Grande voix de la littérature russe contemporaine, Ludmila Oulitskaïa, traduite en 49 langues, est devenue romancière après avoir été licenciée, pour faits de dissidence, de son poste de biologiste généticienne. Désormais persona non grata dans son pays natal, cette experte en « angéologie, cette science mystérieuse », sans jamais évoquer la guerre,
continue d’explorer la vie du petit peuple de Russie.
Elle s’attache, entre autres, à de vieilles femmes, peu avant leur mort. Au-dessus d’elles, ainsi que d’autres humains, planent des anges. Il en est un pour chacun. L’un d’entre eux observe deux amies au bord de la tombe de leur époux défunt. Un autre, métamorphosé en pigeon, se fait croquer par un chat… Un autre encore, doux et gentil, se casse une aile au contact brutal de l’être qu’il était censé protéger. Le mal est partout, mais les humains résistent, scrutés d’en haut par de bien secrètes présences.
Une plume qui soulève les questions comme on soulève une pierre
L’écriture de Ludmila Oulitskaïa, simple d’apparence, soulève les questions comme on soulève une pierre, pour voir ce qui grouille en dessous. Elle suggère un monde sans dieu, soumis à une stricte surveillance, sans datation vraiment précise, mélange de toutes les époques. Un monde tout à la fois cruel comme peuvent l’être des enfants, ces adultes en réduction, et pourtant nimbé d’un ailleurs qu’elle nous incite à concevoir.
Dans Six fois sept, elle décline des sujets graves avec mordant. Elle imagine, par exemple, Sept fins de vie, Sept familles, Sept paires de jumeaux… Ce sont des textes brefs, sans graisse descriptive. Dans Sept fins de vie qui clôture l’ensemble, la nature menace de partout : le vent, la pluie, le feu mais aussi l’homme, inventeur d’un virus terrible qui tue à petit feu les femmes du monde entier.
93 % de l’humanité se met soudain à tousser. « Mon intérêt pour la génétique s’est mué en un nouveau métier : peu à peu, je suis devenue écrivain », précise la romancière, en préface de Fragments d’un tout, son recueil d’œuvres choisies, dans la collection Quarto.
Fragments d’un tout, de Ludmila Oulitskaïa, Trad. du russe par Sophie Benech et Bernard Kreise, Quarto/Gallimard, 1020 pages, 28 euros.
Le Livre des anges, suivi de Six fois sept, nouvelles, de Ludmila Oulitskaïa, traduit du russe par Sophie Benech, Gallimard, « Du monde entier », 126 pages, 18 euros.
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