Coco tout droit et j’arrivais en retard. Parfois, ça se calmait. Avec les faux rebonds causés par la terre battue, ça devenait très difficile de jouer intelligemment. »

Charlie Pasarell, 35e mondial en 1974, sait de quoi il retourne. L’Américain a tapé ses premières balles dans un club de Puerto Rico situé tout près d’une plage balayée par les alizés. il a aussi supervisé, entre 1987 et 2012, le tournoi d’Indian Wells (Californie), l’une des destinations les plus exposées à Éole avec des pointes à 60 km/h. « Pour atténuer certains de ses effets, on a « encaissé » l’ensemble des terrains, dont les deux courts principaux à 18 mètres de profondeur. » Des coupe-vent structurels, partiellement efficaces (on en veut pour preuve le Fils-Medvedev de cette année), qui ne sont pas à la portée de tous les organisateurs.

Dans le calendrier, d’autres tournois traînent leur réputation « aérée » : Hobart, Estoril, Eastbourne, Wimbledon, Bastad, le Masters 1 000 de Cincinnati, qui démarre cette semaine (7-18 août), Toronto, l’US Open (le court Arthur Ashe en tête) pour ne citer qu’eux. En 2023, le Masters WTA de Cancún, organisés dare-dare, avait tourné, on s’en souvient, à la Berezina climatique. Parapluies en rétroversion, poubelles et casquettes jouant les filles de l’air. À Indian Wells, il n’est pas rare que les serviettes, les chaises, le mobilier s’invitent près du filet en plein échange. Mais si la pluie peut avoir un effet suspensif sur les matches, on ne trouve rien dans les règlements officiels sur ce foutu vent.

« Le vent casse les niveaux. Il peut permettre à un joueur moins fort de mieux résister, voire de gagner »

Marie-Pascale Siffre, monitrice de tennis

Un fauteur de troubles que le club amateur de Leucate ne connaît que trop. Il a eu beau déménager ces dernières années, il lui faut toujours composer avec les fortes rafales. La ville du sud-est de l’Aude accueille d’ailleurs une compétition internationale de kitesurf et de windsurf depuis 1997, le Mondial du Vent. Ça ne s’invente pas. « On peut subir le vent marin, qui vient d’Espagne ou la tramontane, un vent de terre, très violent qui souffle parfois jusqu’à 30 noeuds (environ 55 km/h) », détaille Marie-Pascale Siffre, ancienne -4/6 (très bon niveau amateur, pré-pro) et monitrice au TC Leucate.

Une tannée sur le papier qui s’est révélée être, à l’usage et sur le terrain, un précieux allié. « On est obligé d’en prendre son parti, de s’entraîner avec. Du coup, en interclubs, on joue des équipes qui, elles, ne sont pas habituées à évoluer dans de telles conditions. Elles savent que quand elles viennent chez nous, ça va être la guerre avec le vent. Cette année, on a fait match nul contre Carcassonne alors qu’ils étaient bien supérieurs à nous. Le vent casse les niveaux. Il peut permettre à un joueur moins fort de mieux résister, voire de gagner. »

Vent sur le court et tempête sous le crâne

Voilà l’une des vertus du vent : sa capacité à redistribuer les cartes, à niveler en allumant, bien souvent, l’incendie de la crispation. « Il y avait beaucoup de vent, et ce n’était pas facile de trouver la bonne sensation avec la balle », se chagrinait Lorenzo Musetti malgré sa victoire en quarts à Roland contre Frances Tiafoe. Car les bourrasques réduisent souvent le tennis à sa plus simple expression : remettre une fois de plus la balle dans le court que son adversaire. Exit les passings qui repeignent les lignes et les egos. Au supplice d’un vent diabolique en finale d’Indian Wells en 2009 (défaite 7-6 6-2 contre Vera Zvonareva), la Serbe Ana Ivanovic résumera l’expérience ainsi : « aujourd’hui, il n’était nullement question de jeu ou de stratégie. C’était à celle qui s’accommoderait le mieux aux conditions, qui serait la plus forte mentalement. »

« Un jour de grand vent, illustre Charlie Pasarell, Bobby Riggs (vainqueur de Wimbledon en 1939 et de l’US Open en 1939 et 1941, le même qui défia Billie Jean King lors de la « Battle of the Sexes » en 1973) avait laminé son adversaire qui s’était plaint, après le match, des conditions, affirmant qu’il était impossible de jouer au tennis. Bobby Riggs avait ironisé en précisant qu’étonnamment, lui n’avait jamais senti le vent souffler de son côté. Morale de l’histoire : apprendre et s’entraîner à jouer avec le vent et ne pas s’en servir comme excuse. »

« Ma mère m’a toujours dit, « le vent est ton ami, pas ton ennemi », rebondit Tamira Paszek, 26e mondiale en 2013. Un mantra qui a aidé l’Autrichienne à remporter le tournoi d’Eastbourne en 2012 en éteignant Daniela Hantuchova, Marion Bartoli et Angelique Kerber. Le vent ménagerait les palettes variées, les tricoteurs, les Majax de la petite balle jaune quand il briderait la surpuissance des bûcherons du Tour. La finale dames de Roland-Garros cette année en est encore un parfait exemple. « C’est un bon révélateur des faiblesses des joueurs, reprend la double quart-de-finaliste à Wimbledon (2011, 2012). Il dessert les jeux à plat, ceux dont le tennis repose beaucoup sur le service. Je suis plutôt petite (1,65 m), j’aime tripatouiller la balle, slicer, varier les effets et les zones, jouer à l’instinct. »

De face, dans le dos ou tourbillonnant : à chaque situation sa riposte

Même son de cloche du côté de Richard Gasquet, étrangement grandiloquent, après sa victoire contre Ugo Humbert, au premier tour de l’Open d’Australie en 2022 : « Dans le vent, je fais partie des meilleurs. J’adore ça. Si je jouais un circuit qu’avec le vent, je serais top 15, top 20. Je suis né dans le vent, dans l’Héraut (à Béziers, à une soixantaine de kilomètres de Leucate, tiens). » Ce même Gasquet, interrogé par la FFT en 2023, éventait ses quatre secrets pour briller dans le Mistral : « Privilégiez la sécurité, mettez un peu plus de lift, faites l’effort sur les jambes et la main et arrêtez de faire du vent un ennemi ». Un dernier conseil que n’aurait pas renié la mère de Tamira Paszek qui préfère, elle, broder sur le troisième point. « Le petit jeu de jambes, les pas d’ajustement sont essentiels car le timing peut être perturbé à tout moment par une rafale. Une bonne main aide aussi à varier les effets. Si tu bourrines à plat, tu as de fortes chances de voir ta balle [poids entre 56.0 et 59.4 grammes selon les règlements de l’ITF] s’envoler. »

« Privilégiez la sécurité, mettez un peu plus de lift, faites l’effort sur les jambes et la main et arrêtez de faire du vent un ennemi »

Richard Gasquet, sur la bonne méthode à adopter face au vent

Fabian Marozsan, 58e à l’ATP, a peut-être été l’auteur du coup le plus veinard de l’histoire du tennis lors du Challenger d’Antalya en décembre 2021. Et il en doit une belle au vent terrible qui tournoyait ce jour-là. « Je l’avais dans le dos, se remémore-t-il. Dans l’échange, je fais un énorme bois, la balle monte très haut, part derrière moi, dépasse même le grillage, la honte quoi. Et puis, improbable, le vent la ramène dans le court, juste derrière le filet. Point gagnant pour moi. Impossible de reproduire un tel coup. »

Plus pragmatique, le joueur hongrois fait le distinguo entre le vent tourbillonnant, de face ou dans le dos. « C’est toujours délicat dans cette dernière situation car il te faut en mettre moins et trouver la bonne vitesse de balle. Mais si tu doses bien, cela peut faire très mal à ton adversaire car le vent accélère ta balle. En revanche, avec le vent de face, je déconseillerais les amorties ou les courts-croisés. Mais pourquoi ne pas tenter le service-volée en frappant fort ? ».

« On préfère toujours jouer contre le vent plutôt qu’avec, précise Marie-Pascale Siffre. Dans ce cas, il faut travailler les effets pour éviter que la balle ne nous échappe ». Et Tamira Paszek d’apporter un dernier éclairage plus technique. « Attention, mettre plus d’effet, ça ne veut pas dire ralentir la vitesse du bras [avec le risque de voir sa balle s’envoler encore plus] mais travailler davantage avec le poignet pour imprimer du lift ou du slice, que la balle tourne et résiste au vent. »

Reste que certains gestes et techniques demeurent plus vulnérables aux bourrasques. Le lancer de balle au service par exemple. « En demies, Marion Bartoli avait dû s’y reprendre à plusieurs fois pour le toss, rigole encore l’actuelle 446e mondiale. Ça avait duré près de deux minutes avant qu’elle puisse faire un service correctement ». « Cela affecte toujours la mise en jeu, confirmait Iga Swiatek après sa victoire en quarts contre Elina Svitolina aux Internationaux de France cette année. Parfois, il faut seulement mettre la balle dans le court. On ne cherche pas forcément à décocher des aces ».

Pour Charlie Pasarell, la solution est pourtant à la portée de tous : « lancer la balle moins haut et kicker pour garder de la marge, le vent se chargeant du reste. » Simple comme bonjour. On résume ? De l’effet, des jambes, de la sécurité et beaucoup de sang-froid composent le cocktail gagnant pour juguler, au moins en partie, ce coquin de bourrasques. Et si vous n’y arrivez toujours pas, tant pis et bon vent.