D’une voix calme et solennelle, Marc Picard, le président de la chambre des comparutions immédiates, résume les conséquences de ce dossier de violences conjugales réciproques : « On n’a pas encore le nom du gagnant de cette bataille sanglante à laquelle vous vous livrez depuis des années. Mais on a déjà le nom du perdant : c’est celui de votre fils », âgé de deux ans.

Dans le box des prévenus, le père de famille de 37 ans doit répondre de violences habituelles sur sa compagne depuis six années, parmi lesquelles des gifles, des insultes, des menaces, des cheveux arrachés, des crachats et des étranglements. C’est sa victime, qui de guerre lasse, a fini par déposer une main courante à son encontre le 29 juillet, témoignant d’un étranglement la veille qui lui a laissé une large trace rouge sur le cou et des hématomes sur le corps, immortalisés en photo par sa sœur.

Elle relate aussi un épisode en date du 14 juillet, dont le coup de tête lui a valu trois points de suture. L’enquête va établir qu’elle a déjà été consultée une clinique pour des violences subies en 2019, et que d’autres coups ont été portés devant leur enfant en juin 2024.

Aveux complets du mis en cause

Placé en garde à vue, le trentenaire reconnaît immédiatement l’ensemble des faits dénoncés par sa compagne. Néanmoins, il déclare avoir lui-même été violenté. Notamment le 24 janvier 2024, lorsque la mère de son fils lui a asséné un coup de couteau dans le dos. À l’époque, pour justifier du pneumothorax qui lui a valu cinq jours d’hospitalisation, il avait assuré à la police avoir été agressé dans la rue par deux inconnus.

À la barre, la femme de 35 ans – jugée pour deux faits de violences avec incapacité totale de travail, respectivement de six et 21 jours – confirme avoir blessé son conjoint avec un couteau de cuisine. « J’étais en train de faire la cuisine. Il a commencé à me caresser la joue pour m’humilier. J’ai refusé qu’il me touche. J’ai reculé de quelques pas. Il m’a pris au cou avec une main. C’était lui ou moi. J’ai réussi à m’extraire. Je l’ai poussé. Il s’est tourné et là j’ai mis le coup », détaille la prévenue.

Le 28 juillet, elle l’a fait chuter en le retenant par son sac en bandoulière. Une chute qui s’est soldée, pour lui, par une fracture du poignet.

« C’est terrible de devenir une personne qu’on déteste »

« J’ai toujours voulu croire qu’il changerait. Parfois j’ai voulu partir, mais il me retenait », témoigne-t-elle en pleurs. Quelques mètres plus loin, celui qui est désormais son ex-conjoint essuie également ses larmes. « Je ne m’attends plus à ce qu’on se remette ensemble. Je veux juste une relation apaisée pour notre fils… En tant qu’homme, poursuit-il, c’est terrible de devenir une personne qu’on déteste. C’est une vraie torture. »

Le procureur Yann Martinez dépeint une ambiance « destructrice », dans un foyer où les coups heurtent tant « physiquement que psychologiquement ». Il constate « la situation pénale distincte » des prévenus. « Monsieur est en récidive légale car il a été condamné pour des violences en 2018. Madame est inconnue de la justice, mais les faits qui lui sont reprochés sont graves en termes d’intensité ».

Coup d’arrêt « de la folie privée qui anime ce couple »

Me Cindy Baumeister, conseil du mis en cause, parle « d’un dossier terrible ». Elle concède son soulagement de les voir devant la justice « afin que la folie privée qui anime ce couple puisse prendre fin. Le système était tellement installé qu’ils n’y voyaient plus le problème. »

Me Charlène Sanner, avocate de la prévenue, plaide la légitime défense concernant le coup de couteau. « Elle le dit : c’était soit lui, soit moi ». Si sa cliente a concédé avoir eu des gestes de colère, son conseil tempère : « Il y a avant tout la peur. Cette peur qui lui fait donner le coup de couteau », insiste-t-elle.

Le prévenu a été condamné à 24 mois de prison avec sursis probatoire, assortis notamment d’une interdiction de contact avec son ex. Cette dernière a été sanctionnée par 18 mois de prison avec sursis. Elle a l’interdiction de détenir une arme durant trois ans et l’interdiction d’entrer en contact avec le prévenu durant un an.