Il n’y a pas si longtemps encore, l’Allemagne entretenait de bonnes relations avec la Chine, son premier partenaire commercial, avec environ 250 milliards d’euros de marchandises échangées en 2023. Et cela alors que l’Otan avait affirmé que Pékin posait un « défi systémique » à la sécurité euro-atlantique.
Ainsi, dans ses lignes directrices pour l’Indopacifique, publiées en 2021, Berlin avait dit vouloir nouer de nouvelles relations commerciales avec les pays de la région partageant une « même compréhension de la démocratie » tout en prônant le dialogue pour résoudre les conflits territoriaux, en particulier en mer de Chine, dont la quasi-totalité est revendiquée par Pékin. En clair, il s’agissait d’être ferme sur les principes tout en évitant de froisser la Chine pour des raisons économiques.
Cependant, l’Allemagne a commencé à infléchir sa position en envoyant la frégate « Baden-Württemberg » et le navire-ravitailleur « Frankfurt am Main » dans le détroit de Taïwan en septembre 2024. Chose qu’elle s’était gardée de faire lors des précédents déploiements de la Deutsche Marine en Indopacifique.
La réaction de Pékin ne s’était pas fait attendre. « Le principe d’une seule Chine est une norme fondamentale dans les relations internationales, qui fait l’objet d’un consensus international dominant. La question de Taiwan ne concerne pas la liberté de navigation mais la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Chine », avait affirmé le ministère chinois des Affaires étrangères, avant d’exhorter Berlin à éviter « toute ingérence » pouvant « mettre en péril le développement sain et stable des relations bilatérales ».
Avant les élections fédérales anticipées de février dernier, celui qui allait succéder à Olaf Scholz à la tête du gouvernement allemand, Friedrich Merz, avait prévenu. « La décision d’investir en Chine est une décision à haut risque. […] Si vous prenez ce risque, faites-le de manière à ne pas mettre en danger l’ensemble du groupe, si vous devez amortir cet investissement d’une année sur l’autre », avait-il dit, lors d’un échange à la Fondation Körber, à Berlin, avec les milieux économiques d’outre-Rhin. « La Chine n’est pas un État de droit » et « sa situation économique est plus plus difficile que ce que nous pouvons en voir en ce moment de l’extérieur », avait-il insisté.
Puis, en juillet, alors que le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, venait de se féliciter d’avoir eu avec son homologue allemand, Johann Wadephul, un dialogue « pragmatique, franc et constructif » ayant permis de « renforcer la compréhension mutuelle et d’élargir le consensus entre les deux parties », la Bundeswehr accusa un navire de l’Armée populaire de libération [APL] d’avoir pointé un laser vers l’un de ses avions de renseignement alors engagé dans l’opération EUNAVFOR Aspides, en mer Rouge.
Quoi qu’il en soit, les relations entre l’Allemagne et la Chine ont désormais changé de nature… Ce 18 août, après s’être entretenu avec son homologue japonais, Takeshi Iwaya, le chef de la diplomatie allemande a accusé Pékin de « modifier unilatéralement » les frontières de la région indopacifique, en adoptant un comportement « de plus en plus agressif ».
« La Chine menace régulièrement, plus ou moins ouvertement, de modifier unilatéralement le statu quo et de déplacer les frontières en sa faveur », a en effet affirmé M. Wadephul. « Toute escalade dans cette plaque tournante sensible du commerce international aurait de graves conséquences pour la sécurité et l’économie mondiales », a-t-il insisté.
Vingt-quatre heures plus tôt, le ministère allemand des Affaires étrangères avait publié une déclaration pour dénoncer la « remise en question des principes du droit international » par Pékin.
Japan und Deutschland – zwei starke Demokratien, die in den G7 eng zusammenarbeiten und sich weltweit für die regelbasierte Ordnung einsetzen. Unser enges Freundschaftsband knüpfen wir heute noch fester. Danke für den sehr herzlichen Empfang in Tokyo, lieber Takeshi Iwaya! 🇯🇵🤝🇩🇪 pic.twitter.com/9oSu0JPbbi
— Johann Wadephul (@AussenMinDE) August 18, 2025
La Chine « affirme de plus en plus sa suprématie régionale et, ce faisant, remet également en question les principes du droit international » et son « comportement de plus en plus agressif dans le détroit de Taïwan et en mers de Chine orientale et méridionale a également des implications pour nous en Europe : les principes fondamentaux de notre coexistence mondiale sont en jeu », a-t-il fait valoir.
Par ailleurs, M. Wadephul a également critiqué le soutien apporté par la Chine « à la machine de guerre russe » en Ukraine. Et d’ajouter : « Sans ce soutien, la guerre d’agression contre l’Ukraine ne serait pas possible. La Chine est le plus grand fournisseur de biens à double usage de la Russie et son meilleur client pour le pétrole et le gaz ».
Encore une fois, la diplomatie chinoise n’aura pas tardé à réagir. « Nous exhortons les parties concernées à respecter les pays de la région, à résoudre les problèmes par le dialogue et la consultation, et à préserver les intérêts communs de paix et de stabilité, plutôt que de susciter des confrontations et d’exagérer les tensions », a fait valoir Mao Ning, l’une de ses porte-paroles, lors d’une conférence de presse. « La question de Taïwan fait partie des affaires intérieures de la Chine », a-t-elle insisté.