Parmi la délégation européenne qui accompagne le président Volodymyr Zelensky à Washington à la rencontre de Donald Trump, la personnalité la plus importante n’est pas Emmanuel Macron ni le chancelier Friedrich Merz. Et pas davantage l’Italienne Giorgia Meloni, le Premier ministre britannique Keir Starmer ou la présidente de la Commission Ursula von der Leyen – tous issus de « grands » pays. Au contraire, l’homme-clé de ce voyage est sans doute Alexander Stubb, président de la « petite » Finlande – 5,6 millions d’âmes.

En fonction depuis un an et demi, ce golfeur émérite qui a fait une partie de ses études aux Etats-Unis et parle cinq langues est l’acteur qui pourrait se révéler déterminant dans les relations entre Washington, Moscou et les pays européens. Conservateur de 57 ans, il possède une relation privilégiée avec le président américain tout en bénéficiant d’un certain respect de la part de la Russie, ce qui est rare pour un leader d’un pays d’Europe occidentale.

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Des liens profonds nourrissent en effet la relation entre Moscou et Helsinki. Celle-ci repose sur un passé historique en commun. Et quel passé ! Partie intégrante de l’empire tsariste sous le nom de « grand-duché de Finlande » à partir de 1809 (avant quoi ce territoire avait été suédois pendant 600 ans), les Finlandais ont à l’époque entretenu une relation relativement harmonieuse avec Saint-Pétersbourg, la capitale qui leur concédait une large autonomie.

Le président Donald Trump (à gauche) et le président russe Vladimir Poutine se serrent la main lors d'une conférence de presse conjointe après leur sommet du 16 juillet 2018 à Helsinki, en Finlande.

Le président Donald Trump (à gauche) et le président russe Vladimir Poutine se serrent la main lors d’une conférence de presse conjointe après leur sommet du 16 juillet 2018 à Helsinki, en Finlande.

© / Chris McGrath / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images via AFP

Mais, devenue indépendant en 1917, le pays a été agressé par Staline au cours de la « guerre d’Hiver » (1939-1940), comme l’est aujourd’hui l’Ukraine par Poutine. Certains aspects de ces deux conflits sont étonnamment ressemblants, notamment la résistance héroïque des autochtones. Cas unique dans l’histoire, la petite Finlande est le seul pays européen à avoir infligé une déculottée militaire à l’immense URSS. Agiles sur leurs skis de fonds, les Finlandais lui infligent des pertes colossales (125 000 morts, 300 000 blessés), soit cinq fois plus que du côté de la jeune nation nordique. Certes, la Finlande voit son territoire amputé de 12,5 %. Mais les Russes conservent pour leur voisin une estime réelle, liée à leur courage au combat pendant la guerre d’Hiver.

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A l’époque de la guerre froide, la Finlande devient malgré lui une sorte d’Etat tampon entre l’Est et l’Ouest. On parle de « finlandisation », une expression honnie par les Finlandais parce que péjorative. Quoi qu’il en soit, la conférence qui acte la « détente » se déroule à Helsinki en 1975, capitale d’un pays alors encore neutre. A la tête de l’Etat pendant vingt-cinq ans jusqu’en 1982, le président Urho Kekkonen entretient des relations cordiales avec Leonid Brejnev. Les dirigeants soviétiques, dont Brejnev, partagent même des saunas avec leurs homologues finlandais, instaurant une tradition de « diplomatie du sana ». Quant au président Sauli Niinistö (prédécesseur d’Alexander Stubb), il a été le dirigeant européen qui fréquentait de plus près et le plus régulièrement Vladimir Poutine. Et cela, jusqu’à l’agression de l’Ukraine en février 2022. Après quoi la rupture fût consommée. Et le processus d’adhésion immédiate de la Finlande à l’Otan, enclenchée.

La Finlande, une armée de 800 000 hommes et femmes

Produit d’un tel passé, Alexander Stubb est idéalement placé pour expliquer à Donald Trump comment fonctionnent les Russes. « Ils ne comprennent et ne respectent que la force », lui a-t-il dit lors d’une récente partie de golf en Floride. Voilà d’ailleurs pourquoi Helsinki n’a jamais eu la sotte idée de réduire ou démanteler son armée après la guerre froide – à la différence des voisins scandinaves, plus naïfs.

Voilà pourquoi la Finlande possède actuellement l’une des forces militaires les plus robustes d’Europe. Elle possède par exemple la principale artillerie du continent (1 500 pièces) et la plus importante capacité de mobilisation (après la Turquie et l’Ukraine). Helsinki, qui a conservé intact son service militaire, s’appuie sur une armée de réservistes : elle est capable de lever une force de 800 000 hommes et femmes en quelques semaines !

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Ce réalisme ne peut que plaire à Donald Trump et aux Américains dont la culture nationale est encore davantage « militarisée » que la finlandaise (tout le monde aux Etats-Unis possède un ami, un voisin ou un membre de sa famille engagé dans l’armée ou qui l’a été). Qui plus est, Alexander Stubb, en bon Finlandais, n’est guère adepte de la langue de bois ou des sous-entendus alambiqués – deux notions étrangères à la mentalité très terre-à-terre des Finlandais. Comme ses compatriotes, Stubb parle cash, direct, sans détour. Ni à la manière du quai d’Orsay, ni à la façon des diplomates britanniques. Et cela plaît à Trump.

Stubb a fait ses études aux Etats-Unis

Américanophile, Stubb a en outre fait une partie de ses études aux Etats-Unis, en Caroline du Sud, avec une bourse d’études obtenue grâce à ses talents de golfeur. Ce dernier talent lui offre un accès privilégié à l’hôte de la Maison-Blanche, dont c’est la passion. Voilà cinq mois, c’est grâce à son swing et son putt qu’il a noué une amitié expresse avec son homologue sur un green de West Palm Beach.

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Dans une interview au Wall Street Journal le 31 juillet, Alexander Stubb a expliqué l’avantage comparatif qu’il possède en tant que ressortissant de la discrète Finlande. « Les gens savent que nous, les Finlandais, n’avons pas d’intentions cachées et que nous sommes assez directs. Je peux ainsi communiquer à Trump ce que pensent les Européens ou Zelensky, puis je peux communiquer à mes collègues européens ce que pense Trump. » Ça peut servir.

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