Les présidents des États-Unis et de la Russie se rencontrent vendredi. Même si la Maison-Blanche dépeint le sommet comme un exercice d’« écoute », Trump pourrait-il se laisser séduire par l’attrait d’un règlement rapide, au détriment de l’Ukraine ? C’est ce que craignent le président ukrainien et ses alliés européens avec ce face-à-face inhabituel.

Publié à 0 h 00

Partager

Pourquoi ce sommet Trump-Poutine ?

« Poutine n’est pas intéressé par un accord de paix ou un cessez-le-feu en Ukraine, mais il ne veut pas non plus de sanctions secondaires », explique Alexander Motyl, de l’Université Rutgers–Newark. Alors, que faire pour gagner du temps ? « La réponse est simple : vous suggérez à Trump, un narcissique notoire, une rencontre où vous allez vous asseoir avec lui et discuter », dit-il.

La rencontre a été demandée par le président russe, Vladimir Poutine, après son entretien à Moscou avec l’émissaire américain Steve Witkoff la semaine dernière.

Donald Trump s’impatientait de l’impasse des derniers mois, lui qui s’était targué de pouvoir régler la guerre en Ukraine rapidement. Le président américain avait donc lancé un ultimatum à la Russie en juillet : si aucun accord pour mettre fin à la guerre en Ukraine n’était conclu avant le 8 août, de nouvelles sanctions seraient imposées.

Et la participation ukrainienne ?

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky n’est pas invité au sommet, qui aura lieu à Anchorage, en Alaska. Trump a assuré mercredi qu’une rencontre tripartite serait organisée rapidement par la suite. « C’est une occasion ratée de ne pas avoir insisté pour que la rencontre inclue Zelensky », estime Liana Fix, chercheuse du Council for Foreign Relations spécialisée dans les questions européennes. Poutine a décliné les rencontres avec Zelensky dans le passé.

Comment réagissent les leaders ukrainien et européens ?

Zelensky s’est rendu à Berlin mercredi. Il a participé à un appel au côté du chancelier allemand, Friedrich Merz, avec d’autres dirigeants européens. Trump et son vice-président J.D. Vance se sont ensuite joints à la conversation.

La discussion a été « constructive », a dit Zelensky. « Nous espérons que le thème central de la réunion sera un cessez-le-feu, a-t-il déclaré. Un cessez-le-feu immédiat. »

PHOTO RALF HIRSCHBERGER, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky (à gauche) et le chancelier allemand Friedrich Merz, lors d’une conférence de presse conjointe, à Berlin, mercredi

Certaines lignes directrices ont été évoquées par le groupe européen, dans l’espoir notamment que Trump n’ouvre pas la porte à une concession territoriale – ce qu’il a fait dans le passé, se montrant contrarié par le refus ukrainien d’un « échange » de territoires. Pour mettre fin à la guerre, Poutine demande que l’Ukraine cède quatre régions partiellement occupées, en plus de la Crimée, annexée en 2014.

La Russie occupe actuellement 20 % du territoire de l’Ukraine.

« La Russie pourrait adoucir le ton, mais je ne vois pas comment elle pourrait redonner des territoires qu’elle occupe actuellement », souligne Sarah Ann Oates, de l’Université du Maryland. L’invasion russe à grande échelle a commencé en 2022, mais depuis 2014, les Ukrainiens défendent les régions illégalement annexées par leur voisin.

« Je ne sais pas ce qui serait acceptable pour les Ukrainiens, dit Mme Oates. Il y a un épuisement physique et moral, mais aussi une colère qui renforce la détermination, après avoir perdu tant de gens dans la guerre. Donc je ne pense pas qu’ils seraient prêts à capituler. Mais je ne suis pas sûre que Trump comprenne le nationalisme ukrainien. »

Le premier ministre du Canada, Mark Carney, a aussi participé à une discussion mercredi avec d’autres dirigeants de la « Coalition des volontaires », les alliés de l’Ukraine, en prévision du sommet.

À quoi faut-il s’attendre ?

Le président américain sera là pour « écouter », a précisé la porte-parole de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt.

« Il ne faudrait pas s’attendre à de réels progrès vers une résolution du conflit, mais avec un peu de chance, il n’y aura pas trop de dégâts pour compromettre l’Ukraine », dit Mme Fix.

PHOTO NANNA HEITMANN, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Le président russe, Vladimir Poutine

Il y aura de « très sévères conséquences » si Poutine n’accepte pas de mettre fin à la guerre après la rencontre de vendredi, a menacé Trump mercredi.

« Nous sommes dans un territoire diplomatique inusité, et il est très difficile de prévoir ce que Trump pourrait faire », souligne Mme Oates, rappelant sa rencontre houleuse avec Zelensky, à la Maison-Blanche, en février.

Qu’est-ce que le sommet a d’inhabituel ?

« Habituellement, ça prendrait plusieurs semaines pour organiser un tel sommet », dit Diddy Hitchins, professeure émérite de l’Université d’Alaska à Anchorage. Les diplomates étudieraient tous les scénarios possibles et les réponses à donner, particulièrement dans le cas d’une résolution à une guerre, explique la spécialiste de la diplomatie et de la Russie. Mais Trump est connu pour sa spontanéité, sa méfiance des experts et sa confiance en ses propres capacités de négociateur.

« C’est vu avec beaucoup d’appréhension par les Européens parce que c’est perçu comme une victoire en soi [pour la Russie], que Vladimir Poutine soit invité aux États-Unis pour un sommet bilatéral de haut niveau, avec le président américain, souligne Mme Fix. Le simple fait que ce sommet soit organisé sans concession sérieuse préalable de la Russie est déjà vu comme un gain pour elle. »

Les forces russes ont accéléré leur offensive en Ukraine cette semaine, annonçant avoir conquis plus de 110 km⁠2 – une première depuis 2024, selon l’Agence France-Presse

Pourquoi l’Alaska ?

Poutine fait l’objet de mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale. Les États-Unis n’en sont pas membres et n’ont donc pas l’obligation de les faire appliquer, comme c’est le cas au Canada, par exemple.

« L’Alaska est l’endroit le plus proche et le plus facile d’accès pour Poutine sans passer par l’espace aérien international, note Mme Hitchins. Donc, s’il y avait un problème qui demande un atterrissage d’urgence, l’avion se trouverait dans l’espace aérien américain ou russe. »

Le lieu a aussi valeur de symbole. La Russie a vendu le territoire aux États-Unis en 1867. C’est un endroit éloigné des grands centres, et qui n’a pas le statut officiel de Washington.

Avec l’Agence France-Presse et La Presse Canadienne