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« Une renaissance… je me dis que le plus dur est derrière moi »

Bonjour Daniel ! C’est le grand retour de la chronique Mangeas, c’est ça ?

Oui, pour le moment, et ça prouve que je suis sur le bon chemin. Cela pouvait s’avérer un peu compliqué, mais maintenant les choses évoluent dans le bon sens et c’est tant mieux. Parce que j’ai le bonheur de retrouver les amis, toute ma famille cycliste, et donc à partir de là, je me dis que le plus dur est derrière moi.

 

Ça tombe bien, parce que ta course, la Polynormande, arrive ce dimanche. Si je te dis que c’est une renaissance ?

Je pourrais le considérer comme tel. Parce que c’est vrai que là d’où je viens, après un AVC aphasique, c’est-à-dire avec un trouble du langage, pour un speaker c’est assez compliqué… Donc j’avais une sorte de challenge pour essayer de revenir à un très bon niveau et retrouver de bonnes sensations. J’avais ce défi dans la tête : “Je veux revenir à la Polynormande”. C’était un moteur, une motivation. Et je crois que le fait même de la préparer et d’envisager de la faire, ça m’a déjà énormément aidé.

 


« Des moments difficiles, de doute… je n’arrivais pas à m’exprimer, impossible d’aligner deux mots »

Tu as témoigné dans la presse écrite ces dernières semaines, mais c’est la première fois que tu fais une interview en vidéo. Merci à toi, notre chroniqueur, pour ta confiance à Cyclism’Actu. Mais on ne se rend pas vraiment compte : par où tu en es passé pour être de retour ?

Je me dis aujourd’hui que la vie est belle, parce que je suis passé par des moments difficiles, des moments de doute. Je n’arrivais pas à m’exprimer, c’était impossible de mettre un mot derrière l’autre, devant l’autre. Et ça a été un moment où j’avais envie de retrouver mes amis déjà, j’avais envie de retrouver toute la famille cycliste, tous mes copains, etc. Je me disais : « Je vais y arriver, je vais y arriver ». Et puis il y a eu Le Normandy,  qui est un établissement spécialisé qui est à Granville, c’est là qu’était Jean-Paul Belmondo d’ailleurs, il y a quelques mois de cela. Il y a eu un beau soutien de la part des médecins, des infirmiers, et c’est revenu progressivement, ça s’est remis en place. À un moment je me suis dit « Tiens, je trouve un mot nouveau ». Cela n’a pas encore évolué à 100%, mais ça va être un challenge, et je constate que l’envie d’y parvenir me mobilise pleinement, elle me pousse chaque jour.

 

On sait que la famille mangeas est très unie, mais tu m’as dit aussi pendant ces mois de convalescence que tu as été quand même agréablement surpris du soutien de la famille du vélo. Tu savais que tu étais apprécié, aimé, mais tu as été surpris par certains messages de certaines personnes. Tout ça, ça t’a touché ?

Oui, et ça m’a beaucoup touché, ça m’a motivé en quelque sorte, je me suis dit que j’avais envie de revenir. Bon c’était compliqué, ce n’était pas aussi simple. Et puis je suis allé voir le Critérium de Lisieux, et là j’ai constaté que l’enchaînement des phrases était beaucoup moins fluide que précédemment, mais que les choses revenaient, se remettaient en place. Et j’ai vu le bonheur qu’il y avait autour de moi. Paul Lapeira est venu et m’a offert son maillot de champion de France, il avait envie de me voir, donc ça a été un moment de bonheur. Et puis j’ai vu aussi Kévin Vauquelin, qui m’a accompagné, qui m’a souhaité évidemment de revenir au plus haut niveau. Donc tout se remet progressivement en place, mais où je suis le plus satisfait, c’est qu’il y a des automatismes qui reviennent en permanence. Je crois que le sport cycliste et l’amour du vélo que j’ai me permettent de reprendre des positions qui deviennent au fur et à mesure très favorables.

 


 


« Finalement, je me suis aperçu que la vie valait d’être vécue »

Dernière question avant d’aborder le côté sport et ton analyse de ce qui s’est passé depuis des mois dans le vélo. Est-ce que ça ne serait pas un nouveau Daniel Mangeas qui revient ?

Déjà, il faut savoir comment je vais pouvoir maîtriser la situation présente, et puis je ne vais pas me mettre martel en tête. Je sais que ça va être compliqué, ça va être long, ça va être difficile, à moins qu’il y ait une métamorphose et que les choses évoluent. Mais le bonheur que j’ai, c’est de voir que les progrès sont énormes et sont très sensibles. Finalement, je me suis aperçu que la vie valait d’être vécue, et à partir de là, je ne vais pas me mettre martel en tête, je vais faire les choses convenablement, et si progressivement, les choses évoluent dans le bon sens, j’aurai du bonheur, bien évidemment, à retrouver mes amis, qui sont les amis du vélo.

Comment je pourrais dire et expliquer cela ? Il y a plus de 50 ans de micro, donc il y a évidemment une sorte d’intimité qui s’établit. Je fais partie, si tu veux, de cette famille cycliste, et elle me l’a bien rendu, comme tu le disais tout à l’heure. J’ai eu beaucoup de moments d’émotion, à lire un papier, à avoir des messages de sympathie, et tout cela m’a évidemment énormément touché. Tu vas mettre cela comme tu veux, dans l’ordre où tu veux, mais ça a été un vrai moment de bonheur.

 


« Je croise les doigts pour dimanche, pour la Polynormande »

On ne va rien toucher, parce qu’on adore t’écouter. C’est un plaisir de t’entendre, et pour un vieux bougre, on reconnaît bien ta voix, et tu parles toujours aussi bien, ne t’inquiète pas.

Je ne sais pas, mais je croise les doigts pour dimanche, pour la Polynormande. Je sais que Damien Martin sera là, et également mon frère Hervé, donc je ne travaillerai pas sans filet, et ça, ça va me rassurer quelque part.

 

Passons maintenant au côté sport, on a envie d’avoir à nouveau ton analyse sur ce qu’il s’est passé ces derniers mois. On va commencer évidemment avec le plus récent, c’est bien sûr la victoire de Pauline Ferrand-Prévot sur le Tour de France Femmes. Toi qui t’es battu pour retrouver tes mots ces derniers mois, justement, est-ce que tu en aurais un pour évoquer cette victoire de PFP sur le Tour de France Femmes ?

Pour moi, elle a été phénoménale. Je me souviens déjà d’elle, elle avait 17 ans, elle était championne de France cadette, elle disputait la Polynormande chez les cadets. J’avais vu ce petit bout de femme, elle avait déjà du tempérament, parce qu’elle avait terminé carrément parmi les meilleures avec les cadets. Et je me suis dit quand je me suis installé devant mon écran de télévision : « Ah, pourvu qu’elle réussisse ! », parce que je la connais un tout petit peu, elle a son caractère, elle est extrêmement charmante. Elle savait, elle voulait, elle s’était lancée ce challenge, elle avait véritablement envie de se tester sur le Tour de France.

Et puis là, comme je le disais tout à l’heure, c’est phénoménal, parce qu’elle a obtenu ce titre. Elle a été championne olympique, elle a été championne du monde, multiple championne du monde, elle se trace des objectifs, elle a envie de les atteindre, et c’est une très très grande championne. Pour moi c’est le mot, elle est absolument phénoménale.

 

Toi qui es un peu la bible du vélo français, où est-ce que tu places cet exploit dans l’histoire du cyclisme français, voire du sport français ?

Très haut. Elle représente une évolution majeure du cyclisme féminin. On a vu l’évolution du Tour de France, les femmes se sont « rapprochées » des hommes. Je l’ai vu quand j’étais en convalescence, on parlait à chaque fois dans le milieu médical de Pauline Ferrand-Prévot. Et là je me suis dit qu’elle a réussi à franchir un pas, elle est devenue une championne à part entière, et ça c’est quelque chose. On sait qu’elle avait cette sensibilité, elle a été porte-drapeau au moment des Jeux Olympiques, ça a été quelque chose bien évidemment de fort. Et là elle a toute la notoriété qui accompagne tout cela. Elle a 33 ans, mais je crois qu’elle n’a pas fini de faire parler d’elle.

 

Justement, d’un point de vue général, le cyclisme féminin a énormément évolué ces dernières années, notamment avec l’arrivée du Tour de France Femmes, quel regard tu portes là-dessus, sur cette évolution qui a été assez récente et très rapide ?

Le Tour de France, je l’ai connu avec Jeannie Longo, avec Maria Canins, mais à l’époque le Tour de France se déroulait en prologue des hommes, donc à partir de là, on n’avait pas de repère, on se disait : « Est-ce que le cyclisme féminin va avoir autant de notoriété que les hommes ou non ? ». Aujourd’hui, les femmes ne courent plus « en prologue » des hommes. Elles ont leur propre Tour, leur propre parcours, leur propre public, et c’est évidemment ce qui a tout changé. Elles sont capables de mesurer la notoriété qui est la leur désormais.

 

Et la suite, tu la vois comment du coup pour le cyclisme féminin ?

Je crois que leur progression va continuer. D’autant plus qu’on a une championne exceptionnelle, donc on va prendre rendez-vous pour 2026. Je pense que les femmes ont tracé leur sillon, elles l’ont parfaitement réussi, et c’est un vrai bonheur. Elles le méritent tellement, j’ai rarement vu une femmes abandonner. Elles sont résistantes, volontaires, admirables. Elles veulent aller jusqu’au bout, et vraiment j’ai beaucoup beaucoup d’admiration pour elles.

 

On a l’impression que le cyclisme féminin, dans le sport féminin, a dépassé aujourd’hui le foot féminin, le rugby féminin, tu n’as pas cette impression-là aussi ?

Si, absolument, je m’étais fait justement cette réflexion-là, en disant que le sport cycliste, c’est vrai, a plus de notoriété. On ne va pas évidemment comparer telle discipline par rapport à une autre. Mais c’est vrai que le cyclisme, il y a évidemment toute la manière d’être, de voir les concurrentes aller jusqu’au bout pour réussir à obtenir le meilleur classement possible, et là, c’est vrai que le cyclisme femme est devenu très très important. Cela pourrait se rapprocher du tennis, et c’est évidemment tout le mal que je leur souhaite.

 

Christian Prudhomme nous avait dit sur Cyclism’Actu pendant le Tour de France, que le prochain vainqueur français du Tour serait une femme. Et l’ami Prudhomme avait vu juste…

Oui, il avait vu juste, mais je ne suis pas surpris de ça. Moi, ce que je dis, ce qui a été très bien pour Christian Prudhomme, c’est qu’il a eu une sorte de challenge. Je le disais tout à l’heure, c’est qu’auparavant, le Tour de France Femmes était en prologue des hommes, alors que là, ce n’est plus le cas, les femmes sont bien présentes, et je crois que Christian doit savourer cela.

 


 

On a parlé des dames, parlons un petit peu des hommes quand même, et comment ne pas évoquer avec toi la « Kévin Vauquelin-mania » pendant ce Tour de France, évidemment, le coureur de ta Normandie. Comment tu as vécu de chez toi cette effervescence, surtout que le Tour de France est passé par la Normandie ?

Cela m’a remis dans le jeu, en quelque sorte. Je connais très bien Kévin, je l’ai vu passer une étape, encore une deuxième, et là, je me suis remis vraiment psychologiquement en rythme avec le sport cycliste. Kévin, je le sentais arriver bien évidemment, parce qu’il y a eu le Tour de Suisse, où il a terminé deuxième, la Flèche Wallonne. Je le sentais arriver, Kévin. Et il a été courageux, il a été jusqu’au bout, il n’a pas renoncé. Il a été dans le courage, et en même temps, besoigneux, c’est-à-dire qu’il avait envie, il ne lâchait absolument rien. D’ailleurs, le public l’a remarqué, puisqu’il a reçu une formidable clameur qui a accompagné ses performances. Et puis petit clin d’œil pour les parents : ils avaient une vraie passion du sport cycliste, et on peut dire que leur fils leur a permis justement de savourer des vrais moments de bonheur.

 

Le Tour de France Homme a aussi été marqué par un grand champion qui est Tadej Pogacar, son quatrième succès sur le Tour. Mais il a aussi eu quelques déclarations qui ont fait parler, notamment sur une certaine lassitude qu’il aurait au niveau de sa carrière, il évoquait déjà penser à la retraite dans quelques années. Toi qui as connu des grands champions à l’époque comme Eddy Merckx, comme Bernard Hinault, qu’est-ce que tu en penses ? Est-ce qu’ils ont aussi éprouvé, à un moment donné, cette lassitude ? Et surtout, aussi jeune, parce qu’on le rappelle que Pogacar n’a que 26 ans.

Oui, c’est vrai. Eddy Merckx, c’était un formidable challenger. Il voulait, et comme on dit, c’était le cannibale. C’est-à-dire qu’il voulait manger absolument tout. C’était, chez lui, quelque chose de fort. Alors que là, d’après les déclarations de Pogacar, c’est vrai que cette lassitude peut se ressentir. Il y a une pression énorme. Il y a plus de pression, je pense, aujourd’hui, avec, évidemment, les intérêts financiers, etc… Et puis, on voit, quand on regarde le nombre de coureurs du Tour de France. Moi, j’ai commenté le Tour en 77. Il y avait moins de 100 coureurs au départ du Tour. Alors qu’aujourd’hui, les choses ont évolué, évidemment, de manière très sensible. Les coureurs sont performants et calculent au millimètre près l’effort, etc…

Donc, il y a une sorte de hiérarchie, mais qui est très, très fragile. Et ça peut s’arrêter n’importe quand. Là, ce n’est pas le cas, avec évidemment Tadej Pogacar, qui a été un immense champion, et qui est encore un immense champion. Moi, la première fois que je l’ai connu, c’était à Plumelec, il avait terminé troisième des championnats d’Europe Juniors, en 2016. Et c’est là que je l’avais vraiment vu, puisqu’il avait été très actif dans le parcours. J’avais coché son nom et puis j’avais dit : « Celui-là, on va en entendre parler ». Mais de là à ce qu’il soit aussi efficace que ce qu’il est actuellement…

Pour reparler de la lassitude, je ne vais pas dire qu’il s’ennuie un petit peu, parce qu’il a des performances qui sont absolument magistrales. Mais je pense qu’il va se remettre dans le bain, parce qu’une année ne fait pas l’autre. Et je crois qu’il va se remotiver, parce que c’est un immense champion et la motivation est toujours très présente chez les champions.

 

Tu as parlé du fait d’avoir coché le nom de Tadej Pogacar très, très tôt. Il y en a un que beaucoup de fans français ont coché depuis déjà quelques temps, et qui fait beaucoup parler parmi les jeunes coureurs français, c’est évidemment Paul Sexas, qui est un peu la pépite du cyclisme tricolore que tout le monde attend. Toi, tu en penses quoi de Paul Sexas ? Tu l’as déjà vu, tu l’as déjà côtoyé ?

Paul Sexas, je l’avais rencontré parce qu’il avait de la famille à Redon, et il était venu faire la Polynormande chez les Cadets, et il avait obtenu une belle performance. La Polynormande, il n’y a qu’un seul coureur qui l’a gagnée deux fois, et il va faire ses adieux à la fin du mois d’août, c’est Anthony Delaplace, qui s’était imposé chez les Cadets, puis dans la catégorie Elite. Et j’avais été aller voir Paul Sexas, et je lui avais dit : « Tu es champion de France cadets, tu as de belles performances en devenir, ce serait bien que tu réussisses à faire le doublé ». Bon, pour l’instant, ce n’est pas le cas, mais oui, je l’avais rencontré, et il était très avenant, très sympathique. Et puis, c’est vrai que je pense qu’il va être regardé avec une loupe dans les mois et dans les semaines qui viennent, puisque chacun a envie raisonnablement d’attirer celui qui devrait être une formidable pépite.

 


« Mon ange gardien n’a pas voulu que je parte cette année »

Il nous reste quelques minutes pour finir cette chronique sur Cyclism’Actu. C’était au final un bon entraînement, tu es prêt pour dimanche et la Polynormande ! Pour conclure, quel serait le message que tu aurais à donner à ceux qui vont te regarder et t’écouter ?

Je voudrais leur dire que j’espère qu’ils auront pour moi beaucoup d’empathie, parce que ça va être compliqué. Heureusement, comme je l’ai dit, il y a Damien et mon frère Hervé. Mais j’avais envie de reprendre à la Polynormande. Tu sais, c’est une course que j’anime depuis 1965. J’avais 16 ans et Henri Anglade était devenu champion de France, c’était mon idole. Il avait gagné devant Raymond Poulidor et Jacques Anquetil, sacré podium. Et le jour où j’ai commenté cette course-là, c’est la première fois que je prenais le micro. Donc, ça a été un moment très, très fort, parce que mon idole, Henri Anglade, était champion de France et j’ai eu le bonheur d’annoncer sa victoire sur les routes de ce championnat de France. J’avais 16 ans et c’était le premier bonheur que j’ai pu rencontrer.

Et puis, pour répondre à ta question, tu vois que la mémoire commence à revenir progressivement, j’espère, comme je l’ai dit tout à l’heure, que les spectateurs ne seront pas trop exigeants avec moi si je fais quelques petites erreurs. Parce que je repars de zéro, il y a quelques semaines, j’avais des difficultés à m’exprimer, beaucoup plus qu’aujourd’hui. Je dis toujours que dans ma vie, j’ai toujours eu un ange gardien, et je crois qu’il n’a pas voulu que je parte cette année et que je puisse vivre encore beaucoup de moments de bonheur.

 


« C’est sûrement grâce à vous que j’ai pu retrouver le micro progressivement… et le meilleur est à venir »

Merci Daniel, et comme j’ai pu te le dire par téléphone l’autre jour : continue à nous emmerder !

Ce n’est pas fini ! Je suis un emmerdeur, je le sais très bien. Je voulais juste terminer avec un message. C’est vraiment un vrai bonheur de vous retrouver tous. Voilà ce que je voulais vous dire très sincèrement. Du plus modeste coureur à tous ceux qui ont des messages, qui m’ont assuré également de leur sympathie. J’ai eu des milliers et des milliers de messages et c’est peut-être et c’est sûrement grâce à vous que j’ai pu retrouver le micro progressivement, mais je crois que le meilleur est à venir.