de l’extérieur, difficile d’imaginer que cette fortification du XIXe siècle est bien plus qu’une relique militaire perchée sur son promontoire rocheux. Cela fait pourtant quarante ans que la tour de l’Hubac (ou de l’Ubac) est le lieu de villégiature de Laurent et Véronique Remy. Ce couple de Vosgiens est tombé amoureux de ce coin isolé, de son emplacement improbable sur le flanc ouest du mont Faron et de son point de vue unique sur la rade de Toulon et la vallée de Dardennes. « Il n’y a aucun autre endroit au monde où je me sens mieux qu’ici », sourit Laurent Remy, une bière fraîche à la main.

Flash-back. En 1985, cet enthousiaste médecin généraliste répond à une petite annonce dans la revue Vieilles maisons françaises. « Ancienne tour militaire à vendre. Accès difficile. » La publication ne ment pas. Il faut près d’une demi-heure de grimpette sur un chemin caillouteux à moitié effondré, depuis le parking du fort du Grand Saint-Antoine, pour atteindre la ruine. Cédée en 1960 par la Marine, qui n’en avait plus l’usage, à un privé, qui ne l’entretenait pas, la tour de l’Hubac est alors en très mauvais état.

Quarante ans de travaux

« On cherchait une maison à retaper pour la retraite », explique Laurent Remy le plus simplement du monde. « Ça nous a pris aux tripes ». Il faut dire qu’il y a là de quoi satisfaire n’importe quel (doux) rêveur à tendance (sérieux) bricoleur. Dit autrement: il y a tout à faire. « La route d’accès était impraticable. On a commencé par là, histoire de pouvoir acheminer les matériaux. Au début, on posait notre caravane en bord de mer et on venait travailler ici la journée. J’ai crevé quelques pneus sur ma BX. »

À raison de plusieurs semaines par an, les chantiers se succèdent. Il faut remplacer le pont-levis, disparu. L’intérieur de cette « construction en forme de kouglof », humide et froide, au crépi attaqué par l’urine, devient petit à petit habitable. Les extérieurs sont retapés. Laurent, Véronique et leurs quatre enfants multiplient les allers-retours avec l’est de la France. 600kg de briques y passent mais aussi quelques poutres de sapin.

Le couple consacre tout son temps libre à sa « cabane ». Il manie la bétonnière pour aménager les anciennes réserves de poudre. Récupère l’eau de pluie, amène la lumière et fait la sieste bercé par le ronron du groupe électrogène. Et maintenant? « C’est spartiate, on y fait un peu du camping mais on aime ce côté rustique. Le gros des travaux est derrière nous. »

Tout comme la lutte de territoire, qui s’est jouée ces dernières années. Une version moderne du château fort assiégé. En guise d’assaillants médiévaux, les minots de la cité de Guynemer, située en contrebas, ont longtemps tenté, par tous les moyens et dès que la petite famille n’était pas là, de pénétrer à l’intérieur de la tour.


L’édifice comprend deux plates-formes d’artillerie, dont celle située à l’étage inférieur sert aujourd’hui de terrasse au couple Remy.

Désormais, les squatteurs s’y cassent les dents

« Mais le Vosgien est tenace », se marre Laurent Remy. Les filous réussissent à défoncer la porte? Le retraité en installe une, blindée, de plus de 300kg, qui s’ouvre vers l’extérieur. Les gredins tentent de creuser le sol? Il coule une chappe de béton autour du fortin. Les meurtrières sont consolidées, l’accès au réservoir en sous-sol est scellé. La tour de l’Hubac devient totalement hermétique à qui n’en possède pas la clé.

Pour autant, l’homme de Cornimont, commune de 3.000 âmes à 20km de Gérardmer, a des principes. « On sait que les promeneurs toulonnais aiment profiter de notre terrasse avec ses échauguettes. Aucun problème, c’est un patrimoine commun: si les gens ne salissent pas les lieux, on est très heureux qu’ils puissent venir pique-niquer. C’est pour ça qu’on n’a pas installé de portail. » Et au besoin, Lili, le taciturne berger allemand, monte la garde.

Un fort construit entre 1845 et 1846

La tour de l’Hubac, du nom de l’éperon de calcaire sur lequel elle s’élève, est l’une des neuf fortifications du mont Faron. Destinée initialement à contrôler la vallée de Dardennes, cette batterie cylindrique de 11,5mètres de diamètre a été construite entre 1845 et 1846. Elle complète alors le dispositif défensif du fort du Grand Saint-Antoine, bâti à la même époque.

Agrémentée d’une plate-forme de tir en contrebas, elle était en outre accompagnée d’un autre petit corps de garde crénelé, installé cent mètres plus au nord, sur la barre dite du « Bau du midi » (aujourd’hui « falaise des citernes »). À noter que la tour de l’Hubac a été conçue par le général Prévoit de Vernois, également à l’origine de la tour de la Croix Faron et de celle de la hauteur Beaumont.

Mis en vente par les Domaines en 1960

En 1878, son armement se composait de deux canons de 12cm de campagne avec, en batterie, un approvisionnement de 400 coups et une portée maximale de 4.100mètres. Une trentaine d’hommes, au maximum et en temps de guerre – treize en temps de paix – pouvaient y être accueillis. Mais de bataille, il n’y eut pas, y compris lors de la Seconde Guerre mondiale.

À la sortie du conflit, la fortification fut même jugée « inutilisable » et en « mauvais état par manque d’entretien », par les services des inventaires de l’armée. En 1960, elle fut mise en vente par les Domaines et cédée à un certain Monsieur Benetti puis à un certain M. Raymond et, enfin, en 1975, à un certain M. Barin, Grenoblois de son état. Pendant toutes ses années, malgré des changements de propriétaires successifs, la tour de l’Hubac resta néanmoins inoccupée et en proie à tous les vandalismes. Jusqu’à 1985 et l’arrivée de Laurent et Véronique Remy,

Dorénavant, le site se singularise, dans le paysage des ouvrages défensifs toulonnais, par son décor de brique et son excellent état de conservation. À ce titre, il est inscrit à l’inventaire des éléments remarquables du patrimoine architectural bâti de la commune de Toulon.

D’après les recherches de Michel Cruciani – La tour de l’Hubac du Mont Faron et le corps de garde du Bau de Midi – Bulletin de la Société des Amis du Vieux-Toulon, n° 132, 2009.