Vous le savez sans doute déjà. Les prochaines élections municipales, millésime 2026, feront leur grand retour sur la scène médiatico-politique dans 8 mois seulement… Et dans leur sillage, les tracts, les sourires crispés, les poignées de main moites, les réunions publiques en mode méthode-Coué et surtout les promesses « pour changer la ville » plus ou moins innovantes, farfelues. Plus ou moins populistes.
À Rennes, pas besoin d’être devineresse ou devin, ou spécialiste politique pour comprendre que certains thèmes prendront une grande place dans la presse locale, tout en invisibilisant d’autres. En effet, il serait plus que surprenant de ne pas entendre parler pendant la campagne de sécurité, d’urbanisation, de tour de France (oui, oui, NDLR) ou de participation citoyenne. Bref, rien de bien nouveau à l’ouest… Et puis pourquoi ne pas ressortir un vieux serpent de mer qu’est la gratuité inconditionnelle et universelle dans les transports en commun du réseau STAR. Car après les déjà trop nombreux épisodes caniculaires et alertes pollution(1), n’est-ce pas là un levier utile pour encourager les gens à laisser leur voiture au garage ?

photo de la carte KorriGo  et d'un billet star rechargeable.

Souvenez-vous, en 2019, après une rencontre avec des mouvements citoyens pour le climat, Nathalie Appéré créait une (mini) surprise en se disant favorable à la « mise en débat d’une avancée par palier dans la gratuité des transports publics ». Une énième concertation qui ne l’engageait à rien sinon rassurer ses futur·es allié·es écologistes puisque dans le même temps, sa majorité socialiste votait une hausse des abonnements et l’installation des portillons. Mais passons. Aujourd’hui, six ans plus tard, où en sommes-nous ?

Malgré un (long… très long) retard à l’allumage et un (long… très long) arrêt de plusieurs mois, la ligne B fonctionne tant bien que mal. Ça secoue fort dans les rames, et les pannes se succèdent, mais avec elle et le redéploiement du réseau de bus, la fréquentation globale du réseau STAR a bondi de + 17 %, selon une enquête de Rennes Métropole en un an. Localement, 75 % des rennais·es se trouvent désormais à moins de dix minutes à pied d’une station de métro dont la capacité augmentera fin 2028 (si tout va bien, #noussachons, NDLR). Enfin, les futures lignes de Trambus sont sur les rails pour une mise en service dès 2030, histoire d’exploser façon puzzle ce réseau de transport en étoile concentré sur le cœur de Métropole (cf. tout pour Rennes pour le dire vite, NDLR).

Voilà pour les bonnes nouvelles. Car tout n’est pas rose, loin de là. Une « rentabilité financière excessive » réalisée par Keolis Rennes, la société gestionnaire des transports en commun dans le cadre de sa délégation de service public, a été pointée du doigt par la Chambre régionale des comptes (CRC) de Bretagne. Une nouvelle hausse du ticket unitaire passant de 1€50 à 1€70 a de nouveau été actée à l’été 2023 par la métropole… Enfin, last but not least, des enquêtes révèlent que 25 % des bénéficiaires des tarifs solidaires, soit plus de 40 000 personnes dans l’ensemble de la métropole, n’en profitent pas.

tableau des differents tarifs solidaires, on vous renvoie sur le site de la métropole pour avoir l'ensemble de ces tarifs mis à jour

Comme annoncé par la maire de Rennes, cette année, élu·es, technicien·nes et un panel d’une petite trentaine d’habitant·es se sont penchés, lors de plusieurs ateliers, sur la question de la gratuité, notamment sur sa faisabilité technique et financière, ainsi que sur les alternatives. Pour l’occasion, l’équipe de TV Rennes en a profité pour organiser une émission spéciale sur le sujet, avec pour invité·es :

  • Matthieu Theurier, vice-président de Rennes Métropole chargé des mobilités
  • Alexandre Magny, du Groupement des autorités responsables de transport (GART)
  • Isabelle Leroux-Meunier, présidente de l’association des usagers des transports en Ille-et-Vilaine (Autiv)
  • Stéphanie Verrimst, déléguée générale à l’Union du commerce du Pays de Rennes
  • Erwan Le Gall, habitant de la métropole et faisant partie du panel.

On l’a regardé… en entier et plusieurs fois même. Voici ce que l’on a retenu !

Ce que pense la Métropole

Matthieu Theurier, vice-président de Rennes Métropole chargé des mobilités, a rappelé que le fonctionnement du réseau STAR coûte 180 millions d’euros par an. Entre 70 % et 75 % de cette somme provient du versement mobilité des entreprises (impôt payé par les entreprises des secteurs public et privé qui emploient 11 salariés et plus, NDLR). Le reste, soit 25 à 30 %, est assuré par les recettes des usager·es à travers les abonnements et la vente des tickets.

Instaurer la gratuité universelle nécessiterait, selon lui, de trouver 50 millions d’euros supplémentaires. Or, le versement mobilité est déjà fixé depuis plusieurs années au plafond légal de 2 % dans la métropole. Sans hausse d’impôts, cette mesure impliquerait donc des arbitrages budgétaires.

Pour Matthieu Theurier, et pour la majorité métropolitaine, le « meilleur système » reste aujourd’hui un tarif réduit sous conditions de ressources, éventuellement complété par une gratuité ponctuelle lors d’événements. Une gratuité universelle ferait, à ses yeux, peser un risque à long terme sur le développement du réseau.

 

+ d’1fos : en 2025, le budget total de la métropole était de 1094 millions d’euros. La gratuité dans les transports reviendrait donc à ponctionner à peu près 5% du budget total métropolitain selon le raisonnement de Matthieu Theurier.

Des expériences variées en France

Selon Alexandre Magny, du Groupement des autorités responsables de transport (GART), 44 réseaux sur 336 en France pratiquent déjà la gratuité totale, souvent dans des villes moyennes comme Dunkerque, où la part payée par les usager·es était déjà faible avant la réforme. Montpellier a choisi une gratuité réservée uniquement aux habitant·es sur inscription. Il a rappelé qu’en moyenne en France, un usager paie 25% du coût total du transport. (À Rennes, c’est 30 % globalement, 22 % en période COVID avec la baisse de la fréquentation, NDLR)

Selon lui, l’impact de la gratuité sur le report modal de la voiture vers les transports publics reste très difficile à mesurer. Il rappelle que la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (FNAUT) ne demande pas explicitement la gratuité des transports, mais priorise avant tout une qualité de l’offre. Selon lui, instaurer la gratuité sans amélioration suffisante du service risque de provoquer une saturation du réseau, et décourager certaines personnes à utiliser les transports en commun.

+d’1fos : Le syndicat Alliance 35 a demandé en novembre 2024, à la maire de Rennes, la gratuité des transports en commun pour les policiers en civil. En écho à l’appel à « la vigilance collective » du ministre des Transports.

L’avis des usager·es et commerçant·s

Isabelle Leroux-Meunier, présidente de l’association des usagers des transports en Ille-et-Vilaine (Autiv), exhorte la Métropole à consentir davantage d’efforts financiers. Elle propose notamment d’instaurer la gratuité des transports dès le premier jour de pic de pollution (sans attendre les directives préfectorales, NDLR) ainsi que les week-ends, afin d’inciter les automobilistes à tester puis adopter les transports en commun. Elle soulève une question pertinente et rarement abordée dans les médias, sans toutefois être approfondie au cours de la soirée : celle du coût de l’absence de gratuité, incluant notamment l’installation des portillons, le fonctionnement de la billettique , ainsi que la rémunération des agents et agentes de contrôle.

Stéphanie Verrimst, déléguée générale à l’Union du commerce du Pays de Rennes plaide pour des gratuités ponctuelles à visée événementielle de type braderie, dimanches précédant Noël, etc., afin de dynamiser le centre-ville et de soutenir l’activité commerciale. Elle appelle aussi à un effort massif de communication sur les offres tarifaires, qu’elle juge encore trop peu lisibles pour les métropolitain·es, ainsi qu’à une amélioration de la desserte vers certaines zones (route du Meuble, Pacé, Betton) et un soutien accru aux salarié·es ayant des horaires décalés.

L’avis du panel

Si la plupart des personnes du panel étaient initialement favorables à la gratuité totale, la présentation des données chiffrées et financières et des enjeux techniques semblent les avoir conduit·es à revoir leur copie puisqu’iels recommandent désormais plutôt un renforcement de l’offre et de la qualité de service, ainsi qu’une tarification solidaire élargie. « La gratuité n’est pas faisable ou contre-productive », martèle même une personne interrogée lors d’un court reportage.

En conclusion

Personnellement, l’émission – très intéressante sur certains points – laisse un gout d’inachevé. Plus qu’un débat, c’était plutôt une conversation policée. Les échanges, enchaînant de courts monologues, ont manqué de véritables contradictions. Bref, le genre de discussion où tout le monde semble d’accord… ou se garde de dire le contraire. Après tout, un plateau TV peut être déstabilisant et intimidant.

Par contre, côté temps de parole, l’inégalité saute aux yeux : Matthieu Theurier et Alexandre Magny, les « institutionnels » ont monopolisé plus de 65 % du micro à eux deux, sur le temps cumulé des cinq invité·es.

Sur le fond, un consensus se dégage. Tout le monde s’accorde pour affirmer que sans une qualité de l’offre, la gratuité ne suffira pas à convaincre les automobilistes de délaisser leur voiture. Le vrai mot d’ordre n’est pas celui d’une gratuité universelle, mais bien d’une accessibilité universelle : un réseau bien desservi, confortable, adapté à toutes et tous, avec des tarifs modulés selon les ressources et des gratuités ciblées. On rappelle qu’un tiers des habitant·es de la métropole peuvent bénéficier de réductions de 50 % à 100 %, mais un quart d’entre elleux n’y ont pas recours, souvent par manque d’information ou faute d’une desserte répondant à leurs besoins.

Nous, ce que l’on comprend surtout, c’est que la gratuité dans les transports en commun métropolitain, c’est clairement pas pour demain. Tiens, ça rime.

 

 

(1) 19 jours de dépassements de seuil de pollution de l’air en 2025 à fin mars. C’est plus que sur l’ensemble de l’année 2024, qui avait pourtant signé un record – 11 jours de forte pollution – jamais atteint depuis 2017, à Rennes.