Au royaume du vin, ce raisin-là a longtemps été battu froid. Dans le Bordelais, les petites billes noires ou blanches finissent traditionnellement dans une cuve plutôt que dans la bouche et malgré quelques initiatives ici ou , le vignoble girondin compte seulement une poignée d’hectares dédiés à la culture des grains de table. Les temps changent, doucement. Face à la crise qui étrangle la viticulture ces dernières années, donnant lieu à des plans d’arrachage, le raisin de bouche apparaît aujourd’hui comme une option de diversification au côté des olives, des amandes voire des fraises. Certains y songent, quelques-uns l’expérimentent, d’autres se sont lancés.

Parmi les précurseurs, Olivier Berlan en cultive depuis 2019. « J’ai senti le vent tourner… », sourit l’agriculteur, à la tête d’une propriété familiale, aux portes de la ville. Ces derniers temps, face à la déconsommation, le vigneron a dû se résoudre à réduire drastiquement sa surface dédiée au vin, de 12 hectares à moins de 6 et à abandonner sa certification bio, en raison des ravages du mildiou. Chez lui, à Bassens, au domaine de Moulerin, poussent aujourd’hui 1 500 pieds de vignes dédiés au raisin de bouche – soit un demi-hectare – notamment de l’exalta ou du centennial, des variétés sans pépins très courues désormais par les consommateurs. Il les commercialise en vente directe ou via le réseau de La Ruche qui dit oui. « Pour le moment, c’est rentable », dit-il : un adjectif aux allures de prouesse, actuellement, dans le vignoble girondin.

Olivier Berlan, installé à Bassens, a planté un demi-hectare de raisins de table sur sa propriété en 2019.

Olivier Berlan, installé à Bassens, a planté un demi-hectare de raisins de table sur sa propriété en 2019.

J.-C. G.

Plus proche de l’arboriculture

Pas de quoi jubiler pour autant : le raisin de table ne devrait pas être, a priori, la solution miraculeuse pour sortir la filière viticole du marasme. Pour commencer, sa culture reste déjà bien différente de son cousin dédié au vin : elle ne s’improvise pas. « Cela tient davantage de l’arboriculture, explique Françoise Ligou, travaillant au service diversification de la Chambre d’agriculture. C’est une production périssable qu’il faut vendre vite et, en termes de commercialisation, nous n’avons pas encore de filière organisée sur du circuit long en Gironde. Et puis, la plantation d’une vigne en raisin de table affiche aussi un prix élevé, autour de 25 000 euros de l’hectare. »

L’intérêt reste là, malgré tout. Cet été, une bonne dizaine de vignerons, venus des quatre coins du département, ont visité une parcelle d’Olivier Berlan, avec ses vignes curieusement conduites en T-Bord, à la manière d’une pergola et ses rangs écartés de 3 mètres. L’initiative vient de la Chambre d’agriculture qui souhaite ainsi renseigner les vignerons sur leurs différentes possibilités de diversifications. « En Gironde, il n’y a presque pas de producteurs de raisins de table et donc très peu de retours d’expérience, explique Françoise Ligou. L’idée de ce rendez-vous est que les professionnels échangent sur leurs différentes pratiques. »

« En Gironde, il n’y a presque pas de producteurs de raisins de table et donc très peu de retours d’expérience »

Venus du Blayais, du Castillonnais ou du Sud-Gironde, beaucoup ont planté quelques ares de raisin à manger. Confrontés à des difficultés de commercialisation, beaucoup ont également bénéficié des plans d’arrachage primés ces derniers mois. Au château Les Graves de Viaud, dans le Blayais, Philippe Betschart est passé d’une douzaine d’hectares à moins de 5. En contrepartie, il a lancé un atelier de vinaigrerie, poursuit le déploiement d’arbres fruitiers et lorgne du côté des raisins de bouche, avec quelques essais en cours.

« L’investissement n’est pas neutre »

Encore une fois, l’agriculteur ne s’emballe pas. « Nous sommes sur un investissement qui n’est pas neutre, souligne-t-il. Il faut acheter des piquets, installer un système d’irrigation… Ce n’est pas envisageable si c’est ensuite pour le vendre trois francs six sous, d’autant plus que nous n’avons pas de filière organisée ici dans le département. En résumé, ce n’est pas une diversification qui s’opère en un claquement de doigts : il faut trouver des retombées commerciales et acquérir un savoir-faire technique. »

Du raisin de table, enveloppé dans une poche : le domaine du Moulerin expérimente des techniques pour protéger les grappes.

Du raisin de table, enveloppé dans une poche : le domaine du Moulerin expérimente des techniques pour protéger les grappes.

J.-C. G.

Au domaine de Moulerin, Olivier Berlan expérimente l’installation de sacs autour des grappes, afin de les protéger au maximum. Autre différence avec son homologue de cuve, le raisin de table doit être parfaitement présentable. Ses exploitants pratiquent notamment le ciselage, une façon de couper les grains défectueux pour favoriser la croissance des autres. « Il faut que le raisin soit le plus propre possible. Plus il est joli, moins vous aurez du temps à passer dessus, plus vous gagnerez de l’argent », conseille Olivier Berlan à ses camarades viticulteurs.