La consécration ! Je suis dorénavant, c’est quasi-certain, le seul humain vivant à avoir vu en salles les deux films les plus compliqués à voir de ces dix dernières années et, plus fort encore, à y avoir survécu : Intermezzo de Kechiche, et Papamobile avec Kad Merad.

J’ai vu (subi) le premier cité parce que j’étais à Cannes au « bon » moment, le second parce que j’ai su faire quelques sacrifices – on n’a rien sans rien. Il faut dire que la presse m’a bien mis la bave aux lèvres, depuis deux jours : Papamobile serait tellement raté que d’un commun accord, producteur et distributeur, dans le dos du réalisateur, auraient décidé d’en saborder la sortie. Moi je suis comme un gamin à qui on dit « t’es pas cap », dans ces situations-là, et je n’ai aucun souci à mettre ma vie en pause un vendredi férié, ensoleillé, de week-end aoûtien à chiller en famille, pour montrer que si, je suis cap.

Contractuellement, une mini-bande-annonce et une affiche ont tout de même été fagotées, mais rien de plus. Aucune com, aucun plateau télé malgré Kad Merad au générique : on est bien là face à un film maudit, donc potentiellement un jour culte (peu importera sa qualité, cf Intermezzo cité ci-dessus, dont je vous rappelle au passage que c’est à peu près aussi bien que regarder trois heures de storys Insta de candidats des Anges de la téléréalité). Si d’ordinaire la rareté cinéphile privilégie les parigots et autres festivaliers, cette fois-ci non, ce sont les bouseux, qui peuvent être les rares spectateurs de ce désastre annoncé. Six salles le programment dans des petits patelins en France, et de fait forcément, on ne trouve sur le web aucune critique presse (contrairement à Mektoub my Love canto Due, que tous les journalistes ciné de France ont déjà vu alors qu’il n’est passé qu’au festoche de Locarno ; on voit où sont les priorités !).

Du Parrain à Papamobile

Moi qui n’ai que des Marvel ou des films avec Christian Clavier à l’affiche depuis que j’habite dans ma campagne, v’là t’y pas que Papamobile débarque à 25 bornes de la maison. Plusieurs difficultés à cette proximité relative : faut prendre la bagnole et (donc) faut être sobre, et puis j’aime pas aller à Bagnoles-de-l’Orne, parce que ça fait prendre la route de Messei et La-Selle-la-Forge et qu’elle est relou car elle passe tout le temps de limitée à 50 à limitée à 70 puis 90 mais ça, j’avoue, vous vous en foutez.

Il s’agit aussi ici de mettre prématurément fin à ma « semaine de bonnes résolutions cinéphiles » où, comme chaque année, je suspends mes revisionnages hebdomadaires de la trilogie Camping pour me motiver à découvrir d’autres chefs-d’œuvres, mais que je n’avais jamais vus : après Eyes Wide Shut (qui a foutu ce putain de masque sur l’oreiller ?), Le Parrain, Le Parrain 2 et Le Parrain 3 (maintenant c’est bon je suis un vrai cinéphile), ce sera donc Papamobile.

Dans la C3 lancée à pleine vitesse (enfin à 50, puis 70, puis 50, puis 90 etc.), je me questionne vite fait tout de même sur les choix de vie qui ont fait que j’ai abandonné femme, enfant et télé pour me rendre à 16h10 un jour férié ensoleillé à l’hideux cinéma du casino de Bagnoles-de-l’Orne pour voir un navet autoproclamé avec Kad Merad. Avant de reprendre mes esprits et d’être très fier de moi, d’appeler mes parents sans qui je ne serais rien, pour les remercier de m’avoir permis par leur éducation de devenir l’homme qui aura fait le grand écart entre Intermezzo et Papamobile. Et puis après tout, c’est pas beaucoup plus débile que de traverser la France pour aller découvrir le troisième opus du Plus belle la vie de Kéchiche à Locarno.

Quelques centaines de mètres déjà avant l’entrée de la ville, des dizaines de voitures garées sur le côté, et là me vient une vision : soit y a un événement et ça va être la merde pour se garer, soit l’événement c’est Papamobile, que par un effet Streisand de fou, la France entière veut maintenant découvrir. Bon, finalement j’ai raté les bandes-annonces et on était trois dans la salle : c’était jour de courses hippiques à Bagnoles-de-l’Orne.

Le film, on y vient

Papamobile, c’est donc l’histoire de pape Barnabé, incarné par Kad Merad, enlevé lors d’un voyage au Mexique par un cartel de drogue… qui se rendra rapidement compte que leur otage n’est en réalité que sa doublure, le suppléant dans les situations jugées dangereuses.

Bon, on va y aller sans détour : oui, c’est en effet super nul. On aurait vraiment aimé contredire les producteur, distributeur et autres techniciens qui crachent depuis quelques jour sur le fruit de leur boulot, montrer que l’œuvre avait d’une façon assez magique su leur échapper, mais le film ressemble parfaitement à l’accident industriel qu’ils décrivent un peu partout.

Deux choses crèvent très rapidement les yeux : le scénario est mauvais, et le film en plus bien trop fauché pour le mettre en scène.

Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu ? ©Tessalit – Novak Prod – 2025

Le premier point est sans appel, et ce qui rend la séance pénible : Papamobile ressemble à une longue blague sans chute. Pas un gag, pas une péripétie ne fonctionne, et l’on sent tout ce petit monde complètement paumé : Kad Merad n’est absolument pas dirigé et, malgré son immense potentiel comique maintes fois prouvé, incarne un pape terne et relou, et son acolyte Myriam Tekaïa se débat sans succès dans un rôle écrit avec des moufles, auquel il est impossible de croire. Elle incarne la ravisseuse, une riche cheffe de cartel mexicain, qui planque la came en fourrant des pruneaux : instable, elle est décrite par la voix-off comme capable d’intenses mouvements de colères et de grands moments de joie. Résultat, on a l’impression de voir un personnage différent dans chaque scène, seulement caractérisé par des curseurs toujours à fond : c’est insupportable.

Ce qui en revanche est assez rigolo, c’est combien le film est fauché et tente (en vain) de ne pas trop le montrer. Il veut faire croire qu’il se déroule dans sa seconde moitié au Vatican, mais tous ses acteurs et figurants sont Mexicains (et observer quelques figurants ne comprenant pas trop ce qui leur arrive sur des coins de l’écran est savoureux). Il veut mettre en scène une fuite en sous-marin, mais n’a pas la thune pour, donc filme très succinctement et en fondu discret une maquette type Playmobil®. Il veut filmer intensément une scène de course-poursuite avec pistolets et tout, mais la foire tellement que la voix-off d’elle-même le concède : « Là je raconte mal, mais dans la réalité c’était extrêmement spectaculaire. »

Un bien triste bordel

Ce savoureux moment de clairvoyance de la voix-off laisse entrevoir ce qu’aurait pu être un film comique fauché qui aurait pleinement admis sa condition. On aurait vu la maquette du sous-marin plus longtemps, on aurait assumé le côté Vatican low-cost, on n’aurait pas fait semblant. Se dessine à plusieurs endroits du film, comme quand une nonne se met à danser sans raison, un virage vers une oeuvre comique monstrueusement méta, difforme, joyeusement chaotique ; quelqu’un quelque part semble en tout cas un temps avoir voulu l’emprunter, mais on le voit à chaque fois rattrapé par la patrouille, remis sur les rails d’une narration relou, d’un scénario raté, cailloux immenses dans ses chaussures trouées.

On passera sur le gros moment de gêne provoqué par une affreuse scène de liturgie, où la doublure du pape se met à sucer les doigts de pieds des cardinaux sans autre raison que de dragouiller son acolyte qui l’observe dans l’entrebâillement d’une porte. On passera aussi sur le ridicule final, expédié en trois minutes, où le méchant capitule avec des effets spéciaux dignes des plus gros nanars de Serge Pénard.

Et en pensant à ce dieu des faiseurs de navets l’on comprend pourquoi ce Papamobile n’est jamais vraiment parvenu à chiper notre sympathie, au contraire par exemple du toujours rigolo Ils sont fous ces normands : ici, ça ne semble pas tant être un joyeux bordel anarchique, qui a régné, qu’un enchaînement de compromis un peu mous du genou sur fond d’engueulades. Et de mieux comprendre pourquoi la décision prise par les gens qui ont l’oseille, de la distribution minimale du film, s’est faite sans que le réalisateur lui-même ne soit prévenu.

Pas si sûr que Papamobile devienne culte, finalement. Je n’aurai de cesse toutefois de vous rappeler que j’ai pris la route de Messei, un vendredi 15 août ensoleillé, pour le voir en salles, lorsque dans quelques mois vous le découvrirez chez les zozos – pire insulte de jeune papa d’un bébé qui répète tout – d’Amazon (qui sauront pour sûr surfer sur la promesse, pourtant non tenue, du nanar ultime).

About The Author

DZIBZ

DZIBZ

J’ai presque écrit 28 livres et 32 films.