En février, le vice-président des Etats-Unis avait sidéré l’Europe lors d’un discours à Munich. J.D. Vance expliquait alors que la liberté d’expression était « en retrait » sur le continent et que ça l’inquiétait plus que la menace de « la Russie ou de la Chine ». Plusieurs mois plus tard, l’administration Trump a sorti son rapport annuel « Country Reports on Human Rights Practices », censé faire l’état des lieux des libertés fondamentales dans le monde et, une fois encore, l’Europe est pointée du doigt pour son « recul des droits humains ». Mais de nombreux observateurs et ONG ont critiqué la nouvelle mouture de ce rendez-vous annuel, amputé de nombreuses clauses sous l’égide de Donald Trump.

« L’omission de sections clefs par l’administration Trump et la manipulation des violations des droits humains commises par certains pays dégradent et politisent le rapport », a réagi Human Rights Watch dans un communiqué transmis à 20 Minutes. Repoussé de plusieurs mois et amaigri par rapport à ses versions antérieures, le rapport ignore notamment toutes les violations en lien avec la communauté queer. « S’il a été en partie rédigé sous l’ancienne administration, Donald Trump y a très largement mis sa patte avant qu’il ne soit diffusé. Il a été très édulcoré, mais aussi politisé », analyse Anne Savinel-Barras. La présidente d’Amnesty International France estime d’ailleurs qu’il ne s’agit « pas d’un rapport crédible ».

Un « outil qui sert la politique de Trump »

Une kyrielle d’autres ONG évoquent un rapport politisé par l’administration Trump. D’après des responsables gouvernementaux anonymes, cités par Reuters, le rapport a été retardé de plusieurs mois pour le rendre conforme aux valeurs de « l’Amérique d’abord ». Ainsi, la section « droits reproductifs », intégrée sous Barack Obama, a été purement et simplement supprimée. Une décision qui s’aligne avec les attaques massives qui visent le droit à l’avortement aux Etats-Unis. Divisé par quatre, le rapport fait aussi l’impasse sur les droits des femmes, la violence basée sur le genre ou encore la discrimination. « Donald Trump a voulu faire de ce rapport un outil qui sert sa politique avant tout et notamment avant d’établir les faits », regrette Anne Savinel-Barras.

La politique extérieure aussi a joué sur les contours du rapport. Les alliés de la nouvelle administration américaine sont ainsi particulièrement choyés. En Hongrie, le rapport ne note pas de « violations significatives des droits humains » alors même que la marche des fiertés a été interdite. Même si elle s’est bel et bien déroulée sous la pression populaire, le maire de la capitale risque encore jusqu’à un an de prison. Aucune mention n’est faite des 61.000 morts dans la bande de Gaza, du blocus et de l’utilisation de la famine comme arme de guerre par Israël ou même des attaques meurtrières visant des journalistes. Et à deux jours d’une rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine, Washington évoque l’invasion de l’Ukraine comme une « guerre entre la Russie et l’Ukraine ».

Une « crise des droits humains » mondiale

A l’inverse, certains pays ne sont pas épargnés, notamment ceux du continent européen où les libertés fondamentales se seraient « détériorées ». « On traverse une crise des droits humains partout dans le monde, pas seulement en Europe. Oui, il y a une régression aussi en Europe et en France, confirme Anne Savinel-Barras. Mais on est bien plus inquiets de ce qu’il se passe aux Etats-Unis. » Pour la présidente France de l’ONG, la conclusion n’est pas fausse, mais « ce n’est pas forcément les bons critères ». Ainsi, Washington estime que la liberté d’expression régresse au Royaume-Uni, notamment parce que le pays a mis en place des zones tampon autour des cliniques d’avortement afin de prévenir le harcèlement des femmes venues recevoir des soins.

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En France, le rapport mentionne des « informations crédibles » faisant état de « restrictions graves à la liberté d’expression » sans citer d’exemples concrets, comme des lois spécifiques, des affaires judiciaires ou des incidents précis. Les associations, au contraire, font état d’un recul des libertés fondamentales notamment d’expression et de manifestation « autour des questions palestiniennes, mais aussi de la défense de l’environnement ». En passant sous silence certaines violations tout en insistant sur d’autres, Washington dresse donc un tableau des droits humains qui laisse de larges zones d’ombre, et notamment sur lui-même.