Les autorités indiennes ont interdit 25 livres au Cachemire, les accusant de propager de «faux récits» et de prôner le «sécessionnisme» dans cette région contestée, où le contrôle strict des médias s’est intensifié ces dernières années.I
Cette interdiction expose à des peines de prison les personnes qui vendent ou possèdent ces ouvrages, notamment ceux d’Arundhati Roy, romancière et militante lauréate du prix Booker, de l’expert constitutionnel A.G. Noorani, et d’éminents universitaires et historiens comme Sumantra Bose, Christopher Snedden et Victoria Schofield.
L’ordonnance a été émise mardi par le ministère de l’Intérieur de la région, placé sous le contrôle direct du lieutenant-gouverneur Manoj Sinha, administrateur en chef du Cachemire à New Delhi.
M. Sinha exerce un pouvoir considérable dans la région en tant que représentant du gouvernement national, tandis que les élus dirigent un gouvernement largement impuissant, entré en fonction l’année dernière après les premières élections locales depuis que l’Inde a retiré à la région disputée son statut spécial en 2019.
L’ordonnance a déclaré les 25 livres «confisqués» en vertu du nouveau Code pénal indien de 2023, interdisant de fait la circulation, la possession et l’accès à ces ouvrages dans la région himalayenne. Diverses dispositions du code prévoient des peines de prison de trois ans, sept ans, voire la perpétuité, pour les infractions liées à la confiscation de supports, bien qu’aucune personne n’ait encore été emprisonnée en vertu de ces dispositions.
«Les 25 livres identifiés ont été jugés comme incitant au sécessionnisme et mettant en danger la souveraineté et l’intégrité de l’Inde», a déclaré le ministère de l’Intérieur dans son avis. Ces livres ont joué «un rôle crucial dans la désinformation de la jeunesse, la glorification du terrorisme et l’incitation à la violence contre l’État indien», a-t-il ajouté.
Cette mesure a été prise à la suite d’«enquêtes et de renseignements crédibles» concernant la «diffusion systématique de faux récits et de littérature sécessionniste», souvent déguisés en commentaires historiques ou politiques, a-t-il précisé.
Conformément à cette ordonnance, des policiers ont perquisitionné jeudi des librairies, fouillé des vendeurs de livres en bord de route et d’autres établissements vendant des publications imprimées à Srinagar, la capitale, et dans plusieurs localités de la région, afin de confisquer les ouvrages interdits, a indiqué la police. Les autorités n’ont toutefois pas précisé si elles avaient saisi de tels documents.
Sumantra Bose, politologue et auteur dont le livre «Kashmir at the Cross Roads» figurait parmi les ouvrages interdits, a rejeté «toute insulte diffamatoire» visant son travail, a rapporté l’agence de presse Press Trust of India.
«Je travaille sur le Cachemire, entre autres sujets, depuis 1993, a déclaré Bose. Mon objectif principal a toujours été d’identifier des voies de paix afin que toute violence cesse et que les populations de la région en conflit, de l’Inde dans son ensemble et du sous-continent puissent profiter d’un avenir stable, exempt de peur et de guerre.»
L’Inde et le Pakistan, deux pays rivaux dotés de l’arme nucléaire, administrent chacun une partie du Cachemire, mais revendiquent tous deux l’intégralité du territoire.
Des militants dans la partie du Cachemire sous contrôle indien combattent le régime de New Delhi depuis 1989. De nombreux Cachemiris musulmans soutiennent l’objectif des rebelles d’unifier le territoire, que ce soit sous domination pakistanaise ou en tant que pays indépendant.
L’Inde insiste sur le fait que le militantisme au Cachemire est un terrorisme parrainé par le Pakistan. Le Pakistan nie cette accusation, et de nombreux Cachemiris la considèrent comme une lutte légitime pour la liberté. Des dizaines de milliers de civils, de rebelles et de membres des forces gouvernementales ont été tués dans le conflit.
Depuis 2019, les autorités criminalisent de plus en plus la dissidence et ne tolèrent aucun discours remettant en cause la souveraineté de l’Inde sur le Cachemire.
Interdire des livres n’est pas courant en Inde, mais les autorités du premier ministre Narendra Modi ont multiplié les perquisitions dans les médias indépendants, emprisonné des journalistes et cherché à réécrire l’histoire dans les manuels scolaires et universitaires afin de promouvoir la vision nationaliste hindoue de son parti au pouvoir, le Bharatiya Janata Party.