Une comédie mexicaine avec Kad Merad sacrifiée en plein été ? Le défi était de taille avec seulement sept salles disséminées dans toute la France. Mais la curiosité cinéphile est un vilain défaut. Après trois heures de route, nous avons pu voir « Papamobile ».
Bagnoles-de-l’Orne, ce 15 août. Il fait chaud, le soleil brille, les terrasses des cafés qui entourent le lac font le plein. La route qui mène au Casino a même été partiellement barrée pour préserver la quiétude des touristes de cette ville thermale. Au loin, on entend le speaker de l’hippodrome hurler le nom des chevaux. C’est jour de course et un feu d’artifice sera même tiré la nuit venue. Bref, personne ne sait qu’au cinéma du Casino Joa, à 16h, un film maudit sera projeté : « Papamobile »
Curieuse histoire que celle du film. Sa notoriété soudaine est née d’un article du « Canard Enchaîné » qui a cherché à comprendre pourquoi une comédie avec l’acteur très populaire Kad Merad («Bienvenue chez les chtis») , n’a eu le droit qu’à une sortie dite technique. Un montage compliqué, un producteur qui ne croit plus au projet et un distributeur qui veut dépenser le moins d’argent possible… Et le deuxième film de Sylvain Estibal, qui avait pourtant obtenu le César du premier film pour « Le Cochon de Gaza », d’être quasi invisible la semaine de sa sortie, le 13 août. Seulement sept salles en France le projettent cette semaine, disséminées sur tout le territoire. La plus proche de Paris (mais à trois heures de route tout de même) se trouve justement à Bagnoles-de-l’Orne… Pour le distributeur – ici The Jokers -, même si les frais sont limités, une sortie technique c’est toujours de l’argent perdu.
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La cinéphilie, ce n’est pas que voir des films, c’est aimer toutes les formes du cinéma, les pures comme les impures, dénicher les films rares, les versions inédites, suivre de manière irrationnelle la carrière d’un réalisateur ou d’un acteur (et même parfois d’un chef opérateur, NDLR). Il se trouve que l’auteur de ces lignes aime beaucoup Kad Merad, sa manière d’interpréter avec générosité et humanité des personnages au grand cœur. Et si pour même son producteur Jean Bréhat, « Papamobile » serait une comédie « ratée » et « pas drôle », il faut – pour le juger et ne pas parler dans le vide – voir le film coûte que coûte, et sur le plus grand écran possible. Même un 15 août, même en pleine canicule.
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Huit spectateurs mercredi, deux jeudi
L’extérieur du cinéma JOA de Bagnoles-de-l’Orne.
© Yannick Vely
Retour à Bagnoles-de-l’Orne. À l’extérieur du Casino, une inquiétude nous étreint. Deux films seulement sont affichés : « Dracula » de Luc Besson et « Les Bad Guys 2 » de Pierre Perifel. Pas de trace de « Papamobile » pourtant annoncé sur le programme officiel à 16h10. Ne nous pressons pas, à proximité, les canards du lac barbotent alors que les amateurs de mini-golf comptent les bogeys. À l’heure dite, nous entrons dans le Casino-restaurant-cinéma JOA. En face de l’entrée, les machines à sous, à gauche la salle de cinéma classée art-et-essai et disposant de 346 fauteuils rouges.
L’écran de la salle de cinéma de Bagnoles-de-l’Orne.
© Yannick Vely
Au guichet, Michel, qui est aussi le programmateur. Amusé par notre présence, il se confie sans peine sur son choix de mettre à l’affiche le fameux « Papamobile ». « Nous sommes en vacances et j’essaie de choisir des films pour tout le monde. Il y avait peu de comédies françaises qui me tentaient et ce film avait l’air rigolo, surtout avec Kad Merad, nous explique-t-il. J’ai appelé le distributeur qui m’a dit que le film n’aurait aucune promotion, rien. Mais j’ai voulu quand même le prendre pour quinze jours. » Il vient tout juste de recevoir l’affiche – qu’il a achetée sur son budget – et n’a pas encore eu le temps de la mettre.
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Je suis là pour Kad Merad, avec lui on est sûr que l’on va rigoler
Marie-Annick
Jeudi, un journaliste l’a appelé suite à la polémique mais le film ne fait pas recette, regrette-t-il. Huit curieux sont venus mercredi (le film ne bénéficie que d’une séance par jour), deux seulement jeudi. Ce vendredi, outre votre serviteur, Marie-Annick a fait le déplacement de Perrou, à vingt minutes de là. « Je suis heureuse car je viens de gagner trente euros à la roulette », nous confie la cinéphile, née le même jour que Johnny Hallyday et qui a joué de l’harmonica chromatique sur le plateau du jeu « Les 12 coups de midi » de Jean-Luc Reichmann en 2011 – c’est elle qui nous le précise. Bien renseignée, elle sait que le film n’est pas beaucoup distribué, ce qui l’attriste et l’amuse à la fois. « Je suis là pour Kad Merad, avec lui on est sûr que l’on va rigoler ». Nous nous donnons rendez-vous à la sortie. Après quelques bandes-annonces, une troisième personne nous rejoint, mais ce spectateur mystère se sera évaporé avant le générique final.
Un manque de moyens criant
Le noir se fait. Le film débute… au Vatican. En voix-off, un garde suisse nous demande de croire en l’histoire qu’il va nous raconter… Habemus Papam. Un nouveau pape vient d’être élu. Il est français, a les traits de Kad Merad (qui a mis son salaire en participation pour que le film voie le jour, NDLR). Il se voit offrir une « Papamobile » avec des gadgets dignes de James Bond (ou plutôt d’« OSS 117 »).
Trois cardinaux corrompus le conseillent alors que les finances sont vides. Son premier voyage officiel au Mexique sera ainsi financé par la cheffe d’un Cartel de drogue (des pruneaux fourrés à la cocaïne) qui compte bien obtenir un retour sur investissement… Et quand le Vatican change le programme des visites papales, elle décide de passer à l’action et de kidnapper sa Sainteté…ou plutôt son sosie. Voilà pour le pitch du film, beaucoup plus fidèle que celui donné à la presse. Pendant quarante minutes, quand l’intrigue est située à Ciudad Juarez – la ville la plus dangereuse du monde -, le film tient à peu près la route, même si le manque de moyens est déjà criant lors des scènes d’action. L’humour du film n’est jamais vulgaire et repose essentiellement sur le décalage des dialogues et des situations, un peu comme dans le cinéma du Palestinien Elia Suleiman. Le couple mal assorti que forment le pape (ou plutôt son sosie) et la Commandante jouée par Myriam Tekaïa (également co-scénariste) est attachant mais le film ne prend pas assez le temps de construire la relation.
Le film déraille à son retour dans la Botte italienne. Le récit s’emballe, les scènes s’enchaînent sans cohérence et le quiproquo qui aurait pu naître de la présence de deux papes – le vrai et son sosie – devient de plus en plus incompréhensible. Le spectateur est un peu comme Marguerite (le crocodile du film nommé ainsi en hommage à Duras, NDLR), il reste sur sa faim et les effets visuels piquent réellement les yeux dans les dernières séquences…
Bientôt sur Amazon Prime et OCS
« Papamobile » n’est pas non plus le « pire film de la création », ni même le plus mauvais film de l’été. Sincère, il fait parfois sourire par sa critique décomplexée (ou plutôt décalottée) de l’institution vaticane – la scène du lavement des pieds, les nonnes qui s’amusent des jeux d’influence au sein de la curie, le lancement d’une cryptomonnaie intitulée le VaticanCoin… Pour Sylvain Estibal qui a publié un droit de réponse suite à l’article du « Canard Enchaîné », la principale raison de l’échec artistique tient dans les promesses budgétaires non tenues par son producteur – 1,2 million d’euros au lieu des 2,9 annoncés. On connaît l’adage : le tournage est la critique du scénario, le montage celui du tournage. Quatre monteurs sont ainsi crédités au générique, si bien que l’on se doute qu’il manque des scènes pour apporter du liant au troisième acte. Quasi absent des salles françaises, le film sera diffusé prochainement sur Amazon Prime et OCS et ses droits ont déjà été achetés en Allemagne et en Belgique au dernier marché du film de Cannes. Il sera vu.
« Papamobile » peut-il devenir culte ? Pas sûr… Le dernier mot sur le film est laissé à Marie-Annick, qui nous a gentiment attendus : « Ce n’était pas terrible, non ? ». Le spectateur a hélas souvent raison. Michel, lui, a profité de la séance pour mettre l’affiche dans l’entrée du cinéma, espérant que cela attirera d’autres curieux (ou fous) comme moi. Mais soyons sincères, qu’importe la qualité du film : ce déplacement à Bagnoles-de-l’Orne restera dans ma mémoire, comme le jour où j’ai découvert « Godzilla Minus One » à Tokyo, en 4DX mais sans sous-titres. La cinéphilie, ce n’est pas que voir des films, c’est aussi vivre l’expérience collective d’une projection. Même à deux, même un 15 août.
L’affiche de« Papamobile » dans le cinéma de Bagnoles-de-l’Orne.
© Yannick Vely