Par

Emilie Salabelle

Publié le

13 août 2025 à 6h04

Gare de Lyon, lundi 11 août 2025. La canicule annoncée n’en est qu’à ses prémisses, mais déjà, l’atmosphère est étouffante dans les halls de la gare parisienne. En attendant le train, on patiente comme on peut. Çà et là, les éventails papillonnent. Mais cet été, un accessoire lui vole la vedette : braqués sur les visages rougis, fixés aux anses des poussettes, ou posés sur les valises, les mini-ventilateurs portatifs sont partout. Parfois pliables ou munis d’un réservoir à eau, rechargeables grâce à un port USB, ils n’ont pas tardé à s’imposer à Paris comme dans toute la France. Vendus à des prix modiques, on les trouve en ligne, sur les étals des marchés, dans les bazars… quand ils ne sont pas en rupture de stock. Un succès qui pèse lourd sur le plan écologique. actu Paris est allé se rendre compte du phénomène auprès de ceux qui l’ont adopté.

De la plage au boulot, un accessoire visible partout

Installée sur une chaise de camping dépliée face au tableau d’affichage, Rozi, le regard dans le vague, patiente en attendant l’embarquement de son train pour Marseille. Dans sa main, son ventilateur mauve lui apporte un semblant de fraîcheur. Cela fait quelques étés que la jeune femme a adopté ce réflexe. « L’année dernière, j’en avais acheté un en ligne, mais il n’a pas tenu longtemps. Celui-là, je l’ai eu pour un peu plus de 15 euros chez Hema. Il est mignon, et très pratique », loue-t-elle. À la moindre alerte chaleur, son gadget de poche l’accompagne partout. « Je l’amène au travail, au resto, à la plage… Ça bat clairement l’éventail ! »

Au travail, sur la plage, en attendant le train, le ventilateur portatif est toujours dans les affaires de Rozi en été.
Au travail, sur la plage, en attendant le train, le ventilateur portatif est toujours dans les affaires de Rozi en été. (©ES / actu Paris)

Devenu viral, l’accessoire est pourtant très décrié sur le plan environnemental. Symbole estival de la fast-tech – soit des petits appareils électriques bon marché et de piètre qualité, pendant technologique de la fast-fashion dans l’industrie textile – ces petits objets affichent en effet une empreinte carbone lourde. Parue en 2025, une étude de l’ONG britannique Material Focus, dédiée au recyclage des appareils électriques, pointe du doigt leurs effets pervers.

« Ça me sauve la vie »

Vendus en grande quantité et d’une qualité discutable, ils affichent une durée de vie courte et sont traités comme des périssables. Souvent jetés à la poubelle sans être recyclés, ils finissent à la décharge, et avec eux les métaux de leurs batteries. Selon l’étude, à l’échelle de la Grande-Bretagne, 7,1 millions de mini-ventilateurs auraient été achetés en 2024, et 3,4 millions ont déjà été jetés ou sont restés inutilisés la même année. 589 millions d’articles de fast-tech ont ainsi été jetés en 2024 et 2025, soit 2 278 terrains de football par an, compare l’étude. Or, rappelle l’ONG, « tout ce qui comporte une prise, une batterie ou un câble peut être recyclé ».

À chaque alerte météo, le réflexe court-termiste prédomine. La demande en mini-ventilateurs augmente dès qu’une vague de chaleur est annoncée, expose l’étude. Des achats « rapides et impulsifs ». Exactement la situation de Hint. Assise au bord d’un quai avec ses deux filles de cinq et sept ans, la mère de famille braque sa soufflerie miniature sur sa progéniture. « On a reçu un mail de la SNCF nous prévenant qu’il allait faire chaud et qu’il fallait s’équiper en conséquence. J’ai voulu en acheter un sur internet, mais c’était trop tard, on ne l’aurait pas reçu à temps. J’étais ravie de trouver celui-là au marché », rembobine-t-elle. Face aux cinq heures de train qui l’attendent pour rejoindre Cannes, l’accessoire lui « sauve la vie. Avec ça, c’est l’été facile avec des enfants ! », sourit-elle. Attablée à la terrasse d’un café, une touriste espagnole a carrément encerclé le landau de son bébé de trois mois d’un trio de pales électriques. « Je l’ai acheté à cause de la canicule, ça lui fait du bien », observe-t-elle.

Une touriste espagnole a entouré le landau de son bébé d'un trio de mini-ventilateurs.
Une touriste espagnole a entouré le landau de son bébé d’un trio de mini-ventilateurs. (©MAM / actu Paris)« Un éventail serait plus éthique »

La course au mini-ventilateur plastique se voit aussi dans le commerce. Dans les rayons d’un Gifi parisien, impossible d’en trouver un disponible. « On a été dévalisés », commente en coup de vent un vendeur. Des ruptures de stock ponctuelles qui n’entravent en rien un marché à l’essor titanesque.


Des modèles de toutes sortes sont vendus. (© ES / actu Paris)

Des modèles de toutes sortes sont vendus. (© ES / actu Paris)

Vendus moins d’1 euro pour les premiers prix sur les plateformes d’achat en ligne, ces accessoires se déclinent à l’infini. Certains modèles, plus sophistiqués que d’autres, proposent plusieurs vitesses, des éclairages différents, et une autonomie de longue durée. C’est le cas de celui acheté une quarantaine d’euros par Nassiba. Il a vite été adopté par son conjoint Ali. « Je l’avais acheté pour moi, mais il me l’a piqué ! » rigole la cinquantenaire au carré rouge flamboyant. « Ça rafraîchit bien avec cette chaleur. Je ne pourrais plus m’en passer », se justifie le mari.

En attendant leur train, Nassiba et Ali, accompagnés de leur fils Hani-Tayeb mutualisent les solutions de rafraichissement.
En attendant leur train, Nassiba et Ali, accompagnés de leur fils Hani-Tayeb mutualisent les solutions de rafraîchissement. (©ES / actu Paris)

Face à cette mainmise, Nassiba a repris ses vieux réflexes, et ressorti l’une de ses valeurs sûres, un joli éventail en bois et tissu carmin, « achetée il y a 19 ans en Espagne », raconte-t-elle en s’éventant énergiquement. « Ça marche très bien aussi, regardez ! Je travaille les mains et les bras avec ça », plaisante-t-elle. « De quoi se donner encore plus chaud », raille son conjoint, persuadé de la supériorité de sa brise artificielle.

Si l’argument écologique glisse sur lui, ce n’est pas le cas de Sophie, qui éprouve quelques scrupules face à son ventilateur blanc en cours de chargement sur un port USB en libre-service de la gare. Acheté chez Muiji pour une dizaine d’euros, la jeune femme ne l’utilise que rarement, explique-t-elle : « Je l’utilise juste pour le train, les endroits où on a besoin d’air. Mais ce serait plus éthique d’utiliser un éventail », glisse-t-elle. Et de s’interroger : « Je sais que j’en ai un quelque part, mais où ? »

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