« My tailor is rich ». Une petite phrase devenue iconique tant elle représente la galère de ceux qui commencent à apprendre l’anglais. On la retrouve parodiée dans Astérix chez les Bretons, Le Gendarme à New York et même L‘ Exorciste. Ce qu’on sait moins, c’est qu’elle provient d’un ouvrage fondateur des éditions Assimil, « L’anglais sans peine » (1930), fondées par un Rennais, Alphonse Cherel. Avec le succès que l’on connaît, puisque les méthodes Assimil, déclinées en plusieurs dizaines de langues, existent encore presque un siècle plus tard.
Le Mensuel de Rennes
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Alphonse Cherel naît à Rennes le 2 juin 1882. À l’époque, l’apprentissage de l’anglais était l’apanage des nantis… Ou des audacieux. Fils de minotier, Alphonse fait partie de la deuxième catégorie. Son bac en poche, il part à Londres et se fait embaucher comme précepteur. Tandis qu’il apprend l’anglais sur le tas, l’idée lui vient de créer un manuel facile d’utilisation pour le grand public.
Polyglotte et accusé d’espionnage
Après quatre ans d’aventures britanniques, changement de pays. Alphonse est toujours précepteur, mais cette fois-ci dans une famille berlinoise. Visiblement, le jeune homme ne tient pas en place. En 1909, il rejoint son frère à Moscou. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, sa connaissance de l’anglais, de l’allemand et du russe lui évitent d’être envoyé à la boucherie : il est nommé interprète. Son travail consiste notamment à traduire les messages ennemis interceptés mais aussi à faciliter le dialogue entre l’armée française et britannique. Mais son don des langues n’est pas qu’une bénédiction. Blessé par un coup de canon, il tombe dans le coma et se met à délirer. En allemand. Le voilà accusé d’espionnage ! Il lui faudra bien des explications pour s’innocenter…
À la fin de la guerre, notre polyglotte reprend les voyages. Il peaufine sa méthode de langue, à base d’une série de leçons de 30 minutes par jour, assorties d’astuces de mémorisation. D’où « My tailor is rich » : la phrase est suffisamment transparente pour être comprise rapidement par des francophones. En 1929 naît officiellement l’entreprise Assimil avec le fameux L’Anglais sans peine. Alphonse et son frère travaillent depuis une chambre d’hôtel du 18e arrondissement. Les livres, édités à compte d’auteur et à crédit, sont stockés à la cave. La collection s’enrichit de nouvelles langues. C’est un succès.
En 1933, Alphonse passe un cap technologique. Il utilise des disques qui permettent d’entendre la prononciation réelle. Quand la guerre éclate à nouveau, les voyages internationaux ne sont plus de mise, et les ventes déclinent. La méthode d’allemand subit les foudres de l’occupant. Il faut dire qu’elle est agrémentée de caricatures d’Hitler. Entre-temps, Alphonse est entré dans la Résistance. Faute de mettre la main sur lui, les Allemands emprisonnent son frère plusieurs mois. Alphonse Chérel meurt en 1956, après avoir publié Le Portugais sans peine. Son fils Jean-Loup, puis son petit-fils Yannick, reprendront successivement les rênes de cette maison d’édition iconique.