Depuis des mois, Nolwenn Denis, une illustratrice installée à Bordeaux, constate un vol de ses dessins, revendus sur des plateformes de vente en ligne comme Shein, Temu ou même Amazon. Elle dénonce une « injustice », alors que ces géants du commerce ne respectent pas les droits d’auteur.

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« Je n’imaginais pas l’ampleur que ça prendrait. C’est écœurant. » Il y a 2 ans, l’illustratrice Nolwenn Denis, installée à Bordeaux, est alertée sur Instagram par l’une de ses abonnées en Indonésie : une plateforme de commerce en ligne locale propose à la vente l’une de ses illustrations, sans en avoir acheté la licence.

À l’époque, l’artiste ne se formalise pas. « Ce n’était qu’une seule illustration, et puis l’Indonésie, ce n’est pas mon marché. En plus, mon abonnée est avocate et m’avait dit qu’il n’y avait pas grand-chose que je pouvais faire. Mais je n’imaginais pas la suite. »

Des illustrations comme celle-ci peuvent se retrouver illégalement sur des plateformes de vente en ligne.

Des illustrations comme celle-ci peuvent se retrouver illégalement sur des plateformes de vente en ligne.

© Nolwenn Denis

Car depuis quelques mois, c’est sur des géants du commerce en ligne, comme Shein, Temu, AliExpress ou même Amazon, que Nolwenn Denis constate que ses dessins sont revendus, sans son accord, et surtout à des prix dérisoires. Alors qu’elle met en vente ses affiches entre 20 et 120 euros, selon le format, l’illustratrice les retrouve à moins de 5 euros sur ces plateformes. « Que ce soit vendu à ce prix-là, c’est improbable… »

Une fois, j’ai même vu des affiches vendues à 90 centimes, parce qu’il y avait une promotion ! Et c’était en rupture de stock, donc c’est que ça marchait bien.

Nolwenn Denis

Illustratrice

Un vol pur et simple de son art, qui indigne celle qui en a fait son activité principale il y a bientôt 5 ans. « Il y a beaucoup de colère, et un sentiment d’injustice aussi. Les revendeurs savent que la déco, ça fonctionne bien, alors ils viennent sur mon contenu et se servent, fustige-t-elle. Ils n’ont qu’à faire clic droit, alors que normalement, il faudrait payer une licence. » Et comme les images sont volées, la qualité s’en ressent aussi pour les clients.

Il en va aussi de la réputation de mon travail. Sur ces plateformes, les affiches sont mal imprimées. Ça m’écœure de voir mon travail maltraité comme ça.

Nolwenn Denis

Illustratrice

Nolwenn Denis s'inquiète de voir son travail d'illustratrice bafoué.

Nolwenn Denis s’inquiète de voir son travail d’illustratrice bafoué.

© Nolwenn Denis

Au départ, Nolwenn Denis a bien tenté de préserver ses œuvres du vol. « Quand je me suis aperçue des premiers abus, j’ai mis un filigrane. Alors que quand j’ai commencé, je n’y pensais pas. » Mais cela n’arrête pas les revendeurs frauduleux, qui utilisent Photoshop pour retirer le filigrane, ou mettent en vente les illustrations sans le retirer. « Il n’y a pas de solutions, souffle l’artiste bordelaise. Mais Instagram est ma vitrine, je ne vais pas m’arrêter de poster ! »

Face à la quantité d’illustrations volées et proposées sur les plateformes, l’illustratrice se retrouve un peu démunie. « Il y en a tellement sur une même plateforme, avec plusieurs revendeurs à chaque fois. Je ne peux pas tous les dénoncer à moi toute seule, c’est trop énergivore, ça me prendrait des semaines. »

C’est tentaculaire. Si on signale une boutique, le revendeur peut recréer une autre boutique le lendemain… c’est sans fin.

Nolwenn Denis

Illustratrice

Pour alerter sur le phénomène, Nolwenn Denis passe alors par ses réseaux sociaux. Le 30 juillet, elle publie un post Instagram où elle documente les vols de ses images, « pour sensibiliser ». Dans la foulée, l’illustratrice confie avoir reçu « énormément de soutien, beaucoup de messages de gens qui sont conscients du désastre que représentent ces plateformes ». Certains ont même passé commande dans la foulée, afin de soutenir son travail.

D’autres ont réagi à l’inverse. « J’ai aussi reçu le message d’une jeune fille qui m’expliquait qu’elle n’a pas les moyens d’acheter une illustration à 20€, relate Nolwenn Denis. Comme elle veut tout de même faire sa déco, elle choisit celle à 3€. Sur le côté humain, je peux comprendre, mais sur le côté business, non. » Car l’illustratrice ne touche évidemment aucun revenu de la part des plateformes et leurs revendeurs frauduleux.

Tout travail mérite salaire. Si on cautionne ça à chaque fois, ça n’aide pas les artistes, ni les gens qui veulent se lancer.

Nolwenn Denis

Illustratrice

Et le problème de Nolwenn Denis n’est pas un cas isolé. « Ça touche aussi plein d’autres artistes que je connais, dans l’art, la mode… » témoigne l’illustratrice de 36 ans. Et si son activité à elle marche bien, et supporte pour l’heure la concurrence des plateformes, ce n’est pas le cas de tous. « Beaucoup d’artistes hésitent à continuer de publier leurs créations. J’ai aussi des retours d’artistes qui se lancent et qui ont peur de publier sur les réseaux… c’est dommage de briser des rêves comme ça. »

Pour l'illustratrice, avec les plateformes de vente en ligne, "l'art est devenu de la fast-fashion".

Pour l’illustratrice, avec les plateformes de vente en ligne, « l’art est devenu de la fast-fashion ».

© Nolwenn Denis

Pour autant, l’illustratrice bordelaise ne veut pas se décourager, ni se laisser faire. « Je ne compte pas laisser ça comme ça. À la rentrée, je vais voir avec un avocat en propriété intellectuelle ce qui est possible de faire. » Comme les plateformes de commerce en ligne sont hébergées dans d’autres pays – principalement en Chine -, la loi française ne s’y applique pas. « Il faudrait peut-être une loi en France, pour protéger l’art aussi au niveau mondial… »