Des physiciens
américains ont observé un état de la matière jamais vu auparavant,
qui pourrait ouvrir la voie à une nouvelle génération d’ordinateurs, capables de
résister aux conditions extrêmes de l’espace. Cette découverte,
aussi fascinante que prometteuse, pourrait bouleverser les
technologies du futur.

Une matière née sous des
conditions extrêmes

Et si la clé d’un ordinateur
capable de fonctionner sans interruption pendant des années dans
l’espace venait d’un étrange matériau synthétisé en laboratoire ?
C’est l’hypothèse désormais crédible grâce à des travaux menés par
une équipe de l’Université de Californie à Irvine, qui vient de
révéler l’existence d’un nouvel état de la matière quantique. Ce
phénomène, jusqu’ici uniquement prédit par la théorie, a été
observé pour la première fois dans un matériau baptisé
pentatelluride d’hafnium.

Cette avancée a été rendue
possible en soumettant le matériau à des champs magnétiques
extrêmes, atteignant 70 Teslas – soit environ 700 fois plus que le
champ magnétique d’un aimant de réfrigérateur. Sous cette
contrainte, les propriétés du matériau ont changé de manière
spectaculaire, marquant le passage à une phase totalement
inédite.

Un liquide quantique d’un
nouveau genre

Dans cette nouvelle phase, les
électrons ne circulent plus librement comme dans un métal
classique. Ils s’associent à leurs équivalents positifs, appelés
trous, pour former des couples baptisés excitons. Ce qui rend cette
phase encore plus singulière, c’est que les électrons et les trous
tournent dans la même direction — un comportement jamais observé
jusqu’à présent.

Ce liquide d’excitons agit
comme une matière cohérente, un peu comme un superfluide, mais à
l’échelle des particules quantiques. Selon les chercheurs, si ce
matériau pouvait être tenu dans la main, il émettrait une lumière
intense à haute fréquence. Une image frappante pour illustrer la
nature hautement énergétique et instable de cet état.

Une piste pour l’électronique
du futur

Mais au-delà de la prouesse
fondamentale, cette découverte ouvre des perspectives
technologiques considérables. L’une des plus prometteuses concerne
la spintronique, un domaine de recherche qui vise à utiliser le
spin des électrons — c’est-à-dire leur moment magnétique — plutôt
que leur charge pour transporter l’information. Cela permettrait de
développer des dispositifs plus rapides, plus compacts et bien plus
économes en énergie que les circuits électroniques actuels.

Encore plus révolutionnaire :
ce nouvel état semble insensible aux radiations, un problème majeur
dans l’espace. Les rayonnements cosmiques peuvent gravement
endommager les composants électroniques traditionnels. Ce matériau,
lui, pourrait résister sans faiblir, rendant possible des
ordinateurs autonomes et durables pour les missions spatiales les
plus ambitieuses, notamment celles visant Mars ou au-delà.

nouvel état de la matière
Le professeur Luis Jauregui, du département de physique et
d’astronomie de l’Université de Californie à Irvine, a expliqué que
le nouveau matériau développé par lui et son laboratoire n’existe
que dans leurs laboratoires. Crédit : Steve Zylius / Université de
Californie à IrvineUne technologie taillée pour
l’espace

C’est précisément cette
robustesse face aux radiations qui enthousiasme les chercheurs.
Pour explorer le système solaire, les ordinateurs embarqués doivent
fonctionner dans des conditions extrêmes, sans maintenance humaine.
Or, les composants classiques vieillissent vite sous l’effet du
rayonnement cosmique. Ce nouvel état quantique stable et résistant
pourrait donc devenir un élément clé de l’électronique spatiale, en
particulier pour les missions de longue durée envisagées par la
NASA ou SpaceX.

« Si vous voulez envoyer
des ordinateurs dans l’espace lointain, c’est peut-être ce matériau
qu’il vous faut », résume Luis Jauregui, chercheur principal de l’étude.

Une première mondiale, fruit
d’un travail collectif

Le matériau a été conçu et
synthétisé à l’UC Irvine par le post-doctorant Jinyu Liu et son
équipe. Les expériences à champ magnétique extrême ont été
réalisées dans deux laboratoires spécialisés : le Laboratoire
national de Los Alamos au Nouveau-Mexique et le National High
Magnetic Field Laboratory en Floride. L’interprétation théorique a
été assurée par des physiciens du LANL.

Ce n’est qu’un début

Pour l’instant, ce nouvel état
de la matière reste observé dans des conditions extrêmes,
difficilement reproductibles à grande échelle. Mais comme souvent
en physique fondamentale, ce sont les premières pierres d’un
édifice qui pourrait, demain, transformer notre rapport à la
technologie.

Ce type de découverte montre à
quel point la recherche sur les matériaux exotiques reste un
terrain fertile pour les révolutions à venir, non seulement en
informatique, mais aussi dans les domaines de l’énergie, des
communications ou de l’exploration spatiale. À l’heure où la
conquête de Mars se prépare, cette matière lumineuse et
insaisissable pourrait bien devenir un allié inattendu de
l’humanité.