Publié le
12 août 2025 à 17h48
Des menaces de mort, des tentatives d’intimidation et des vitrines taguées à l’acide. Depuis le début du mois de juillet 2025, la librairie féministe Violette & Co (11e) est victime de harcèlement. « On subit des raids sur les réseaux sociaux, des personnes se sont rendues en boutique pour nous intimider et certains conseillers de Paris diffusent de fausses informations sur notre compte », détaille Loïse, libraire et coopératrice, à actu Paris. « Mais on ne se laissera pas faire », promet-elle alors que les soutiens affluent dans la petite librairie en ce mardi 12 août 2025. Pour Jean-Luc Romero, adjoint à la maire de Paris chargé de la lutte contre les discriminations, « rien ne justifie la haine que subissent les équipes ».
« Ça été fait à l’acide, une manière de laisser une trace indélébile »
Ils sont déjà une bonne poignée à flâner entre les rayons de l’emblématique librairie. Des clients, mais aussi des soutiens venus afficher leur solidarité alors que Violette & Co est dans la tourmente. « Au début du mois de juillet, notre vitrine a été taguée avec les mots ‘Hamas violeur’ et ‘Islamogauchiste’. Ça été fait à l’acide, une manière de laisser une trace indélébile », rembobine Loïse. Selon cette dernière, c’est la sélection d’ouvrages sur la Palestine et la montée de l’extrême droite qui a déplu.
Si, au départ, les libraires choisissent de ne pas ébruiter l’affaire, la multiplication des attaques envers Violette & Co les a poussées à prendre la parole. « Mercredi dernier, cinq personnes sont venues. Elles m’ont dit que le livre de coloriage From the river to the sea [slogan qui appelle à la destruction de l’État d’Israël pour les uns, ou revendique un État où les Palestiniens vivraient libres pour les autres comme le rappelle Cheknews], qui raconte l’histoire de la Palestine, placé en vitrine les avait choquées. Puis elles ont haussé le ton alors que je leur expliquais notre positionnement sur les sujets décoloniaux, antiracistes, etc. », raconte la libraire.
Le livre de coloriage pris pour cible. (©MAM / actu Paris)
« Je leur ai demandé de partir au moment où l’échange est devenu plus tendu et qu’elles m’ont affirmé qu’il n’y avait pas de génocide en cours à Gaza. Elles n’étaient pas là pour discuter », se souvient Loïse, encore émue. « On pensait que c’était un événement isolé, mais le lendemain, on a eu un appel téléphonique au sujet du même livre. Au bout du fil, quelqu’un nous a affirmé qu’on vendait un livre du Hamas », poursuit-elle, médusée.
Les équipes découvrent au même moment qu’un post a été publié sur X avec le nom de la librairie et son adresse. « Le tweet a pris de l’ampleur. En commentaires, on nous menace de mort, de mettre le feu à la librairie… En plus de propos homophobes », déplore Loïse.
Le livre à l’origine de la polémique a été retiré de la vitrine. (©MAM / actu Paris)« Ce n’est pas le commerce qui est subventionné, mais l’association »
« On ne connaît pas ces groupes, on ne sait pas ce dont ils sont capables. Alors on a décidé de fermer vendredi, par crainte », souffle notre interlocutrice. Les tweets de conseillers de Paris enflamment alors le débat. « Ils affirment que la Mairie de Paris subventionne la librairie, mais c’est faux. La subvention est allouée à la structure Violette & Co association. Elle permet de faire de la médiation culturelle, des ateliers de lecture, de mettre en place des permanences psy ou des événements conviviaux », précise Loïse.
Une information confirmée à actu Paris par Jean-Luc Romero. « Ce n’est pas le commerce qui est subventionné, mais l’association par le biais des actions qu’elle mène. D’ailleurs, ces 17 500 euros dont on parle proviennent de la commission chargée de la culture et pas du commerce », poursuit-il.
« Les violences sont inacceptables »
À chaque publication d’un conseiller de Paris, le harcèlement s’intensifie. Phénomène accentué par les prises de parole dans les médias qui condamnent la vente du livre de coloriage et ciblent la librairie. Pour Aurélien Véron, porte-parole du groupe Changer Paris et proche de Rachida Dati, « les violences sont inacceptables ».
Interrogé par actu Paris, il assure n’avoir « aucun scrupule à avoir pointé du doigt la librairie », qu’il accuse « d’avoir dérapé ». S’il n’a pas lu l’ouvrage en question, il condamne « la vente d’une publication antisémite qui promeut la position de martyr, dont le titre appelle à la suppression d’Israël ». Et d’inviter la justice à se pencher sur le sujet.
Dans From the river to the sea, que la rédaction a pu consulter, la page consacrée aux martyrs indique qu’« en Palestine, quand Israël tue celles et ceux qui défendent leur terre, leurs maisons, leur communauté, leur religion ou leur identité, on ne parle pas de ‘victimes’. On les appelle ‘Chahid (a)’, ou ‘martyr (e)’. Ce sont des héros qui ont une place spéciale dans la société palestinienne. Refaat Alareer est l’un de ces martyrs. Israël l’a tué par une frappe aérienne le 6 décembre 2023. Il était professeur d’anglais, écrivain et poète. »
Extrait de l’ouvrage « From the river to the sea ». (©MAM / actu Paris)
Pour Jean-Luc Romero, « on assiste à une dérive inquiétante ». « On peut trouver le choix de mettre ce livre en vitrine peu judicieux – ce n’est pas forcément un livre qui m’attirerait, mais il est hors de question qu’une collectivité dicte le choix éditorial d’une librairie. Quoi qu’il en soit, rien ne justifie une telle haine et cela relève de la responsabilité des élus de calmer le jeu. »
Faire nombre pour dissuader de potentiels agresseurs
Après une journée off, les équipes se mobilisent. « Samedi, on a rouvert parce que si on restait fermé, on allait continuer à avoir peur. Le mois d’août est bien choisi pour nous attaquer sans témoin puisqu’il y a peu de clients et de passage. Mais on a demandé à nos amis de venir pour faire nombre. On a aussi dû couper notre ligne téléphonique après avoir reçu six appels en trente minutes pour condamner le livre… »
Au cours de ces derniers jours, les soutiens ont afflué du côté du syndicat des libraires, des élus du 11e, du groupe écologiste de Paris… « Certaines librairies antifascistes nous ont appelés pour nous dire qu’elles aussi avaient été la cible d’intimidations et de dégradations. Elles nous ont aidées et conseillées », livre Loïse.
Si aucune plainte n’a encore été déposée, les équipes de Violette & Co sont en discussion avec des avocats pour entamer les démarches. « On ne se laissera pas faire », assure la libraire. Quant à la vitrine, dont le remplacement coûtera 10 000 euros, l’assurance devrait prendre en charge une partie de l’opération.
« Pour nous soutenir, il faut nous suivre sur les réseaux sociaux, liker, commenter, montrer qu’on est ensemble et remplacer les commentaires haineux par du soutien, glisse la coopératrice. Et venir aussi. Voir du monde dans la librairie peut avoir un effet dissuasif pour ceux qui cherchent à nous intimider. »
Défendre « l’unique librairie lesbienne de Paris »
« En quelques jours, je suis passée du désarroi au soulagement quand j’ai vu les clients qui affluaient, les messages de soutien et de solidarité qui nous étaient destinés. Ça fait du bien et, surtout, ça envoie un message aux autres commerces pris pour cible », confie Loïse.
De son côté, Jean-Luc Romero invite Rachida Dati, maire du 7e arrondissement et ministre de la Culture, à prendre position pour défendre « l’unique librairie lesbienne de Paris, pour ces femmes qui se battent pour la culture dans une époque déjà très difficile pour les libraires ».
Suivez toute l’actualité de vos villes et médias favoris en vous inscrivant à Mon Actu.