Au temps pour moi

On prend les mêmes et on recommence, ou presque. Là où Beyond the Infinite Two Minutes organisait dans un unique plan-séquence le mélange de plusieurs temporalités, En boucle se structure autour d’une multitude de plans-séquences de deux minutes, revenant au même point de départ : une femme, employée de l’auberge Fujiya, prend une pause aux abords de la rivière qui longe l’établissement, dans le village idyllique de Kibune.  

Ce lieu merveilleux, niché dans les montagnes japonaises, est présenté par Junta Yamaguchi pour sa beauté hors du temps, et s’attarde même avec bonheur sur les bruits discrets de la nature, tandis que sa photographie, cotonneuse voire au bord de la surexposition, arbore un voile lumineux apaisant. Les clients sont évidemment à la recherche de ce cadre bucolique, et pourtant, les premières boucles du film jouent tout de suite sur une agitation, sur des croisements heurtés des corps, des préoccupations intimes et des communications impossibles. 

Et puis, à la manière d’Un jour sans fin, tout ce beau monde réalise être coincé dans cette boucle temporelle de deux minutes, concept génial et restreint pour créer un faux huis clos et forcer le renouvellement des enjeux. Si le jeu vidéo s’est rendu spécialiste de ces retours en arrière, avec un paquet d’actions alternatives à tester, En boucle impressionne par son esprit tout aussi ludique, laissant vagabonder sa caméra vers de nouveaux embranchements en prenant bien soin d’explorer le moindre centimètre carré de son décor.  

On ne doute pas du calvaire logistique d’une telle approche, et pourtant, Junta Yamaguchi ne laisse pas son dispositif le dépasser, et construit l’ensemble comme s’il essayait de feindre sa simplicité. Pourtant, sa réussite dépend de la minutie de son écriture (qu’on doit à Makoto Ueda, déjà à l’œuvre sur Beyond the Infinite Two Minutes), autant dans les croquis efficaces des différents protagonistes que dans le développement de ses différents arcs narratifs, à commencer par une histoire d’amour douce et touchante.  

en boucle

En boucle mauvaise troupe

Cette empathie et cette tendresse s’avèrent idéales pour donner au film ses régulières envolées comiques, vrillant petit à petit vers une absurdité désopilante. Les tentatives de rationalisation de la situation renforcent la belle philosophie du scénario. Certes, En boucle évoque, comme ses modèles, la possibilité de se reconstruire par cette pause forcée dans le temps, mais il y ajoute la donnée du collectif. Par cet enchevêtrement des destins, contraints de ralentir le rythme dans un monde toujours plus rapide, il y a les ingrédients d’un joli film d’équipe, où chaque personnage, jusque-là enfermé dans sa bulle, se redécouvre au contact des autres.  

en boucle affiche