DÉJA-VU
Ces dernières années, Russell Crowe semble condamné aux rôles secondaires dans des blockbusters oubliables (coucou Kraven The Hunter) ou à des productions de seconde zone essentiellement destinées aux plateformes. Sleeping Dogs fait partie de la seconde catégorie. Malgré une sortie limitée dans quelques salles l’année dernière, le film bénéficie d’une seconde vie sur Amazon Prime Video. Adapté du roman Jeux de miroirs d’Eugen Ovidiu Chirovici, ce polar à concept est réalisé par Adam Cooper à qui l’on doit les scénarios de Divergente 3 et Le Transporter : Héritage.
Le concept du long-métrage est simple. Un flic retraité qui souffre d’Alzheimer doit se replonger dans son passé pour résoudre une affaire qu’il a menée dix ans plus tôt. Une enquête se jouant sur deux temporalités, un protagoniste peu fiable dont la mémoire est défaillante… il n’en faut pas plus pour voir en Sleeping Dogs un sous-Memento qui arrive vingt-cinq ans trop tard. À tel point qu’il va mimer le classique de Nolan dès ses premiers plans en filmant un appartement rempli de notes manuscrites pour rappeler au héros qui il est, ce qu’il doit faire, etc.
Une dernière enquête avant d’oublier
Il y avait probablement un point d’originalité à aller chercher en explorant les effets d’Alzheimer, un état pathologique bien moins traité en fiction que l’amnésie. La séquence d’ouverture suffit malheureusement à comprendre que la maladie du protagoniste ne sera jamais rien de plus qu’un artifice narratif. La maladie est traitée de façon absurde et elle évolue aléatoirement en fonction des besoins du récit. Ajoutons à cela le cliché du traitement expérimental aux effets secondaires inconnus et on a la formule complète pour un concept sans queue ni tête.
Au-delà de cette caractérisation ratée, Sleeping Dogs est un empilement de clichés. Les vieux flics sont alcooliques, nihilistes et ont été brisés par le système. Une femme fatale générique débarque en cours de route. Sans oublier l’éternel psychiatre autoritaire, évidemment trop charismatique pour être honnête. Tout amateur de polar se trouve en terrain bien trop familier pour que le long-métrage ne puisse se distinguer d’une manière ou d’une autre.
La fameuse femme fatale qui agit dans l’ombreELEVATED SÉRIE B
Pour son premier long-métrage en tant que réalisateur, Adam Cooper livre un film techniquement daté. Sleeping Dogs ressemble à s’y méprendre à toute cette vague de polars post-Seven sortis dans les années 2000. Des projets purement opportunistes qui étaient déjà désuets à l’époque. L’esthétique numérique grise et désincarnée pourrait coller à n’importe quel épisode des premières saisons des Experts.
La caméra est léthargique, la plupart des plans semblent étirés de façon grotesque pour ajouter un vernis poseur sur ce qui devrait n’être qu’une série B sans prétentions. Il y a quelque chose d’assez hilarant à voir que le premier mouvement de caméra réellement surprenant du film arrive lors d’une scène de sexe. Comme si le cinéaste nous avouait habilement qu’il n’avait rien de plus intéressant à filmer avant ce petit écart. Rassurons-nous, dès la séquence suivante on reprend les plans fixes.
Plus gris, tu meurs
À vrai dire, personne ne semble s’amuser avec ce film. Le montage est mou au possible, incapable d’ajouter la moindre tension. Le découpage se contente d’être purement fonctionnel. Et même la partition de l’oscarisé David Hirschfield contribue à créer une atmosphère musicale soporifique qui n’a rien à envier aux épisodes les plus oubliables d’Inspecteur Derrick.
Au milieu de ce marasme créatif, Russell Crowe fait office de lueur d’espoir. Sans égaler le cabotinage délicieux qu’il nous offrait dans L’Exorciste du Vatican, l’acteur en fait tout de même des caisses. Avec son crâne rasé qui en fait un sosie involontaire de Philippe Etchebest, il grogne des jurons à chaque phrase et regarde l’horizon d’un œil vitreux en pensant à sa prochaine pinte. Tommy Flanagan regrette les jours de Sons of Anarchy mais semble être le seul à comprendre qu’il faut surjouer autant que la tête d’affiche pour dynamiser un peu le film.
Est-ce que j’ai l’air assez torturé comme ça ?TROP BÊTE POUR TOI
On pourrait voir en Sleeping Dogs un simple polar banal relativement inoffensif, si seulement le film ne semblait pas persuadé à ce point d’être bien plus malin qu’il ne l’est vraiment. Tout spectateur ayant vu une seule enquête avec un héros amnésique devine qu’il y a une bonne raison à cette perte de mémoire. Adam Cooper semble pourtant persuadé que son scénario regorge de surprises qui relèvent du coup de génie.
On retrouve cette prétention dans la forme qu’adopte le récit. Entre le découpage en chapitres artificiels, les jeux de temporalité inutilement complexes ou encore le filtre d’autofiction ajouté au personnage de Richard Finn, Sleeping Dogs semble répéter désespérément qu’il est l’œuvre d’un auteur et non pas une série B anodine. L’envie d’ambiguïté ne prend pas. Même constat d’échec pour la fausse résolution à laquelle viennent s’ajouter 15 minutes de l’explication la plus prévisible possible.
La dernière pièce du puzzle…très littéralement
S’il fallait dresser une liste de twists interdits tant ils sont éculés, il ne fait aucun doute que la dernière pirouette que nous réserve Adam Cooper serait en tête de liste. Là encore, la fameuse grande révélation est faite avec un ton poseur qui en devient presque amusant de ridicule. On est sur un cas typique de long-métrage qui échoue parce qu’il veut être ce qu’il n’est pas. Un polar qui semble presque avoir honte de son genre et compense en livrant son enquête de la façon la plus pompeuse possible.
Durant tout le récit, on voit le personnage de Russell Crowe exercer sa mémoire en faisant un puzzle. Il faut attendre un des derniers plans pour avoir droit à l’image complète. Difficile de résister à l’envie de dévoiler ce qu’il en est, mais cette simple surprise suffit à caractériser la bêtise de Sleeping Dogs. Paradoxalement, c’est ce sérieux excessif jusqu’au ridicule qui offre par moments un divertissement involontairement drôle.
Sleeping Dogs est disponible sur Amazon Prime Video