Installées depuis plusieurs mois dans le parc du Heyritz, plus d’une centaine de personnes vivent et dorment à l’abri des arbres. Afghans, Géorgiens, Irakiens, plusieurs communautés cohabitent. Mais les intempéries de ce mois d’août fragilisent les corps et les esprits. Sur place, maintenant que l’orage et la grêle sont passés, les occupants sont épuisés.
« On pense toujours que c’est pire pendant l’hiver, que c’est plus compliqué. Mais cette année, c’est assez particulier avec toutes ces intempéries. Franchement, je crois que la pluie, ça rend encore plus dingue que le froid. » Ce jeudi matin du début du mois d’août, Sabine, de l’association les Petites Roues, est préoccupée.
Le 1er août dernier, jour le plus pluvieux de l’année 2025, des pluies diluviennes et de grêlons se sont abattues sur la ville de Strasbourg. Sur le camp du Heyritz, chacun(e) a tenté de se protéger comme il pouvait. Mais les trombes d’eau qui se sont écoulées n’ont rien épargné. La pluie inonde tout sur son passage et il devient vite impossible de se sécher. Rendant les conditions de vie encore plus difficiles à supporter. « Là c’est surtout sur le moral que ça joue. Je sens que les personnes sont vraiment à bout. » s’inquiète Sabine.
© Caroline Alonso Alvarez / Pokaa
Maintenant que l’orage est passé, les occupant(e)s sont épuisé(e)s. 186 personnes, des familles pour la plupart, dorment actuellement dans des tentes plantées sous les arbres ou à la lisière des jardins familiaux. Parmi eux, se trouve une soixantaine d’enfants, plusieurs femmes enceintes, des personnes âgées, des personnes souffrant de graves problèmes de santé et même des personnes en fauteuil roulant.
Un bon nombre d’entre eux sont arrivés il y a près de cinq mois, suite au démantèlement du camp de la Montagne Verte qui a eu lieu en février dernier. À l’époque, les occupant(e)s ne disposant pas d’un titre de séjour n’avaient pas pu être logés dans des gymnases de la ville. Beaucoup se sont alors déplacés vers le parc du Heyritz. Sur une quarantaine de familles recensées, l’écrasante majorité dispose d’un statut de réfugié. Pourtant, aucune d’entre elles ne parvient à se loger.
Le 25 juillet dernier, le tribunal administratif de Strasbourg a autorisé la Ville à faire évacuer le campement. Mais en pleine période de vacances d’été, l’expulsion semble avoir été retardée. Sur place, l’attente et l’incertitude torturent les esprits.
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Des pathologies chroniques à soigner sous tente
Si le soleil est revenu, sur place, tout le monde tousse. Impossible de ne pas tomber malade après avoir été détrempé pendant plusieurs jours. Mais même si chacun(e) est impacté(e), l’entraide s’organise pour soutenir les plus fragiles. À peine arrivés sur le camp, une femme d’une quarantaine d’années vient nous saluer. Maia, c’est un peu l’infirmière de tous les Géorgiens du campement. Grâce à ses maigres connaissances en langue française, elle consacre son temps à déchiffrer des documents médicaux. Ici, elle connaît l’état de santé de toutes celles et ceux avec lesquels/lles elle parvient à communiquer.
Installée tout près d’elle sur un banc de l’allée, Maia tient à nous faire rencontrer Iamze. Avec sa longue chevelure grise et blanche et son t-shirt Grand Est, elle fait partie des doyennes du camp. À 70 ans, Iamze se retrouve seule et son cœur bat grâce à un pacemaker : « Toute ma famille est en Géorgie, je n’ai personne ici. » Parfois logée par le 115, elle est souvent contrainte de retourner dormir sous sa tente, faute de place. « Elle n’a pas de maison, il n’y a pas de place, c’est beaucoup de stress pour elle, c’est difficile. » explique Maia.
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Un peu plus loin sur le chemin, c’est Vladimir, qui nous tend ses papiers. Hépatite, cirrhose du foie, l’ordonnance de médecin indique qu’il doit recevoir une injection par jour. Maia nous explique qu’il ne sait pas comment procéder. Pour sa santé, Vladimir doit subir une gastroscopie. Mais où dormir après l’opération ? Aucun personnel de santé ne peut envisager qu’un(e) patient(e) retourne dormir sous une tente en plein post-opératoire.
Puis c’est au tour d’Imeda, habillé avec un t-shirt du Racing Club de Strasbourg, de rejoindre le petit groupe, qui se forme peu à peu au fil des consultations improvisés de Maia. Lui aussi cumule plusieurs pathologies et est actuellement sous dialyse. Phridoni quant à lui, fait partie des quelques personnes en situation de handicap qui vivent sur le camp. Plutôt âgé, en fauteuil roulant et avec une incapacité reconnue à 85%, il est jugé comme prioritaire par les services du 115. Pourtant, le système de rotation le contraint à alterner entre l’hôtel et la tente. « Je dois quitter l’hôtel ce dimanche. Je vais devoir rester dehors pendant une semaine avant d’avoir à nouveau une place. » indique-t-il.
Sabine soupire. « Ça crée énormément d’anxiété parce que la place est donnée pour seulement cinq ou dix jours. Parfois même une seule nuit. Psychologiquement, les gens ne peuvent jamais se poser. » Logé au centre social Fritz Kiener, Phridoni a dû découper une partie de son fauteuil pour parvenir à entrer dans la chambre qui lui a été attribuée.
Fin des consultations pour Maia, qui, comme souvent reste impuissante : « C’est difficile pour eux. Moi, je suis en bonne santé, mais je suis triste pour ces personnes. » Si son fils vient d’obtenir son titre de séjour, elle, attend toujours. Quand la grêle s’est mise à tomber sur les abris, Maia a couru se réfugier dans les cabines WC en plastique installées par la municipalité.
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« Il faut que je reste forte, parce que c’est moi qui gère tout »
Natia, de son côté, a eu trop peur de sortir de sa tente. Elle explique que les abris ont tremblé et qu’absolument tout a été mouillé. « Un cauchemar » raconte-t-elle. En France depuis maintenant huit ans, la mère de famille était encore récemment logée par une association dans la ville de Sélestat. Jusqu’à ce qu’elle et ses deux enfants soient contraints de quitter leur appartement. Voilà maintenant un mois et demi, que Natia et son fils de 16 ans Michael, dorment dans le parc.
Tout le long de notre échange, c’est sa fille Anna, tout juste 18 ans, qui fait office de traductrice. Elle a obtenu son titre de séjour au moment de sa majorité, mais sa mère et son petit frère, eux, attendent toujours. Elle explique être hébergée chez un ami, mais elle est très inquiète pour eux : « Elle est aussi malade depuis la pluie. Elle a mal un peu partout, au dos, etc. Mon frère mentalement, il ne va pas très bien. Avant, il n’était pas comme ça, je le vois. Il a l’air trop triste, ma mère aussi l’a remarqué, ça la stresse beaucoup. »
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Tout comme Anna, Basira porte sur ses épaules la charge mentale de toute la famille. Maîtrisant souvent mieux le français que leurs parents, il n’est pas rare qu’un des enfants endosse le rôle d’intermédiaire et d’assistant social de la famille. C’est d’ailleurs elle qui nous interpelle, un piquet dans la main, pendant que ses parents s’affairent à déplacer leur tente. Originaires d’Afghanistan, les cinq membres de la famille ont obtenu le statut de réfugié. Là-bas, Basgul était couturière et son mari Noorullah tenait un magasin. En France depuis maintenant trois ans, ils dorment dehors tous les cinq depuis plus d’un mois. Leur fille aînée travaille tous les jours dans un restaurant de sushis et le plus petit de la fratrie est malade et hospitalisé depuis peu.
« Il faut que je reste forte, je n’ai pas le choix. Il n’y a que moi qui parle français. Donc tout ce qui concerne les documents, c’est moi qui fait. Il n’y a que moi qui gère l’hôpital, le lycée, le collège. Je cherche aussi un travail pour mon père, mais comme il ne parle pas bien français, c’est compliqué. » détaille Basira. À 17 ans, elle doit normalement faire sa rentrée en Première au lycée. Mais le seul lycée qu’elle a trouvé est à 1h30 de Strasbourg. L’année dernière, déjà, ses professeurs lui reprochaient ses absences : « J’avais tout ça à côté à gérer, j’accompagnais pour tous les rendez-vous médicaux et du coup, je loupais les cours. J’espère que ça ira mieux cette année. »
Après avoir élagué quelque arbres pour la sécurité des occupants, la Ville installé un périmètre de sécurité dans les zones les plus risquées. © Caroline Alonso Alvarez / Pokaa
Un exil sans fin
Installés de l’autre côté du campement, Adil et sa fille Huda s’inquiètent du futur démantèlement du camp. Faut-il rester et risquer de se faire expulser ? Ou bien encore une fois tout remballer et fuir ? La famille irakienne connaît bien les procédures habituellement appliquées. Cela fait maintenant près de huit ans qu’ils ont été contraints de quitter leur terre natale. Dans un Anglais parfait, Huda se souvient : « J’avais 13 ans quand j’ai quitté mon pays, et là, j’en ai 21. »
Sameera, son mari Adil et leurs quatre enfants ont d’abord fait route vers la Grèce. Mais deux ans plus tard, alors qu’ils risquent d’être expulsés vers l’Irak, il faut partir. Direction la Bosnie, où ils resteront neuf mois dans un camp. Mais une nouvelle fois, leur établissement dans le pays est menacé. Adil et Sameera prennent alors la décision de continuer d’avancer. Faute de moyens financiers, le trajet se fera à pied. Les six membres de la famille entament alors une longue traversée de trois pays. D’abord la Croatie, puis la Slovénie, l’Autriche et enfin l’Allemagne. « Ça nous a pris un certain temps. » ironise Huda, un sourire en coin. Après être restés trois ans en Allemagne, les expulsions massives et le durcissement en matière de politique migratoire ont une nouvelle fois, poussé la famille à se déplacer.
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À Strasbourg depuis quatre mois, les parents et leurs enfants sont « dublinés », autrement dit, ils tombent sous le coup de la procédure Dublin. Comme leur demande d’asile a été faite en Allemagne, l’État français doit déterminer si la procédure doit se poursuivre là-bas ou recommencer ici. Si la famille n’est pas renvoyée en Allemagne dans les six mois qui suivent, elle pourra relancer une demande d’asile sur le territoire français.
Sur la route de leur exil, Adil, Sammera et leurs enfants ont croisé la route de Loulou. Un petit chaton malade trouvé à proximité de leur camp de fortune, en Allemagne. Soucieuse de sa santé, la famille a mis toute son énergie pour trouver un vétérinaire qui accepterait de la soigner. Une fois rétablie, Loulou est rapidement devenue un membre de la famille à part entière. Bien qu’elle vive sous tente aux côtés de ses maîtres, Loulou dispose d’un passeport européen, lui permettant de résider légalement sur le territoire.
1. Adil et Loulou 2. Le passeport de Loulou 3. Loulou, à l’époque où la famille de Huda l’a récupéré. © Caroline Alonso Alvarez / Pokaa
Un appel aux propriétaires et aux dons
Si les travailleurs/euses sociaux/ales du service LVI (lieu de vie informel) de la ville ainsi que ceux d’Entraide Le Relai, et diverses associations comme Caritas, Médecins du monde, les Restos du cœur et les Petites Roues passent de temps en temps sur le campement, les conditions de vie sur place restent indécentes. Depuis une semaine, Sabine tente de rassembler des palettes pour que les occupants puissent surélever leurs tentes.
Elle lance aussi un appel à toutes les personnes en possession d’un logement vide, vacant ou en processus de vente : « Notre association peut faire un bail temporaire avec les propriétaires pour héberger temporairement des familles. » Pour aider à financer l’achat de matelas gonflables ou des tentes pour les familles, les Petites Roues ont aussi ouvert une cagnotte. Chaque don permet d’apporter un peu de soutien à celles et ceux qui en ont le plus besoin.