À Arles, en parallèle Des rencontres de la photographie, un Off envahit les rues de la cité. Coup de projecteur sur Benoit Feron, un explorateur des « Afriques ». Photographe voyageur, l’artiste documente ce continent depuis deux décennies : 19 pays parcourus, 70 voyages et des milliers de clichés. Cette aventure humaniste, il l’expose du 12 au 24 août à la galerie La Mercerie et la raconte dans un livre, Odyssée africaine (Éditions Odyssées), qui offre un magnifique et passionnant portrait de « ses Afriques ».

L’Afrique de Benoit Feron n’est pas celle des folklores, des beautés faciles et du voyeurisme de la misère. Une citation en épigraphe de son livre éclaire son travail et résume sa philosophie. « L’Afrique est une, mais plurielle. Elle est une mosaïque de cultures, de langues, de traditions. Elle avance, elle évolue, elle se transforme, tout en préservant son identité profonde », écrit Léopold Sédar Senghor.

Une autre clé de cette exploration en image(s) est une photo devenue une icône, celle d’Ajak. Benoit Feron raconte à franceinfo Culture l’histoire particulière de ce cliché et de cette rencontre. « On était à l’aéroport de Nairobi [Kenya] et il y a une photo d’Anne-Françoise Tanier [sa compagne et photographe] qui a été likée sur Instagram. Le gars qui l’avait likée était un jeune photographe kényan qui faisait beaucoup de photos de rue assez top. » Parfois, photographie et réseaux sociaux sont deux mots qui vont bien ensemble.

Benoît Feron prend alors contact avec lui et au voyage suivant, ils organisent un shooting à Kibera. « C’est un bidonville géant en périphérie de Nairobi, sûrement le plus grand d’Afrique », poursuit le photographe. Un endroit où paradoxalement créativité et misère se croisent, où précarité et dynamique artistique cohabitent. Ce jour-là, un jeune réfugié soudanais, attire l’attention du photographe : il s’appelle Ajak. Un peintre de rue peint le torse du jeune homme et ces images se créent, stupéfiantes d’inquiétude, de détermination et de force.

Ajak est arrivé à Kibera après être passé par le camp de réfugiés de Kakuma au nord du Kenya. Cette photographie de Benoit Feron a été prise en octobre 2021, quelques mois à peine avant qu'Ajak, devenu Stagon, réalise son rêve : en juin 2022, il défile à la Fashion Week de Paris pour Jean Paul Gaultier. (BENOIT FERON)

Ajak est arrivé à Kibera après être passé par le camp de réfugiés de Kakuma au nord du Kenya. Cette photographie de Benoit Feron a été prise en octobre 2021, quelques mois à peine avant qu’Ajak, devenu Stagon, réalise son rêve : en juin 2022, il défile à la Fashion Week de Paris pour Jean Paul Gaultier. (BENOIT FERON)

« C’est vrai que quand je photographie Ajak, je me rends compte que le type a une présence, mais incroyable. Poser pour lui, c’est un naturel incroyable. Je suis vraiment estomaqué, donc on fait toute une matinée de photos avec lui, c’est super. »

La surprise arrive quelques mois plus tard par les réseaux sociaux. Ces jeunes réfugiés, qui habitent Kibera, rêvent d’autre chose et ils ont tous une page Instagram. Benoît Feron poursuit : « On s’abonne à sa page et on découvre qu’il est à Paris à la Fashion Week, qu’il défile pour Jean Paul Gaultier. Ajak a ensuite fait d’autres campagnes et maintenant, il vit en Allemagne. » « Ce n’est pas ma photographie qui a changé sa vie », ajoute humblement le photographe.

Le boxeur Slumdog photographié par Benoit Feron. (BENOIT FERON)

Le boxeur Slumdog photographié par Benoit Feron. (BENOIT FERON)

Mais cette image puissante, comme d’autres, de la jeunesse africaine signe bien le désir de Benoit Feron de capturer la beauté d’une génération, les pieds dans la misère et la douleur des conflits, mais dotée d’une incroyable énergie et d’espoir de construire un monde meilleur.

Cette volonté documentaire est liée à une fascination pour ce continent. Un sentiment né tardivement. Il découvre l’Afrique à la quarantaine lors d’un safari animalier.

Le photographe belge nous raconte ce premier voyage : « En faisant ce safari, je tombe amoureux des guépards. Je suis vraiment amoureux, j’en ai rêvé toutes les nuits pendant six mois et donc je repars très vite avec un ami dans le même coin. » De ces rêves naît sa passion. Et sur les routes de ses périples, il croise les Maasaïs.

« Je suis parti en immersion dans un village maasaï à la frontière entre la Tanzanie et le Kenya. Un très gros village. Et là, j’ai vécu avec un guide du village. Je suis resté dans ce village pendant une semaine et j’ai été fasciné. Et ça a été mon premier reportage photo, c’était le début. C’était en 2003 ou 2004. »

Photographie de Benoit Feron issue d'"Odyssée africaine". (BENOIT FERON)

Photographie de Benoit Feron issue d' »Odyssée africaine ». (BENOIT FERON)

Depuis, il sillonne le continent : de Djibouti à la Tanzanie en passant par le Kenya et l’Éthiopie. Feron photographie hommes et femmes, vêtement et parures, bijoux et peintures. Parfois dans un noir et blanc puissant, il sculpte la lumière des corps où surgissent les scarifications qui racontent ainsi chaque peuple. Chacun arborant fièrement son appartenance et la perpétuation de ses traditions.

Ce choix du noir et blanc, il l’expliquait au magazine Chasseurs d’images : « Il change tout. Il enlève le décor, les couleurs qui parfois flattent l’œil, pour aller droit à l’essentiel : l’expression, l’émotion, le contexte humain. C’est une approche plus dépouillée, plus intime aussi. Dans Odyssée africaine, j’avais envie de montrer une autre facette de mon travail, plus proche du reportage, plus ancrée dans le vécu. Avant, j’étais très identifié à la couleur. Le noir et blanc, c’est un défi que je me suis lancé. »

Un photographe est un témoin, Et Benoit Feron sait trop bien que, plus encore que d’autres contrées du monde, le continent africain souffre : dérèglement climatique, exploitation des ressources par la Chine ou la Russie. La colère s’entend dans la voix du photographe qui observe le dédain du monde pour ce continent.

« On ne se rend pas compte, mais c’est une vraie catastrophe, souligne-t-il. Tu vois vraiment des déchets, des emballages et des trucs avec des étiquettes. Tu vois des produits qui viennent de France, d’Europe et qui se retrouvent là-bas parce que ce sont des déchets qui ne sont simplement pas traités chez nous et qui sont juste déversés là-bas, dans un énorme dépotoir. »

Photographie de Benoit Feron issue de

Photographie de Benoit Feron issue de « Odyssée Africaine ». (BENOIT FERON)

Évoquer les souffrances de l’Afrique, oui, mais le photographe veut revenir à l’optimisme et tient, comme dans ces images, à ajouter une note positive et respectueuse.

« Il faut aller voir l’Afrique moderne, l’Afrique contemporaine. Et notamment dans les bidonvilles. Et il y a un truc qui me frappe là-bas, c’est le dynamisme de la jeunesse. Tous ces jeunes ont une créativité, éprouvent une envie d’avancer. Une énergie. Et on sent que ça bouge. En plus, aujourd’hui, ils sont très connectés donc ils sont très informés. Ils sont de plus en plus instruits. Et enfin, moi, je les trouve géniaux. Quand tu vois comment le monde de la mode, par exemple, explose avec toutes ces créations qui commencent à venir chez nous… » Un espoir à partager avec cette exposition arlésienne et l’ouvrage Odyssée africaine.

Exposition de Benoit Feron à la galerie La Mercerie
12 rue du président Wilson, Arles, du 12 au 24 août 2025

L'ouvrage "Odyssée Africaine" de Benoit Feron, Éditions Odyssée, 55 euros. (BENOIT FERON)

L’ouvrage « Odyssée Africaine » de Benoit Feron, Éditions Odyssée, 55 euros. (BENOIT FERON)