Une récente étude publiée dans la prestigieuse revue « Nature » bouleverse notre compréhension de la maladie d’Alzheimer. Pour la première fois, des chercheurs de Harvard Medical School ont démontré que le lithium, ce métal argenté utilisé depuis des décennies en psychiatrie, est en réalité un élément essentiel au fonctionnement normal du cerveau. Cette découverte majeure pourrait transformer l’approche thérapeutique d’une maladie qui affecte actuellement entre 1,2 et 1,3 million de personnes en France, avec 225 000 nouveaux cas diagnostiqués chaque année.

Les symptômes caractéristiques de cette maladie neurodégénérative – perte de mémoire, difficultés à accomplir les tâches quotidiennes, troubles du langage, désorientation spatio-temporelle – pourraient ainsi trouver une explication dans un déficit en lithium naturel de l’organisme.

Un mécanisme protecteur enfin élucidé

L’équipe dirigée par le Dr Bruce Yankner a mis en évidence un mécanisme fascinant : le lithium permet aux cellules microgliales, véritables « éboueurs » du cerveau, de nettoyer efficacement les plaques de bêta-amyloïde avant qu’elles ne s’accumulent et causent des dégâts neurologiques. Les expériences menées sur des souris ont révélé qu’une carence en lithium, même minime (réduction de seulement 50 % des niveaux naturels), provoque rapidement le développement d’inflammation cérébrale et l’accélération des changements liés au vieillissement. Ces rongeurs présentent alors une accumulation de plaques et d’enchevêtrements caractéristiques d’Alzheimer, accompagnée d’une perte de mémoire accélérée. À l’inverse, un traitement avec du lithium orotate, une forme spécifique qui ne se lie pas aux plaques amyloïdes, a permis de réduire considérablement ces lésions cérébrales et de restaurer partiellement les capacités de mémoire des souris traitées.

Des preuves convergentes chez l’humain

Cette découverte ne se limite pas aux modèles animaux. L’analyse de tissus cérébraux humains conservés dans plusieurs banques de cerveaux américaines a confirmé que les patients atteints d’Alzheimer ou de troubles cognitifs légers présentent systématiquement des niveaux de lithium plus bas que ceux avec un fonctionnement cérébral normal.

Ces résultats font écho à des études épidémiologiques antérieures particulièrement éclairantes : une étude danoise de 2017 avait montré que les personnes vivant dans des régions où l’eau potable contient naturellement plus de lithium développent moins de démence, tandis qu’une étude britannique de 2022 révélait que les patients sous lithium pour troubles bipolaires avaient environ 50 % moins de risque de développer la maladie d’Alzheimer. Les chercheurs ont également identifié un piège redoutable qui explique la progression de la maladie : imaginez des éboueurs (les cellules microgliales) qui ont besoin d’un outil spécial (le lithium) pour ramasser les déchets toxiques (les plaques). Problème : ces déchets sont « magnétiques » et volent les outils des éboueurs. Plus il y a de déchets, moins les éboueurs peuvent nettoyer, ce qui crée encore plus de déchets. C’est exactement ce qui se passe dans le cerveau des malades d’Alzheimer.

Une piste thérapeutique prometteuse mais encore fragile

Face à une maladie qui devrait toucher 2,2 millions de Français d’ici 2050 et 139 millions de personnes dans le monde, cette découverte suscite un espoir considérable. Les chercheurs ont testé une solution ingénieuse : le lithium orotate, une forme de lithium qui ne se laisse pas « voler » par les plaques toxiques et reste donc disponible pour les cellules nettoyeuses du cerveau.

Chez les souris traitées, les résultats ont été spectaculaires avec une réduction des lésions et une restauration partielle de la mémoire. Cependant, les scientifiques appellent à la plus grande prudence : les doses utilisées étaient 1000 fois plus faibles que celles prescrites en psychiatrie et aucun effet toxique n’a été observé chez les animaux mais cela ne garantit rien chez l’humain. « Une souris n’est pas un humain. Personne ne devrait prendre quoi que ce soit basé uniquement sur des études chez la souris », insiste le Dr Yankner. Des essais cliniques rigoureux sont maintenant indispensables avant d’envisager le lithium comme traitement validé. En attendant, les chercheurs rappellent que certains aliments naturellement riches en lithium – légumes verts, noix, certaines épices – sont déjà reconnus pour leurs effets protecteurs contre le déclin cognitif et offrent peut-être une voie de prévention accessible à tous.