FIGAROVOX/TRIBUNE – L’accord négocié par Ursula von der Leyen avec Donald Trump est critiqué par l’essentiel des partis politiques français, même les plus europhiles. L’ancien haut fonctionnaire européen Bruno Alomar se demande si le moment n’est pas venu de redéfinir une politique commerciale nationale.
Ancien haut fonctionnaire à la Commission européenne, Bruno Alomar a publié La Réforme ou l’insignifiance. Dix ans pour sauver l’Union européenne (Éditions de l’École de guerre, 2018).
Le 28 juillet 2025, le premier ministre François Bayrou a estimé, quelques heures après la signature d’un accord entre l’Union européenne (UE) et les États-Unis, qu’il s’agissait d’un «jour sombre » pour l’Europe qui «se résout à la soumission». Une telle déclaration, de la part d’un premier ministre dont la principale conviction politique, partagée avec le président de la République, est l’engagement dans la construction européenne, est lourde de sens.
Sur le plan symbolique à l’évidence. Le 15 août 1877, dans le contexte de la crise du 16 mai 1877, Léon Gambetta, avait lancé qu’une fois la voix du peuple entendue, il faudrait «se soumettre ou se démettre», résumant en une formule ce qui est l’essence du régime républicain. Le terme «soumission» a ensuite été employé dans les moments noirs de notre histoire, jusqu’à l’utilisation qu’en a faite Michel Houellebecq récemment. Dire que l’Europe acte sa «soumission» n’est donc pas anodin.
Sur le plan politique et institutionnel surtout. Car une telle déclaration n’est que l’acmé d’une série de remises en cause de plus en plus véhémentes par les dirigeants français du principe même de la politique commerciale européenne, la dernière en date ayant été le psychodrame de l’automne 2024 relatif au Mercosur.
Il faut à cet égard rappeler que la politique commerciale commune est, en vertu de l’article 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’une des cinq compétences exclusives de l’UE, jumelle de l’union douanière. Dit avec des mots simples : la politique commerciale est l’un des très rares domaines dans lesquels l’UE est forte. Attaquer la politique commerciale, c’est par conséquent attaquer le cœur de la construction européenne.
La France, comme les autres États membres, délivre un mandat à la Commission pour négocier, et ratifie (ou non) l’accord finalement trouvé. Elle a donc bien son mot à dire
Écartons ici l’idée qu’au motif que la France a renoncé depuis 1957 à une politique nationale, elle n’aurait pas à exprimer son point de vue, au moins sur le plan institutionnel. La France, comme les autres États membres, délivre un mandat à la Commission pour négocier, et ratifie (ou non) l’accord finalement trouvé. Elle a donc bien son mot à dire. Mais en aucun cas elle ne décide plus seule.
Sur le plan politique, en revanche, la situation est moins à l’avantage des dirigeants français. Ces derniers critiquent vertement Ursula von der Leyen. Ils n’ont pas tort. Le fond et la forme de l’accord du 28 juillet accréditent le mot de soumission. Mais qui s’est enorgueilli d’avoir fait nommer en 2019 – et renommer en 2024 – Ursula von der Leyen à la tête de la Commission, qui a depuis multiplié les mauvaises grâces à l’égard de la France, notamment par le brutal limogeage du commissaire Thierry Breton ? Au premier chef, Emmanuel Macron. Il y a pire. Ursula von der Leyen, fidèle à un exercice du pouvoir vertical contraire à l’esprit de la Commission, a mené la négociation en laissant de côté le commissaire au commerce Sefkovic et la Direction générale du commerce de Sabine Weyand. L’esprit de responsabilité, devant un tel fiasco, a-t-il poussé quiconque à présenter sa démission ? Si la France est muette sur ce point, est-ce parce qu’elle sait que ni le Conseil de l’UE ni le parlement européen ne la suivraient ?
Car au-delà des déclarations véhémentes, une question vertigineuse se pose : si même les forces politiques françaises pro-européennes ne veulent plus d’une politique commerciale européenne unifiée, n’y a-t-il pas désormais consensus politique en France pour restaurer une politique commerciale nationale ?
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Sur le plan institutionnel, poser une telle question ne devrait rien avoir de scandaleux. L’UE dispose de compétences d’attribution fixées par un traité librement conclu par des États membres souverains. Ces États sont libres de donner du pouvoir à l’UE. Ils sont libres de lui en reprendre. Observons d’ailleurs que même les Français les plus fédéralistes demandent depuis plus de vingt – avec quelques succès récents et sans doute d’autres à venir – que la compétence fédérale de l’UE dans le domaine de la concurrence soit réduite.
Sur le plan politique en revanche, et c’est le nœud du problème, personne ne peut ignorer que remettre en cause la politique commerciale c’est, pour la France, ouvrir la boîte de Pandore. Car en filigrane de l’amertume de la France, le spectre du Brexit est bien là. Alors que se profile le dixième anniversaire du référendum de 2016, le simple fait que le Royaume-Uni obtienne un accord qu’il est difficile de qualifier de moins bon que celui obtenu par les Européens contredit le principal argument qui justifie d’être dans l’UE : l’union fait la force.