Nichée au cœur d’une végétation luxuriante où volent les oiseaux de toutes les couleurs, le Monkey Lodge Panama compte cinq bungalows et une jolie piscine. Un havre de paix, à peine troublé par les cris de la demi-douzaine de singes-araignées recueillis ici, situé non loin du fameux canal et de la capitale du petit pays d’Amérique centrale.
Aux quelques Français venus faire du tourisme sous les tropiques, Fabrice, le patron de l’établissement, propose ce soir-là des pizzas au menu. Pas banal quand on porte le patronyme de Gaetano et qu’on a passé une partie de sa vie dans l’aire toulonnaise! « Moi, c’est mon nom de famille », sourit l’expatrié, natif de Hyères. « À Toulon, la célèbre pizzeria porte le prénom du grand-père qui avait ouvert son restaurant en arrivant de Sicile. »
« On en a vraiment eu marre de la France »
Fabrice, lui, est arrivé au Panama en 2007, avec sa femme Sabrina et son fils Max. Un peu par hasard, un peu par… conviction. « Ça faisait quelques années qu’on voyageait du côté des USA, du Mexique ou de Cuba. Et puis est arrivé un moment où on en a vraiment eu marre de la France… »
À cette époque, le Varois, ancien champion de France de boxe, est carreleur ; Sabrina, elle, tient un salon de toilettage pour chiens. Dans leur « ranch » de Six-Fours, ils possèdent un âne placide, un lama querelleur et plusieurs chevaux avec lesquels ils participent à des spectacles équestres. Pour autant, Fabrice trouve de plus en plus injuste la quantité d’impôts dont il doit s’acquitter en tant qu’artisan qui ne compte pas ses heures.
« Je ne comprenais pas où allait mon argent, pourquoi je travaillais. Pour moi, il devenait insupportable de rester en Europe », poursuit Fabrice. « Et puis un militaire avec qui je faisais de la plongée m’a parlé du Panama. Il avait passé le canal, des années plus tôt, sur la Jeanne d’Arc. Il m’a dit ‘ça a l’air pas mal. Tu devrais aller voir.’ C’est ce que j’ai fait. »
La végétation luxuriante du lodge de Fabrice Gaetano. Photo DR.
« J’ai ouvert une pizzeria »
Enfin pas tout de suite. De son propre aveu, le Panama « n’inspire pas grand-chose » à Fabrice. Mais il se renseigne sur ce pays étroit, jadis territoire de la Grande Colombie. « J’ai surtout lu que ce n’était pas compliqué de devenir propriétaire, pas compliqué d’avoir un visa et que c’était un pays sûr. Et comme je parlais déjà espagnol… »
Toujours bien décidés à quitter l’Hexagone, Fabrice et Sabrina se rendent sur place pour tâter le terrain. À leur deuxième visite, ils sont vite convaincus que le prochain épisode de leur vie peut et doit s’écrire non loin du Río Chagres, fleuve qui se jette dans la mer des Caraïbes. « Pour être honnête, je suis du genre à faire, et à réfléchir ensuite », confesse Fabrice. « On a tout vendu en France pour acheter une maison ici. Et j’ai ouvert une pizzeria en attendant que le reste de la famille me rejoigne. »
Mais la suite se révèle un poil plus compliquée que le fait d’enfourner une margherita supplément champignons. « On a eu quelques soucis avec les employés… », confie-t-il, sans trop en dire. L’ex-pugiliste a de la ressource. Il achète alors des camions et se lance dans le transport d’agrégats. Il s’associe même un temps à des Cubains qui bossent dans le BTP. Avant de revenir à son rêve initial.
« On a toujours eu l’idée de travailler dans le tourisme. Finalement, on a construit notre lodge au milieu de la forêt. » Avec cette petite touche qui doit faire la différence : « proposer des excursions personnalisées à nos hôtes, comme s’il s’agissait de notre famille. » Lac Gatun, île aux singes, immersion dans la jungle, journée dans un village indigène, observation des toucans et des paresseux… La région ne manque pas de richesses.
« En dix-huit ans, je suis retourné deux fois en France »
Et côté qualité de vie, celui qui a habité au Lavandou, à Toulon, à La Seyne, Saint-Mandrier et à Six-Fours ne regrette rien. « Ici, tu n’as pas de problèmes de racisme. Tu n’as pas de prosélytisme religieux. Personne ne t’agresse dans la rue. »
Quid, tout de même, de la pauvreté, de la corruption, de la pollution ou des standards de confort, parfois loin de l’Occident, qu’offre la république américaine ? « Tu t’habitues », balaye l’homme de 55 printemps.
La France lui manque-t-elle ? « Pas du tout. La preuve : depuis dix-huit ans, je n’y suis retourné que deux fois. Et j’ai trouvé les gens d’une tristesse… Ils n’ont rien fait, rien à raconter. Nous, on est très heureux. Certes, ce n’est pas le paradis, il faut faire attention aux arnaques. Même si ça nous a coûté cher au début, on a appris ! Et on a toujours su rebondir. »
L’anse Méjean, à Toulon. Photo doc V.-m..
Ça reste entre nous : coups de cœur et petits secrets
Qu’est-ce qui vous manque depuis que vous avez quitté la région?
Peut-être un meilleur tissu social, comme on avait en France, où on mangeait sans arrêt les uns chez les autres avec nos amis. On n’a pas vraiment reconstruit de relations fortes ici. Les expatriés, c’est un panier de crabes. Et, avec les locaux, la différence culturelle reste très importante.
Quelle ressemblance pouvez-vous trouver entre notre région toulonnaise et votre terre d’adoption?
Certains endroits du bord de mer au Panama me font penser à certaines anses toulonnaises, comme Méjean, Magaud, le fer à cheval… Il y a la mer devant, le petit village de pêcheurs et la forêt derrière. Bon, sauf qu’ici, la forêt, c’est la jungle.
Si vous deviez amener un peu de Panama en France?
La liberté, et notamment la liberté d’entreprendre. Ça ne veut pas dire qu’on peut faire n’importe quoi, ou qu’on peut s’abstenir de payer, attention. Mais d’une manière générale, les choses sont beaucoup plus faciles ici. Et puis il n’y a pas de Poste, donc tu ne reçois pas de recommandés (rires).
Et si vous deviez ramener un peu de France au Panama?
Le savoir-vivre, l’éducation à la française. Les gens sont polis, souriants mais ce n’est pas pareil. On peut se faire facilement avoir.