Arnaque en vue. À la fin juillet, l’influenceur Johan Reboul, utilisateur de Vinted, a alerté sa communauté sur Instagram d’une nouvelle escroquerie qui prolifère sur la plateforme : de faux comptes utilisent l’intelligence artificielle (IA) pour vendre des articles de fast-fashion sous les étiquettes « vintage » ou « seconde main ».
Lancée en 2008 à Vilnius, en Lituanie, Vinted a connu une croissance fulgurante pendant la pandémie de Covid-19, profitant du confinement, période propice au tri de vêtements. La plateforme a récemment renforcé sa présence en France grâce à des campagnes publicitaires à la télévision, avec le slogan choc : « Tu ne le portes plus ? Vends-le ! ».
Vinted doit ainsi une large part de son succès à la France, qui rassemble près de 23 millions d’adeptes, sur un total mondial de 105 millions d’utilisateurs. « La France a véritablement tracé la voie pour la mode de seconde main en Europe », comme le soulignait Adam Jay, directeur général de la marketplace Vinted, en fin d’année dernière.
Si Vinted a démocratisé la seconde main, la plateforme se voit aujourd’hui envahie par la mode à bas coût, couramment appelée fast-fashion, qui détourne la promesse pourtant faite aux consommateurs d’acheter vintage et seconde main. Un phénomène rendu possible par le trucage de photos grâce à l’intelligence artificielle.
L’intelligence artificielle s’invite sur Vinted
Depuis plusieurs mois, avec la démocratisation des outils d’intelligence artificielle, les images générées par l’IA se multiplient sur Vinted, mais aussi sur Etsy, Amazon et même Leboncoin.
En soi, vouloir améliorer ses photos grâce à des outils comme ChatGPT n’est pas illégal. Interrogée par La Tribune, la plateforme Vinted explique ainsi que :
« Certains membres y ont recours pour montrer comment tombe un vêtement porté, sans avoir à révéler leur visage, ou pour supprimer les arrière-plans inutiles ou les données personnelles. »
Interrogée sur l’ampleur des annonces modifiées par l’IA, Vinted n’a pas souhaité fournir de chiffres confirmant une augmentation du phénomène. Selon Vinted, « si ces outils sont utilisés dans le respect de la réalité de l’article mis en vente, cela ne pose pas problème. Vinted indique par ailleurs prendre des « mesures concrètes » pour interdire les usages frauduleux.
« Vintage » ou fast-fashion déguisée ?
Depuis quelques semaines, des vendeurs anonymes exploitent ces images générées par l’IA pour écouler sur Vinted des vêtements neufs, provenant de sites d’ultra fast-fashion, comme le géant chinois Shein. Déguisés en pièces vintage, sous des labels comme « marque tendance », « boutique indépendante » ou « boutique parisienne », ces articles sont vendus jusqu’à trois fois leur prix.
C’est l’arnaque que Johan Reboul, influenceur engagé aux 169 000 abonnés sur Instagram, a dénoncée le 22 juillet dernier. En cherchant un pantalon, il a décelé une similitude troublante entre plusieurs annonces, toutes suivant les mêmes codes de Vinted : une utilisatrice posant devant un miroir, visage caché, chambre en arrière-plan. Une recherche sur Google Images lui a révélé que ce même produit était vendu trois fois moins cher sur le site Internet du géant chinois Shein.
Photo d’illustration (Crédits : Capture d’écran)
Sous la publication Instagram du jeune homme, vue plusieurs millions de fois, de nombreux témoignages confirment que le phénomène est loin d’être isolé. « J’ai signalé à Vinted tellement d’annonces de dropshipping, de contrefaçons », écrit une utilisatrice.
Derrière les faux profils, la menace du « dropshipping »
Certains pensent que derrière ces photos se cachent de vrais revendeurs qui pratiquent le « dropshipping », ou livraison directe en français. Contrairement à une boutique classique qui achète et stocke ses produits avant de les vendre, le « dropshipper » ne commande le vêtement auprès du fournisseur qu’une fois la vente réalisée, puis livre alors directement le client.
Un moyen facile pour certains de s’enrichir en dégageant une marge sur les vêtements vendus. Une pratique légale tant qu’elle ne masque pas la réelle nature des produits, comme c’est le cas pour certains articles présentés à tort sur la plateforme Vinted comme étant des vêtements vintage, soit de seconde main.
Photo d’illustration (Crédits : Capture d’écran)
Difficile pour l’heure d’évaluer l’ampleur du phénomène, Vinted ne communique pas de données précises pour savoir s’il s’agit de cas isolés ou d’un problème plus systématique, voire organisé. La plateforme assure néanmoins suivre « avec attention les évolutions liées à l’usage de l’IA dans les pratiques de nos membres, pour nous assurer qu’elles restent compatibles avec les règles d’usage de la plateforme. »
Au début du mois d’août, interrogée par Franceinfo, la docteure en histoire et spécialiste de l’habillement, Audrey Millet, a qualifié la situation de « blanchiment textile ». Pour elle, ce phénomène illustre clairement la mainmise de l’ultra fast-fashion sur Vinted. « Est-ce que Vinted, qui est une plateforme gigantesque, peut contrôler tous ces vendeurs ? Je ne le pense pas. Comme on ne peut pas contrôler tous les colis aux douanes », souligne-t-elle.