Nul n’est censé ignorer la Loire – volet 1.
Durant tout le mois d’août, If Saint-Etienne vous propose de revenir sur sa série de dossiers consacrée aux affaires qui ont marqué la vie judiciaire ligérienne. On commence avec l’affaire Gournier.
Le 30 novembre 1999, André et Geneviève Gournier sont retrouvés morts dans le salon de leur maison de Saint-Priest-en-Jarez. Pendant dix ans, leur fils a lutté contre une justice qui l’accusait de double parricide.
(Article initialement publié le 10 juillet 2021, mis à jour le 8 août 2025).
« Mon premier procès, c’était un peu comme regarder toute une assemblée te certifier que deux et deux font cinq », se souvient Jean-Paul Gournier en feuilletant les rapports d’expertise de l’affaire qui a bouleversé son existence.
Le 30 novembre 1999, les pompiers découvrent les corps sans vie de ses parents, à leur domicile de Saint-Priest-en-Jarez. Geneviève a 81 ans, André 75 ans, et tous deux sont de paisibles retraités. Jean-Paul, leur fils âgé de 40 ans au moment des faits, travaille comme chirurgien cardio-vasculaire. Dès son arrivée sur place, il remet quatre flacons de sang aux enquêteurs. Quatre échantillons prélevés la veille sur ses parents, chez qui il soupçonne une intoxication, en raison de leur comportement inhabituel ce jour-là.
Infiltration mortelle
Rapidement, les analyses toxicologiques concluent que ses parents sont tous deux décédés d’une injection de Tracrium. Un produit à base de curare régulièrement utilisé par les anesthésistes et impossible à se procurer sur le marché. Cette substance entraîne une paralysie de la plaque motrice, immobilisant donc les muscles, y compris respiratoires. Surpris, le fils pense au suicide de ses parents. Il se souvient d’un courrier reçu quelques jours plus tôt au sujet d’une donation faite par le couple à leurs petits-enfants. Il s’achevait sur un post-scriptum pour le moins énigmatique : « Cette lettre n’est peut-être pas explicite pour les plus jeunes d’entre vous mais, dans le temps et avec les explications de vos parents, vous serez à-même de nous comprendre ».
Puis, Jean-Paul Gournier avance une seconde hypothèse. Sa mère, ancienne infirmière, aurait assassiné son père puis se serait donné la mort, lassée par trente ans d’infidélité. « Elle disait à qui voulait l’entendre qu’elle lui ferait boire le bouillon de onze heures », se souvient-il. Madame Gournier ne cachait visiblement pas à son entourage les tromperies qu’elle subissait et le ressentiment qui en découlait. Par ailleurs, il semble que tout ait été fait pour qu’un incendie se déclenche dans le foyer. Un fer à repasser, alllumé, a été retrouvé posé sur un rideau en nylon, près d’une bouteille de gaz ouverte. Mais le feu n’a pas pris.
Elle disait à qui voulait l’entendre qu’elle lui ferait boire le bouillon de onze heures
Toutefois, aucune seringue n’a jamais été retrouvée. Et le fils étant chirurgien cardio-vasculaire, la police voit en lui quelqu’un capable de se procurer facilement le poison. En parallèle, les enquêteurs découvrent que l’héritage aurait rapporté plus de 300 000 euros à chacun des enfants du couple. « Si j’avais vraiment eu besoin d’argent, je n’aurais eu qu’à demander de l’aide à mes parents, raconte-t-il. Il se trouve que ma situation financière était saine. À cette époque, je faisais des travaux à mon domicile, et j’avais investi 150 000 euros dans ma propre société de chirurgie. Ce découvert était convenu avec mes partenaires bancaires, il s’agissait d’un emprunt ». Mais ces éléments éveillent les soupçons.
Condamné
« Il n’y a eu aucune estimation de l’heure du décès, regrette Jean-Paul Gournier. On peut évaluer le refroidissement d’un corps par sa température, c’est la meilleure méthode à l’heure actuelle, sous certaines conditions. Conditions que mes parents remplissaient. Pourquoi cela n’a-t-il pas été fait ? L’évaluation de la rigidité cadavérique n’est pas réalisée non plus. Si tout avait été fait correctement, je pense qu’à une heure près, on était juste ». Selon le chirurgien, tout n’a pas été fait dans les règles de l’art… Car sa formation lui permet de contester les expertises. « Le juge d’instruction m’a mis en examen. Admettons. Mais le rapport d’autopsie, en dehors des nombreuses fautes d’orthographe, est truffé d’erreurs. Ce qui m’a été le plus préjudiciable ce sont les prélèvements sanguins. Dans le sang que j’avais prélevé la veille du décès, mon père avait un taux de nivaquine (antipaludique, ndlr) normal. C’était logique car il rentrait de Madagascar et avait pris un traitement. Dans le prélèvement des légistes, ce taux était mortel ». Il en va de même pour le curare avec un taux estimé 2,4 fois supérieur au taux réel.
« Les expertises se basaient en fait sur du sang prélevé au mauvais endroit lors de l’autopsie. Quand j’ai pointé cela du doigt, on m’a rétorqué qu’en fait non, cela avait bien été fait au bon endroit contrairement à ce qu’indiquait le rapport ». En s’appuyant sur cette expertise, la Cour conclut que madame Gournier était dans l’incapacité de se relever et de se débarrasser de la seringue avant que le produit ne l’immobilise. Quant à Jean-Paul Gournier, son attitude le dessert lors de ce procès. Il renvoie l’image d’un homme arrogant, qui sait mieux que les experts. Il est condamné en première instance à 25 années de prison, condamnation dont il fait immédiatement appel.
La science infuse
En juin 2009, après un an passé à la prison de La Talaudière, Jean-Paul Gournier change d’attitude lors de son second procès à la Cour d’appel de Lyon. Comme lors de la première instance, tout tourne autour du délai d’action du poison. Une donnée clé qui permettrait d’établir si Mme Gournier a, oui ou non, pu mettre ses menaces à exécution et se donner la mort après avoir assassiné son mari, tout en se débarrassant de la seringue. L’avocat du chirurgien a fait venir depuis le Canada un expert en matière de curare, le professeur Bevan. Un tournant dans l’affaire. Lorsqu’on l’interroge sur la distance que Geneviève Gournier a pu parcourir après son injection, il se lève et fait trois pas en avant. Une démonstration qui fait basculer le dossier. Le 26 juin, l’accusé est acquitté, après dix années de combat.
Lors du premier procès, maître André Buffard se charge de la défense de la tante de Jean-Paul Gournier, qui s’est constituée partie civile. Aujourd’hui, il croit toujours en la culpabilité du chirurgien, décédé depuis. A l’occasion de la parution de son ouvrage Coups de Maître, dans lequel il revient sur cette affaire, nous avons pu l’interroger sur le sujet. « Tous les experts disent que c’est impossible, sauf le dernier, qui va lui valoir son acquittement. Mais, le juge d’instruction avait mis tout le monde sur écoute, et on y entend un certain nombre de témoins se mettre d’accord. Gournier dit même « il faut éliminer cette vérole de Buffard car s’il est parti civile, il est capable de me faire condamner ». Au second procès, qui se fera sans moi, ces écoutes ne pourront pas être diffusées en raison d’un problème technique et il fera témoigner un expert canadien qui vous dira qu’on peut courir et danser après une injection de curare. Il sera acquitté, et je respecte cette décision ».