Célèbre auteur du « Nom de la rose », Umberto Eco estimait que la fonction d’une bibliothèque est de « favoriser la découverte de livres dont le lecteur ne soupçonnait pas l’existence et qui s’avèrent d’une importance capitale pour lui ». Dans le cas des boîtes à livres, la première assertion se vérifie souvent, la seconde est toute relative.
D’un quartier à l’autre, même les ouvrages insignifiants en apparence n’en sont pas moins révélateurs des préférences littéraires. Une appétence pour les biographies ici, un intérêt pour les romans historiques là-bas, à chacun ses goûts. Sans volonté de juger mais avec une curiosité certaine, « Sud Ouest » s’est amusé à jeter un coup d’œil dans sept bibliothèques de rue de la ville. Ainsi, en ouvrant la boîte à livres de Saint-Éloi, près du city stade de la rue Pilâtre-de-Rozier, le lecteur nomade est accueilli par le sourire de Line Renaud, en couverture de son livre consacré à sa « Maman » (Éditions du Rocher).
Y aurait-il du sang bleu à Saint-Éloi ? « Une fille de la noblesse » de Natasha Borovsky (France Loisirs) et « L’amour d’une reine » de David Lockie (Balland) règnent sur une étagère. Au centre (droit), on trouve aussi « Le pouvoir et la vie », de Valéry Giscard d’Estaing (Cie Douze), « Pour une nouvelle gouvernance », de Jean-Pierre Raffarin (Archipel), et la liste des « Conseillers généraux de la Charente-Maritime, 1822-2020 » (La Geste), parmi lesquels l’ancien président de la République et l’ex-premier ministre (et jeune giscardien) n’ont jamais figuré.
Ce dernier, sinophile notoire, a sans doute lu « Les routes de Pékin » de Paul-Loup Sulitzer (Poche), que l’on aperçoit dans la petite boîte de la Trompette encastrée dans un mur, rue du Lieutenant-colonel-Bernier. L’éclectisme y est de mise, entre un vieux « Midi Olympique », le livret du film « Cessez-le-feu » d’Emmanuel Courcol (Le Pacte) avec Romain Duris en couverture, un guide de conversation « English and German » (Flaxman) et un exemplaire de « Tlacuilo » de Michel Rio (Seuil) aux passages surlignés.
La modeste boîte à livres de la rue du Cordouan.
Frédéric Zabalza/SO
Sartre et les Grosses Têtes
« Comment reconnaître un connard ? » C’est la promesse d’Andy dans « Princesse 2.0 » (404), « un livre d’une fille qui parle de trucs de fille ». Autres histoires de femmes à Mireuil, dans la boîte mise à disposition par la médiathèque du quartier. Le choix est large et de qualité : « Bakhita » de Véronique Olmi (Albin Michel), « C’est pas la fin du monde » de Kate Atkinson (Poche), « La danse des paons » de Sharon Maas (J’ai lu). Jean d’Ormesson à Mireuil, pourquoi pas ! « Tous les hommes en sont fous » (Succès du livre) trône sur l’armoire. Tout près de l’extincteur (!), « Pompiers de France : courage et dévouement », de Djamel Ben Mohamed et Carlo Zaglia (Carlo Zaglia), rappelle la présence de la caserne dans le quartier.
À Lafond, à l’entrée du Vélodrome Maurice-Delaunay, l’histoire de « Danny, champion du monde », de Roald Dahl (Hachette), nous est contée. À notre connaissance, il n’a jamais porté le maillot du Véloce Club Charente Océan (VCCO). Point de forçats de la route, mais un peloton de grands auteurs : George Sand (« François le Champi », Folio), Paulo Coelho (« Onze minutes », Anne Carrière), Elia Kazan (« Le monstre sacré », Club pour vous), Sylvie Germain (« Nuit d’ambre », Gallimard). Jean Anglade réussit le doublé, avec « Le grillon vert » (Presse de la Cité) et son « Histoire de l’Auvergne » (Hachette).
Et qui revient dans la course à Saint-Maurice, place Charles-Fromentin ? Paul-Loup Sulitzer, avec « L’impératrice » (Poche). Plus improbable encore est le duo formé par Jean-Paul Sartre (« La putain respectueuse », Poche) et Philippe Bouvard (« Les fous rires des Grosses Têtes », RTL). On songe par ailleurs que le « Marco Polo » de Maria Bellonci (France Loisirs) aurait volontiers voyagé avec le guide touristique du Vietnam posé ci-contre.
Fantasmes complotistes
Rue du Cordouan, le contenu de la boîte à livres tient sur une petite étagère. Autour d’un énorme et inquiétant pavé de Stella Gemmell (« La Cité », Bragelonne), se côtoient un vieux « Paris Match » affichant Jean-Marie Le Pen en une, « L’argent fou » d’Alain Minc (Poche) et « L’amour et la haine » de Konsalik (France Loisirs).
Rue Bujaud, le regard des touristes se pose sur les « Télérama » déposés avec le peu de livres en libre-service, parmi lesquels « Soignez vos cheveux » (Marabout Flash). La Charentaise Marie-Bernadette Dupuy y est l’écrivaine vedette, avec pas moins de trois ouvrages : « La grotte aux fées », « La vallée des eaux claires » et « Le moulin du loup » (France Loisirs).
Les complotistes du quartier ont aussi de quoi nourrir leurs fantasmes, entre « 30 ans de CIA » de William Colby (Presse de la Renaissance) et « La secte de l’ombre » de James Grippando (Le Club)…