Des vignes bien entretenues servent de pare-feu lors des incendies estivaux, assurent les viticulteurs et les pompiers. Leur suppression peut, à l’inverse, favoriser la propagation des flammes, même si c’est le vent, la chaleur et la sécheresse qui en sont les principaux responsables.

Des grappes de raisin face à des forêts calcinées. Alors qu’un gigantesque incendie ravage une partie du massif des Corbières depuis mardi 5 août, la place des vignes – qui a largement diminué depuis 2010 dans l’Aude – alimente des débats sur la vitesse de propagation hors norme des flammes. « Ce que l’on a vu là et qui est très frappant, c’est que partout où il y avait des vignes, pour l’essentiel, le feu a été arrêté », a affirmé François Bayrou, lors d’une visite sur le terrain, mercredi 6 août. A l’inverse, « là où il n’y avait plus de vigne – là où les taillis, les broussailles et les garrigues avaient pris la place – on a eu un accroissement de la catastrophe et de la vitesse du feu », a renchéri le Premier ministre.

Une déclaration qui va dans le sens des mises en garde maintes fois répétées par les viticulteurs du coin. « Cela fait 20 ans que l’on alerte sur les arrachages de vignes », souffle Franck Saillan, secrétaire général du Syndicat des vignerons de l’Aude. « C’est le meilleur coupe-feu dans des zones sans eau où rien d’autre ne pousse », assure-t-il à franceinfo. Or, « quand la vigne disparaît, c’est une friche qui apparaît. Vous remplacez un coupe-feu par un bidon d’essence. »

Avec ses feuilles vertes et ses rangs bien espacés, la vigne se révèle en effet comme une barrière protectrice contre les incendies. « L’été, la vigne est en pleine croissance, avec du feuillage vert, composé à 80% d’eau, grâce à ses racines qui puisent très profondément dans le sol », explique Jean-Marc Touzard, directeur de recherche dans l’unité innovation de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) et spécialiste de la vigne. « Cela en fait un bon barrage contre les incendies, surtout si elle est bien entretenue et désherbée. »

« Si les pourtours d’une parcelle peuvent être un peu grillés, c’est très rare de voir des vignes bruler. »

Jean-Marc Touzard, chercheur à l’Inrae

à franceinfo

Au-delà de ces caractéristiques naturelles, la culture des vignes permet d’assurer une présence humaine utile lors des incendies. « Les viticulteurs jouent un rôle de prévention en avertissant des incendies et en entretenant des accès pour les pompiers », développe Jean-Marc Touzard. D’autant plus que nombre d’entre eux sont engagés comme pompiers volontaires et peuvent guider les services de secours, ajoute ce spécialiste.

Une aide régulièrement saluée par les pompiers. « Les vignes sont des appuis particulièrement précieux dans la lutte contre les incendies », confirme le capitaine Jean-Marie Aversenq. « Il n’y a pas de combustible qui permettrait au feu de transiter par cet espace-là », explique l’officier de communication du Service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de l’Aude. Cette protection a notamment été utilisée dans la lutte contre l’incendie qui touche dans le département, où des images montrent des camions de pompiers positionnés dans les vignes pour tenter de contenir les flammes qui dévalent les forêts de pins aux alentours.

Ces barrages naturels se font cependant de plus en plus rares. Depuis de longues années, l’Aude, et plus globalement le vignoble du Languedoc, traversent une grave crise climatique et économique. Avec les sécheresses qui se multiplient et qui durent parfois sur plusieurs années, et un marché français et international en berne, de nombreux viticulteurs n’arrivent plus à vivre de leur activité. Les vignes sont alors arrachées. Entre 2010 et 2020, 5 500 hectares ont ainsi été supprimés dans l’Aude, selon les services du ministère de l’Agriculture.

Et ce n’est que le début. En 2024, l’Etat a mis en place « un dispositif d’aide exceptionnelle pour la réduction de potentiel de production viticole », avec, à la clé, une prime de 4 000 euros par hectare arraché. Cet « arrachage Ukraine », comme il a été surnommé, doit en effet « répondre aux difficultés économiques des exploitations viticoles affectées par les conséquences de l’agression de la Russie contre l’Ukraine », écrit le ministère.

Dans toute la France, 30 000 hectares ont été supprimés, dont près de 5 000 dans l’Aude – un record pour l’Hexagone. Dès la fin du mois de décembre 2024, les tracteurs se sont ainsi mis en marche pour déraciner des milliers de pieds de vigne, notamment dans les Corbières, relate France 3 Occitanie.

Une transformation du paysage qui a des conséquences très concrètes. « Lorsque les vignes sont arrachées, les terres sont laissées en friche, avec des végétaux secs », explique Serge Zaka, docteur en agroclimatologie. « On passe d’un pare-feu à un vecteur de feu », complète-t-il. « La déprise agricole et les vagues successives d’arrachages ont conduit à rapprocher les feux des habitations », confirme l’officier de communication du Sdis de l’Aude.

« Moins de vigne, cela signifie davantage de lutte pour nous. »

capitaine Jean-Marie Aversenq, officier de communication du Sdis de l’Aude

à franceinfo

Reste à déterminer le rôle qu’a réellement joué l’arrachage de vignes dans l’incendie qui s’est déclaré dans l’Aude mardi. Pour les pompiers, qui luttent encore contre les flammes, trois facteurs sont indiscutables. « La vitesse de propagation s’explique par le fait qu’on a eu un vent de l’ordre de 60 à 70 km/h, avec des températures de 30 à 35°C et un taux d’hygrométrie très bas », assure le capitaine Jean-Marie Aversenq.

En plus de ces trois éléments, plusieurs hypothèses sont soulevées pour tenter de comprendre comment l’incendie a pu se propager à une vitesse atteignant 6 km/h, du jamais-vu en France. « Le rôle de la déprise agricole est encore à déterminer, mais c’est une hypothèse importante », estime Serge Zaka. « L’arrachage des vignes » a été « un facteur aggravant » dans cet incendie, confirment les pompiers, sans pouvoir donner davantage de détails sur l’importance de ce facteur.

D’autres hypothèses sont également étudiées. « Cela fait trois ans qu’il y a une sécheresse très importante dans les garrigues, beaucoup d’arbres n’attendaient qu’un feu pour brûler », explique Serge Zaka. Le recul des élevages dans la région et les reliefs très escarpés ont aussi pu contribuer à la catastrophe, insiste l’agroclimatologue.

Alors que les braises de l’incendie sont encore chaudes, tous les acteurs du territoire s’accordent sur la nécessité de remettre le sujet de la vigne et des cultures au centre de la table, en prenant en compte leurs apports dans la lutte contre les incendies. « On aurait préféré ne pas avoir à en arriver là, mais on a l’impression que les pouvoirs publics ont enfin pris conscience de ces enjeux », déclare Franck Saillan, secrétaire général du Syndicat des vignerons de l’Aude. Il a d’ailleurs pu en parler directement au Premier ministre lors de leur rencontre sur le terrain, mercredi 6 août. « Il y a urgence à trouver une solution », a-t-il martelé, face au « paysage lunaire » qui entoure désormais les vignes restantes.

« L’arrachage des vignes est un crève-cœur. Ce que l’on veut, c’est vivre de notre métier et pouvoir entretenir les paysages. »

Franck Saillan, secrétaire général du Syndicat des vignerons de l’Aude

à franceinfo

Cette transformation doit également être adaptée aux enjeux du réchauffement climatique. « Par exemple, on peut avoir de l’herbe à l’intérieur des parcelles de vignes pour mieux gérer la sécheresse, mais ne pas en mettre au bord des parcelles pour préserver l’effet pare-feu », avance Serge Zaka. Idem pour le fauchage tardif, qui permet de préserver la biodiversité, mais qui est, lui aussi, pointé du doigt dans les départs d’incendies. « Il faut trouver un équilibre », plaide l’agroclimatologue. « On peut faucher les deux premiers mètres au bord de route et laisser de l’herbe plus loin. »

Plus globalement, de nombreux experts appellent à réinstaurer une « mosaïque paysagère », qui laisse de la place à la vigne, à l’agriculture, à l’élevage et aux peuplements de feuillus, et pas seulement aux résineux. « Il faut créer une diversité, et l’homme peut avoir une place à jouer là-dedans », défend Christophe Chauvin, pilote du réseau forêt chez France nature environnement. « Car si l’on arrache juste de la vigne sans projet derrière, on va continuer de créer des boulevards pour les incendies. »