Poésie vibrante, récits intimes, polars à plusieurs voix… Une sélection de livres au format poche qui mêle émotions, mystères et sensations pour prolonger la magique pause estivale jusqu’à la rentrée.
Illustration stefanamer/Getty Images
Publié le 15 août 2025 à 09h30
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“No-no-yuri”, d’Aki Shimazaki
« kotsu kotsu kotsu » font les talons hauts de cette assistante de direction. C’est le seul bruit que Kyoko s’autorise, son tumulte restant très intérieur, comme toujours chez les personnages récurrents des romans d’Aki Shimazaki, qui circulent à pas de loup d’un ouvrage à l’autre. Elle ne descend jamais au fond du puits des émotions, mais se glisse juste au-dessous de la surface des choses. Depuis ses débuts, l’autrice se tient sous cette ligne de flottaison, mais ce point de vue semble ici poussé à son paroxysme, donnant à cet opus une texture lisse, exempte des soudains glissements de terrain qui caractérisent habituellement son œuvre. Sans doute est-ce à l’image du psychisme de l’héroïne, incapable de déroger à sa déontologie professionnelle : « être secrétaire, c’est d’abord savoir garder les secrets », jusqu’à se l’appliquer à elle-même, en toutes circonstances. — M.L.
Éd. Babel, 7,40 €.
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« No-no-yuri », de Aki Shimazaki
“Six Versions. Le Disparu du Wentshire”, de Matt Wesolowski
Après deux tomes, son personnage de journaliste et podcasteur Scott King revient cet automne pour un troisième volume, toujours autonome. Avec le même principe : une enquête policière racontée en podcast comme s’il s’agissait d’un fait réel, six voix qui s’expriment et autant de vérités possibles. Cette fois, dans Le Disparu du Wentshire, c’est la disparition d’un petit garçon le soir de Noël qui amène King à rallumer le micro, trente ans plus tard, pour une nouvelle saison de son émission. Le dispositif est parfaitement maîtrisé et renouvelle brillamment le genre. En mêlant son écriture avec les codes du podcast, Wesolowski revient à l’un des fondamentaux du travail de l’écrivain : raconter une histoire. On se laisse conter celle-ci comme si elle nous était murmurée à l’oreille, le présentateur ménageant ses effets et rebondissements. D’autant plus efficace que cet opus a des allures de conte, avec une forêt pleine de mystères et des créatures légendaires qui prennent vie dans la bouche des supposés témoins. — Y.L.-S.
Éd. Points, 8,40 €.
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« L’irrésistible appel de la vengeance », de Rosa Mogliasso
“À pied d’œuvre”, de Franck Courtès
Ce n’est pas vraiment la misère noire, plutôt le mol enfer de la précarité… Photographe de presse reconnu, spécialisé dans les portraits de célébrités de tout poil, Franck Courtès a décidé, il y a une dizaine d’années, de ranger son appareil pour devenir écrivain. Cet autoportrait de lui-même en écrivain fauché, Franck Courtès le brosse avec une élégance désenchantée, mâtinée d’ironie crâne, dans À pied d’œuvre, tandis qu’il décline ses diverses tentatives pour décrocher un petit boulot – puisque, vivre de ses livres, il n’en est pas question. Manœuvre, apprenti jardinier, chauffeur, serveur en extra… L’inventaire lui est prétexte à méditer sur la dureté de nos temps ultra-libéraux et ce qu’il en coûte d’en refuser les règles et les raideurs. Il le fait avec la lucidité discrètement mordante des meilleurs moralistes. — Na.C.
Éd. Folio, 8,50 €.
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« À pied d’œuvre », de Franck Courtès
“Bain de boue”, d’Ars O’
D’où sort donc ce si hallucinant et macabre roman, au cœur d’une boue obsédante qui a envahi nos paysages, et dont l’intrigue se résume à s’extraire ou pas de la bauge gigantesque et terrifiante qu’est devenu le monde de demain ? Qui donc, encore, en est l’auteur, sous l’énigmatique pseudonyme affiché en couverture d’Ars 0’ ? Un scientifique, dit-on, qui aurait déjà pas mal bourlingué en écriture, au fil de registres variés. Il met en scène, dans son très dystopique univers, Lana et Rigal, couple baba de quinquas exfiltrés de la société d’autrefois — la nôtre — pour patauger jusqu’à en mourir dans cette bouillasse qui infecte tout, empoisonne tout, et qu’il faut sans fin écoper. Réduits en quasi-esclavage, Lana et Rigal maîtrisent à peine les règles de la mystérieuse communauté dont ils dépendent, à l’inquiétante hiérarchie que président un « Jardinier » — violeur de tout ce qui bouge — et sa cour dévouée et cruelle de « puterels ». Ils tentent de fuir, et rencontrent bizarrement le favori des puterels et sa sœur muette dans leur épique et boueuse échappée. Car la langue baroque et gouleyante, sauvage et grasse d’Ars O’ évoque paradoxalement le verbe sensuel et charnu, vivifiant, d’un Rabelais, et choque, et provoque. Entre mort et vie. — F.P.
Éd. Folio, 9,50€.
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“La fête des mères”, de Richard Morgiève
En 2012, un certain Jacques Bauchot, copain de jeunesse, demande à Richard Morgiève d’écrire sa biographie. L’auteur du Cherokee refuse, mais une autre idée lui trotte dans la tête : bâtir un roman qui ne serait ni tout à fait le sien, ni vraiment celui de l’autre. Trois ans plus tard La Fête des mères paraît, signé du nom de Bauchot, avant de sombrer dans l’oubli. Ce récit bouleversant est une plongée au cœur des années 1960, au pays de l’enfance sans joie, de l’adolescence confuse, des relations familiales excessives et tragiques. L’écriture de Morgiève jubile, éclate, vomit, se faufile dans le cœur d’un garçon qui aura toujours peur de perdre sa mère, n’osera jamais parler à son père. Rêvant d’un amour qui, peut-être, finira par surgir comme un miracle. — F.P.
Éd. Folio, 10,00€.
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« La Fête des mères », de Richard Morgiève
“Stupeur”, de Zeruya Shalev
Une série de rendez-vous manqués, d’obstacles et de ratages, voilà à quoi ressemble la vie d’Atara ces temps-ci, et cela tombe mal car elle est de ceux qui ne savent pas s’accommoder des regrets, accepter l’échec ou la faute et passer à autre chose — « parce que chez elle, les regrets sont profonds, persistants et en général purulents, « ton problème, lui avait dit un jour Ranya, c’est que tu cicatrises mal… Enfin, c’est bien sûr le plus petit de tes problèmes, Atara » ». Femme tourmentée, indécise, pétrie de scrupules et de remords, femme au désir d’harmonie sans cesse mis en pièces par l’existence, telle est celle dont Zeruya Shalev fait l’héroïne de ce très beau roman dans lequel la vie intérieure des individus est comme raccordée, reliée par un fin réseau de fils et de nœuds à l’histoire et à la géographie d’Israël. — Na.C.
Éd. Folio, 9,50€.
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“Le Chagrin”, de Lionel Duroy
De Bizerte à Vaucresson, en passant par Neuilly et Douarnenez, il souligne et rature les étapes de sa vie fantasque, brouillonne, faite d’emprises et de dégagements, où même l’écriture semble avoir toujours douté de son bon droit. Attelé à la rédaction de son livre, il finit par se sentir disparaître : « Il me semblait que mon corps rétrécissait, se resserrait sur lui-même, occupant de moins en moins de place, comme s’il se préparait à s’effacer petit à petit. » Pourtant, Le Chagrin décrit une émouvante éclosion. Celle d’un homme qui découvre l’acceptation de soi.
Éd. J’ai Lu, 11,50 €.
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« Le Chagrin », de Lionel Duroy
“L’irrésistible Appel de la vengeance”, de Rosa Mogliasso
Dans un registre autrement plus comique et grinçant, le roman de Rosa Mogliasso rappelle combien l’intime peut être noir dès que l’on gratte la surface. L’Irrésistible Appel de la vengeance met en scène Amanda, une autrice de polars ringarde devenue sur le tard animatrice d’un atelier d’écriture, dont le petit groupe de participants reflète la médiocrité dans toute sa diversité. Cette comédie italienne à l’ironie ravageuse fait vivre une galerie de personnages archétypaux, qui auraient pu trouver leur place chez Agatha Christie. Mais à la place du juge Wargrave ou du Dr Armstrong (inoubliables protagonistes d’Ils étaient dix), on trouve Rutger, le tennisman sujet de toutes les convoitises, ou Vanessa, l’agente immobilière qui ne renonce jamais. Des figures présentées comme dans une pièce de théâtre (l’autrice est d’ailleurs responsable de la programmation du Théâtre Baretti de Turin) et qui, tour à tour, vont prendre la plume pour écrire les différents chapitres d’un roman qui croise vaudeville et policier. — Y.L.-S.
Éd. Folio, 9,00€.
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« L’irrésistible appel de la vengeance », de Rosa Mogliasso
“Une époque exquise”, de Dawn Powell
Amanda Keeler est jolie, audacieuse et sans scrupules. Auteure d’un roman à la mode et, surtout, mariée à un magnat de la presse, elle tente d’oublier ses origines provinciales en jouant les intellectuelles new-yorkaises bon teint. En 1942, dans les salons, chacun fait mine de parler politique en buvant du cognac, et la belle Amanda sait mieux que personne jouer les effrontées et s’étourdir de mots. C’est au milieu de ce monde frivole que débarque Vicky Evans, ancienne camarade de classe de la diva et merveilleusement candide. Amanda va se servir de la jeune femme pour dissimuler ses petits secrets inavouables. Dawn Powell (1896-1965), l’auteure piquante de Tourne, roue magique, de Les sauterelles n’ont pas de roi, analyse avec humour cette élite américaine qui n’est que faux-semblants. Elle épingle la sottise de ses contemporains comme une collectionneuse de papillons, impitoyable, détachée, irrésistible.
Éd. La petite Vermillon, 10,50 €.
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« Une époque exquise », de Dawn Powell
“Vivante”, de Clara Ysé
Qu’elle chante ou qu’elle écrive, au piano ou dans le silence, celle-ci se réjouit de la palette des formes à explorer. Pour elle pas question d’établir une hiérarchie. « Parfois, une phrase suffit. Un aphorisme contient tout ce qui devait être dit. » D’autres fois, la beauté s’articule en refrains, donne envie de se lever et de danser sur une mélodie entêtante. « On ne travaille pas avec les mêmes matériaux, mais l’objectif est identique, conclut Clara Ysé. Il s’agit d’échapper au langage utilitaire et de redonner du poids à la parole. De réparer une déchirure dans le langage et de faire lien avec le monde. ». — C.P.
Éd. Pocket, 8,10 €.
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