Nous sommes « en guerre ». Dans sa dernière allocution télévisée le Président de la République a reconnu la menace que représente cet autocrate pourtant reçu dès 2017 sous les ors de Versailles : Vladimir Poutine. Constatant que nous ne pouvons plus compter sur l’Amérique de Donald Trump, Emmanuel Macron a dit la nécessité de « réarmer les pays européens », ce que le Conseil européen a acté dans un plan « ReArm Europe » de 800 milliards d’Euros. En France, le ministre des Armées souhaite doubler le budget militaire, soit une augmentation de 50 milliards d’euros.

Ces chiffres vertigineux donnent l’ampleur de la bascule dans laquelle notre vieille Europe et notre vieux pays se trouvent. Le pire serait le déni – certains s’y complaisent. Mais il faut dire une autre vérité : ce basculement va durer. La menace que fait peser la Russie ne va pas s’arrêter demain.

Le mandat de D. Trump débute à peine. Le désengagement et le renversement d’alliance des États-Unis, y compris sur les enjeux économiques, va avoir des effets que nous ne mesurons pas encore complètement, sur un temps long. Nous ne sommes malheureusement pas à l’abri de nouvelles crises, sur les prix de l’énergie, des matières premières ou des biens de consommation, de nouveaux bouleversements géopolitiques liés à la Russie ou d’autres grandes puissances, en Asie notamment.

Ce basculement structurel impose une réorganisation et un effort profonds, systémiques, tant de notre économie que de nos structures publiques. Mais dans le même temps, la terre ne s’arrête pas de tourner. Le dérèglement climatique s’amplifie. Les menaces terroristes n’ont pas disparu.

Quand le global tangue, le local est un repère.

Quant à nos concitoyens, ils continuent de nous interpeller sur leurs attentes concrètes en matière de pouvoir d’achat, de sécurité, d’emploi, de logement, de santé, d’environnement… Ils s’inquiètent du risque que le contexte international serve de prétexte à toujours plus d’injustice fiscale et à de nouvelles coupes claires dans des services publics déjà largement affaiblis : l’éducation, l’hôpital public en particulier. Nous leur devons des réponses.

Quand le global tangue, le local est un repère. Dans la tempête, les territoires sont toujours un bouclier. Les collectivités locales ont pris de plein fouet les crises récentes -pandémie, prix de l’énergie, inflation – et sont aujourd’hui encore en première ligne. Elles assurent des dépenses sociales essentielles (CCAS, petite enfance, handicap, grand âge), s’engagent massivement dans les politiques indispensables du quotidien (transports, déchets, écoles), y compris là où l’État est défaillant (sécurité, santé), tout en continuant d’investir pour l’avenir.

Dans ce contexte si inquiétant et incertain, rien ne serait pire que de fragiliser les territoires. On doit au contraire les renforcer en leur donnant de la visibilité, des marges de manœuvre, et en les intégrant pleinement dans la stratégie nationale d’économie de guerre.

Le premier enjeu est simple mais stratégique : anticiper. Depuis la dissolution les territoires naviguent dans un brouillard total, politique et budgétaire. Pire, on leur a injustement imputé la responsabilité de l’état calamiteux des finances du pays, alors qu’elles ne font contrairement à l’État aucun déficit. C’est pourquoi nous appelons à l’élaboration d’un nouveau Pacte de confiance entre l’État et les territoires, qui tienne compte de la nouvelle donne mondiale et qui donne du souffle aux collectivités locales à travers des trajectoires budgétaires pluriannuelles pour les dotations, les recettes et l’investissement.

Nous proposons la création dans chaque région d’un Conseil de défense territorial.

Cette visibilité doit s’accompagner de marges de manœuvre accrues. Si le Conseil européen vient d’accorder aux États une dérogation de 650 milliards d’Euros au sacrosaint Pacte de stabilité et de croissance, les collectivités doivent aussi pouvoir bénéficier d’une flexibilité supplémentaire.

C’est d’autant plus faisable que les collectivités sont globalement bien gérées. Alors que leur dette représente moins de 10% de l’ensemble de la dette publique et qu’elles portent les trois quarts de l’investissement public, elles sont soumises à des contraintes administratives immenses et à des ratios drastiques qui les limitent considérablement. Nous proposons d’assouplir temporairement ces règles, par exemple en accordant une marge supplémentaire sur le ratio de désendettement, ou en excluant du calcul des dépenses stratégiques telles celles dédiées à la transition énergétique ou aux grandes infrastructures.

La stratégie nationale d’économie de guerre ne sera efficace que si les territoires sont pleinement parties prenantes. Pour cela, une gouvernance locale renforcée est nécessaire. Nous proposons la création dans chaque région d’un Conseil de défense territorial, associant préfets, élus locaux et parlementaires, acteurs économiques, représentants de la recherche, de l’enseignement et de la formation. Ce Conseil aura pour mission de planifier et de territorialiser les investissements locaux, notamment là où existe un écosystème des industries stratégiques : aéronautique, cybersécurité, armement, pharmacie.

Il permettra de mieux anticiper les investissements dans les infrastructures défensives et logistiques : ferroviaire, routes, réseaux numériques. Il structurera les pôles de développement économique et d’emploi, de formation mais aussi d’innovation. Car n’oublions pas que de nombreuses technologies aujourd’hui utilisées dans la vie de tous les jours, sont issues de la recherche militaire.

La menace à laquelle notre pays et l’Europe font face appelle une mobilisation de toutes nos forces vives. C’est notre responsabilité collective. Mais l’économie de guerre ne doit pas se transformer en guerre des économies. Rien ne serait pire que d’avoir à choisir entre défense nationale et sécurité sociale, entre souveraineté et solidarités, entre global et local. Donnons aux collectivités de la visibilité, des marges de manœuvre. Faisons confiance à leurs représentants, ils savent gérer l’argent public. Renforcer les territoires, c’est renforcer la nation.

Signataires

Nicolas MAYER-ROSSIGNOL, Maire de Rouen
Carole DELGA, Présidente de la Région Occitanie
Marie-Guite DUFAY, Présidente de la Région Bourgogne Franche-Comté
Christophe CHAILLOU, Sénateur du Loiret
Christophe BOUILLON, Maire de Barentin, Président de l’Association des Petites Villes de France
Martial BEYAERT, Maire de Grande-Synthe
Fanny CHAPPE, Maire de Paimpol
Emmanuelle GAZEL, Maire de Millau
Nathalie KOENDERS, Maire de Dijon
David MARTI, Maire du Creusot
Gaelle LE STRADIC, Vice-présidente de la Région Bretagne et conseillère municipale de Lorient
Damien STEPHO, Maire de Vernouillet
Michel MENARD, Président du Département de Loire Atlantique
Florence HEROUIN-LEAUTEY, Députée de Seine-Maritime
Christian COAIL, Président du Département des Côtes d’Armor
Christophe RAMOND, Président du Département du Tarn
Vincent LE MEAUX, Maire de Plouëc-du-Trieux et Président de Guingamp-Paimpol Agglomération
Yves GOASDOUE, Maire de Flers
Sébastien CHOCHOIS, Maire d’Outreau
Michaël QUERNEZ, Maire de Quimperlé
Kevin ALLENO, Conseiller municipal de Lanester
Benoît ANQUETIN, Maire de Saint-Aubin-Épinay
Pascal BARON, Maire de Freneuse
Hicham BOUJLILAT, Vice-Président de la Région Bourgogne-Franche-Comté
Gilles BUREL, Conseiller municipal de Canteleu
Kader CHEKHEMANI, Adjoint au Maire de Rouen
Christine DE CINTRE, Conseillère municipale de Rouen
Matthieu DE MONTCHALIN, Adjoint au Maire de Rouen
Tom DELAHAYE, Maire de Canteleu
Frédéric DELAUNAY, Maire de Saint-Jacques-sur-Darnétal
Caroline DUTARTE, Adjointe au Maire de Rouen
Cécile FADAT, Adjointe au Maire de Condat-sur-Vienne
Claire FITA, Députée Européenne
Charlotte GOUJON, Maire de Petit-Quevilly
Thomas HENNEQUIN, Maire de Montcornet
Richard JACQUET, Maire de Pont-de-l’Arche
Hugo LANGLOIS, Maire de Amfreville-la-Mi-Voie
Julie LESAGE, Maire de Grand-Couronne
Abdelkrim MARCHANI, Conseiller municipal de Rouen
Frédéric MARCHE, Maire de Cléon
Jean-Michel MAUGER, Maire de Saint-Pierre-de-Varengeville
Djoudé MERABET, Maire de Elbeuf
Quentin MEUX, Militant au Parti Socialiste
Jérôme MEYER, Adjoint au Maire de Paris 11e
Adrien NAIZET, Conseiller municipal de Rouen
Alexis RAGACHE, Maire de Sotteville-lès-Rouen
Valentin RASSE LAMBRECQ, Conseiller départemental Seine-Maritime
Nicolas ROULY, Maire de Grand-Quevilly
Sylvaine SANTO, Maire de Roncherolles-sur-le-Vivier
Cécile SOUBELET, Secrétaire de section du Parti socialiste de Issy-les-Moulineaux
Sileymane SOW, Adjoint au Maire de Rouen

Par Nicolas Mayer-Rossignol